Pourtant délogés, des ex-combattants occupent toujours des cités universitaires dans la capitale économique. Celle de Williamsville à Adjamé en est un exemple patent. Rencontrés, lundi, des jeunes gens ayant pris part aux combats militaires donnent les raisons de cette occupation illégale.
Lundi 14 octobre, vers 17 h. Nous sommes à la résidence universitaire de Williamsville, dans la commune d’Adjamé. La cité est composée de trois bâtiments en hauteur marqués A et B, dans la même cour, et le troisième C, plus loin. Cet immeuble est séparé des deux autres par une voie bitumée. Les édifices sont délabrés, présentant notamment une peinture jaune défraîchie et marquée de graffitis. Ils n’ont pas fière allure à l’image du jeune homme qui se tient à l’entrée, côté piéton, de la cour. Filiforme, de teint noir, avec des cheveux en broussaille, sa taille avoisine le mètre soixante-dix.
Il est habillé d’un jeans bleu délavé et d’une chemise blanche à rayures noires, porte des chaussures en plastique couleur blanche, de fabrication locale. On les appelle communément ‘’Lêkê‘’. Tel un soldat, il porte au dos un sac militaire. La mine sévère qu’il affiche en dit long sur son intention. En effet, il tient une arme blanche dans la main droite. Vue de plus près, c’est un couteau. Il nous demande aussitôt de nous tenir à distance et de décliner notre identité. Ce que nous faisons, non sans lui demander de se présenter lui aussi. Il se nomme Adama Coulibaly. Mais il précise qu’on l’appelle aussi ‘’Béton‘’. Son pseudonyme. Quelques minutes d’échanges de civilités suffisent pour qu’il nous laisse nous approcher davantage. Curieusement, il n’est plus si méfiant quand nous demandons à rencontrer son chef.
Car, c’est volontiers qu’il nous conduit à ce dernier que nous trouverons debout dans une vaste pièce. Selon toute vraisemblance, c’est une salle d’étude. Elle est située au rez-de-chaussée du bâtiment B. C’est à quelque 4 mètres, tout droit, du portail. Dans la cour, on a pu voir d’autres jeunes apparemment désœuvrés, en pleine causette. L’un d’entre eux, adossé à un mur sur lequel il est écrit ‘’Qg Fesci : la nouvelle Jérusalem‘’, ne donne aucunement l’impression d’avoir quelque chose à faire.
Pas plus que celui qui est visiblement enivré par une causerie avec une jeune fille, non loin de là. Tous arborent soit un jeans soit un pantalon de tissu, aux couleurs méconnaissables. Pareil pour les habits de notre prochain interlocuteur. Jeans noir, tee-shirt blanc démembré. Lui, est un peu gros et de teint noir. Il fait environ 1, 70 m. Il affiche une mine sereine. Son visage dégagé laisse voir sa barbe de trois jours.
C’est un homme, d’une quarantaine d’années, accueillant, qui répond tout de suite à la salutation, avant de nous inviter à nous présenter. Il se nomme Seydou Sékongo, selon lui. Il a un sobriquet qu’il mentionne aussitôt. «On m’appelle prési ici», ajoute-t-il. Il a été soudeur, un temps, avant de devenir chauffeur de véhicule de transport en commun. Il nous invite à le suivre dans la salle d’étude. Comme tout décor, des planches récupérées fixées contre le mur. Pas de chaise, ni de table. Pourtant il déclare gaiement : «ici, c’était mon bureau !» Seydou est au regret d’avoir eu à aménager dans un autre local qu’il ne nous fera pas visiter lorsque les fonctionnaires de l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (Addr) sont venus prier les ex-combattants de quitter la cité, au mois de juin. A la question de savoir pourquoi ils occupent encore les résidences des étudiants, il répond qu’un contentieux reste à vider avec l’Addr. Il reproche à la structure de tutelle de n’avoir pas tenu parole.
«Il était prévu que certains de mes camarades intègrent la douane, la Garde républicaine, les Eaux et forêts. Mais ils nous ont menti…», fulmine-t-il. Abordant la question d’un éventuel déguerpissement des lieux, cet ex-combattant aux côtés des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) n’y est pas opposé. Mais il pose des conditions. «Nous respectons la décision des autorités. Nous sommes prêts à partir d’ici, mais il faut que le problème de tous mes camarades soit résolu. C’est à cette seule condition que nous sommes prêts à quitter la cité», indique-t-il. Selon lui, ses camarades et lui ont appris à leurs dépens que ceux d’entre eux qui avaient été retenus pour l’armée, les eaux et forêts ou la douane ont été recalés. «Pourquoi ?»
Seule l’Addr le sait, dit-il, nous priant de poser la question à la structure que dirige Fidèle Sarassoro. L’ex-combattant estime que toutes leurs revendications n’ont pas été prises en compte. «Nous ne pouvons pas dire que l’Addr n’a pas fait son travail, lui concède-t-il. Mais nous ne sommes pas totalement satisfaits d’elle. Car, se réserve-t-il, nos préoccupations sont en suspens». Visiblement déçu, il déduit : «L’Addr a fait la moitié de son travail».
«Elle nous a assurés ici, lors de sa visite avec le ministre de la Défense (Paul Koffi Koffi, ndlr), que tous nos problèmes seront résolus dans un délai de trois mois. Mais, nuance-t-il à nouveau, jusqu’à présent nous ne voyons pas grand-chose». A l’en croire, la cité dortoir des étudiants à williamsville abrite à ce jour plus d’une «soixantaine» d’ex-combattants. A la fin de la crise postélectorale, ils étaient «près de 400», indique-t-il. «Certains n’ayant rien vu venir ont préféré aller ailleurs», justifie notre interlocuteur. Nombreux sont ces anciens ‘’frères d’armes‘’ «déçus» qui, las d’attendre le Ddr ont élu domicile en d’autres lieux. Où sont-ils allés exactement ? Des ex-combattants seraient retournés en famille, pour ceux qui en ont à Abidjan, quand d’autres squatteraient des abris de fortune dans la capitale économique. Seydou Koné, présent aux côtés de son chef, affirme avoir appartenu au ‘’commando invisible‘’, un groupe armé qui a investi la commune d’Abobo aux premières heures de la crise postélectorale.
Contrairement à son ‘’patron‘’, il ne veut pas entendre parler de déguerpissement de la cité ‘’U‘’. Il dit que la promesse qui lui avait été faite d’intégrer l’armée doit être respectée. «La vie civile ne m’arrange pas. Je veux entrer dans l’armée. Je suis prêt à tout pour devenir militaire», clame-t-il. L’ancien volontaire aux côtés des forces régulières impute sa présence à la cité universitaire à des chefs militaires. «Mon nom figurait sur la liste des personnes recrutées pour être des agents des eaux et forêts. Mais à la dernière minute, je n’ai pas été pris en compte. Je pense, se désole-t-il, que ce sont eux qui m’ont recalé». Il dit ne pas savoir que faire et où aller. Désemparé, il n’a qu’une menace à la bouche : «si je n’ai pas tué, ils vont me tuer».
Mais à la différence de ses camarades qui attendent toujours la solution de l’Addr, il affirme avoir perçu la somme de 735.000 FCFA de cette structure. Il aurait aimé en recevoir plus. «La somme qu’on m’a donné est insignifiante. Je n’ai pu rien en faire», déclare-t-il. Il révèle que l’argent lui a été remis en plusieurs tranches; d’abord 400.000, ensuite 150.000 FCFA, puis le «reste après». Cette modalité de financement était-elle mauvaise ? Il affirme qu’elle ne lui a pas permis d’investir. Son vrai problème est qu’en réalité, il n’avait «pas de projet» ; non seulement cela, il était «intéressé seulement par l’armée». Voilà une révélation qui pourrait justifier l’échec de certains programmes de réinsertion.
DL (stagiaire)
Désarmement, démobilisation, réinsertion - Le chantage des ex-combattants - Photo à titre d'illustration