Paris - Des familles des victimes du bombardement en 2004 du camp militaire français de Bouaké en Côte d’Ivoire ont dénoncé vendredi par la voix d’un de leurs avocats les entraves à l’enquête, à l’approche du dixième anniversaire de ce raid meurtrier.
"Les parties civiles ont le sentiment (...) d’avoir été laissées pour compte (...) que rien n’a été fait -exception faite du travail remarquable des juges d’instruction successifs- pour découvrir les vrais responsables de leur tragédie, qui sont hors de portée de la juridiction pénale ordinaire", déclare Me Jean Balan dans un communiqué.
Le camp de la force "Licorne" dans le centre de la Côte d’Ivoire avait été bombardé le 6 novembre 2004 par deux avions Sukhoï-25 des forces loyalistes ivoiriennes, tuant neuf militaires français et un civil américain, et blessant 38 soldats.
Immédiatement après, l’armée française avait détruit l’aviation ivoirienne, provoquant une vague de manifestations antifrançaises à Abidjan.
Une information judiciaire pour assassinat est ouverte depuis 2005 à Paris.
Une polémique avait éclaté quand il était apparu que huit Biélorusses, parmi lesquels deux pilotes, avaient été arrêtés par les autorités togolaises quelques jours après le bombardement, puis mis à disposition des services français avant d’être libérés.
L’ancien ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, entendu comme témoin, avait affirmé le 7 mai 2010 qu’il n’y avait alors "pas de base juridique puisque pas de mandat d’arrêt international" pour les interroger.
"Tentative de coup d’Etat"
En 2013, la Cour de justice de la république (CJR), compétente pour enquêter sur les actions menées par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions, avait classé des plaintes déposées par les familles contre Mme Alliot-Marie pour "complicité d’assassinats" et "faux témoignage".
Cela n’empêche cependant pas Me Balan de réitérer ses griefs. "J’accuse formellement Mme Michèle Alliot-Marie, dès le début, en tant que ministre de la Défense puis en tant que Garde des sceaux, d’avoir empêché que l’enquête judiciaire puisse avancer, d’avoir donné l’ordre que les exécutants soient libérés afin qu’aucune question ne puisse leur être posée, d’avoir menti en adaptant à chaque fois ses mensonges en fonction de l’avancement de l’enquête", écrit-il.
Mme Alliot-Marie n’était pas joignable.
Me Balan s’en prend également à l’ancien président Jacques Chirac, à son ancien ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin, à la CJR ou encore au parquet de Paris.
L’avocat ajoute que des indices dans le dossier de l’instruction démontrent selon lui que l’attaque de Bouaké ne fut pas à l’initiative des Ivoiriens et avance que "ce fut une manoeuvre pour trouver un prétexte dès 2004 de se débarrasser de Laurent Gbagbo et que l’armée française s’est trouvée impliquée malgré elle dans une tentative de coup d’Etat".
Des mandats d’arrêt avaient été délivrés en 2006 contre deux pilotes ivoiriens soupçonnés d’avoir été à bord des Sukhoï aux côtés de mercenaires.
Dès le lendemain du bombardement, quinze personnes dont deux Biélorusses avaient été arrêtées par les forces françaises puis relâchées et remises aux forces russes. Des témoins avaient assuré que certains étaient pilotes ou mécaniciens d’avions.
Cette attaque est l’une des plus meurtrières contre des soldats français en opération sur un théâtre extérieur depuis l’attentat d’octobre 1983 contre le QG des troupes françaises à Beyrouth, qui avait fait 58 morts.
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Dix ans après l’attaque de Bouaké, un avocat dénonce les entraves à l’enquête