La dépendance aux drogues dures est présentée comme une sorte de maladie qui frappe des victimes innocentes, à la manière de l’arthrite par exemple.
Chère lectrice, cher lecteur
La dépendance aux drogues dures est présentée comme une sorte de maladie qui frappe des victimes innocentes, à la manière de l’arthrite par exemple.
Victimes des dealers, les consommateurs de drogue qui souhaiteraient arrêter seraient obligés d’endurer d’intenses souffrances au moment du sevrage.
Il s’agirait donc d’une sorte de maladie, relevant de la médecine.
Mais je pense que c’est un mythe qui fait beaucoup de tort aux drogués, car :
cela leur fournit une sorte d’excuse, une « bonne raison » de rester dans leur état ;
ce qui est encore pire, on occulte la vérité sur l’addiction aux drogues, ce qui empêche de prendre des mesures adaptées pour prévenir leur usage et aider les personnes dépendantes à s’arrêter.
Les dangers du delirium tremens
Commençons par détruire le mythe selon lequel le sevrage serait une phase redoutable, horriblement douloureuse, qui expliquerait pourquoi les drogués ne peuvent sortir de leur état sans aide médicale.
Les scènes épouvantables décrites dans les romans et les films sur les personnes privées de drogue sont des inventions. Elles sont en fait inspirées par le sevrage de l’alcoolisme.
Le sevrage de l’alcoolisme provoque le delirium tremens, un état d’agitation avec fièvre, tremblements des membres, cauchemars et troubles de la conscience, qui survient chez 5 à 10 % des alcooliques, causant 15 % de mortalité avec traitement, et 35 % sans traitement [1].
C’est donc un problème gravissime. Il est absolument vital que l’alcoolique se fasse aider par un médecin.
Mais rien d’équivalent n’existe pour le sevrage des drogues comme le cannabis, la cocaïne et le LSD.
Vous pouvez vous-même vous en apercevoir lorsque vous lisez par exemple l’article suivant sur le sevrage de la cocaïne [2], ou celui-ci [3], ou encore dans l’article Wikipédia consacré au sevrage [4] : à chaque fois, on vous explique que le sevrage est très difficile, mais on ne vous décrit que des sensations particulières comme un état de malaise, de fatigue, d’anxiété, d’agitation, etc.
C’est parce qu’il n’y a pas de symptômes physiques dangereux semblables à ceux provoqués par le delirium tremens.
Le cas particulier de l’héroïne
L’héroïne est la seule drogue courante provoquant une phase de sevrage difficile (sans pour autant être dangereuse ni nécessiter de prise en charge médicale).
Le sevrage provoque un malaise ressemblant à une grippe, mais sans fièvre. Pour être très précis, les symptômes sont les suivants :
Douze heures environ après la dernière administration d’héroïne surviennent des bâillements, des larmoiements, de la rhinorée (nez qui coule), des sueurs et de l’anxiété.
Dans les 24 heures, le drogué a des crampes, des courbatures, il est irritable, nauséeux, tout en ayant du mal à dormir.
Vers le troisième jour, se déclenchent des problèmes digestifs (vomissements, diarrhée), le cœur bat plus fort et la pression sanguine augmente. Ensuite, les symptômes régressent et s’effacent environ au bout de huit jours.
Dans nos pays, la vie des héroïnomanes n’est jamais menacée par cette période de sevrage, certes pas très agréable, mais sans caractère de gravité particulier [5].
Alors, pourquoi est-il si difficile pour un drogué de s’arrêter ?
Eh bien, pour de très bonnes raisons, mais qui n’ont rien à voir avec la médecine et l’accoutumance physique.
La drogue facilite énormément la vie – en apparence
S’il est si difficile de convaincre un drogué d’arrêter, c’est parce que la drogue lui facilite énormément la vie – en apparence du moins.
Les médias parlent souvent, actuellement, des effets des drogues contre les douleurs physiques. Il est vrai que le cannabis est efficace dans ce domaine. L’Allemagne vient d’ailleurs d’autoriser sa culture et son usage comme anti-douleur [6]. L’héroïne aussi a un fort effet anti-douleur : elle est extraite de l’opium, tout comme la morphine couramment utilisée dans les hôpitaux et en soins palliatifs.
Mais les vraies raisons du succès des drogues dans notre société est qu’elles procurent un soulagement immédiat des douleurs morales : si vous vous sentez seul, moche, idiot, raté, prenez du cannabis, du LSD, de la cocaïne ou de l’héroïne, et vous vous sentirez à nouveau bien dans votre peau. Vous verrez la vie en rose.
La cocaïne en particulier vous donne l’impression d’être en superforme et capable de tout. Les braqueurs en prennent avant de faire un casse. Les stars du rocks et de la télé avant de monter sur scène. Dans les rave-parties, elles permettent aux « teufeurs » de sauter pendant une nuit et un jour sans dormir.
Ainsi, une personne qui ne connaît dans la vie que des échecs (échec scolaire, échecs sentimentaux, échecs professionnels…) pourra éprouver, grâce à la drogue, le sentiment de fierté, de bien-être et même de jubilation que l’on n’éprouve normalement qu’après avoir réalisé un exploit. La drogue permet de « faire la fête » même quand on n’a aucune raison de faire la fête (et qu’on aurait plutôt des raisons de se remettre en question).
Ce sentiment de fierté et de bonheur est indispensable à l’être humain. Sans lui, vous perdez votre envie de vivre. C’est pourquoi l’on parle de « dépendance psychologique » à la drogue, un phénomène qui est d’autant plus puissant que la personne est en difficulté dans la vie.
La spirale infernale
Les drogues permettent aux gens d’éviter de faire face aux défis de l’existence. Elles incitent le consommateur régulier à la passivité, au laisser-aller, à devenir indifférent à ses propres problèmes.
L’élève en échec scolaire échouera de façon encore plus certaine à ses examens. La personne seule verra ses chances de rencontrer l’âme sœur se réduire encore. Comme elles coûtent cher, la personne qui connaissait déjà des difficultés professionnelles et financières avant de découvrir cette solution « miracle » verra ses problèmes s’aggraver, et ce d’autant plus qu’il faut augmenter constamment les doses pour obtenir le même résultat.
Les conséquences humaines et sociales des drogues sont donc catastrophiques, allant jusqu’au divorce, à la clochardisation, et à la mort.
Tandis que les difficultés s’amoncellent dans la vie du drogué, la drogue lui fournit une échappatoire toujours plus nécessaire, pour fuir une réalité de plus en plus effrayante.
Et c’est pourquoi, lorsque vous rencontrez un drogué arrivé à un stade avancé, sa « vraie vie » est dans un tel état de délabrement qu’il est extrêmement difficile de le convaincre d’arrêter la drogue. Il ne désire tout simplement plus vivre dans le monde réel. Et on peut le comprendre.
C’est donc une spirale infernale.
Comment aider un drogué
Pour aider un drogué à arrêter, il faut d’abord le convaincre qu’affronter les problèmes de la vie réelle vaut la peine. C’est donc tout un travail sur le sens de la vie (pourquoi vivre, pour quoi vivre ?) qu’il faut entreprendre avec lui.
Il va falloir trouver des réponses aux (difficiles) questions suivantes :
Pourquoi accepter le malheur ? Pourquoi accepter la souffrance ? Comment surmonter les déceptions ? Pourquoi s’accepter comme on est, avec ses limites, ses défauts ? Comment transformer l’échec en une épreuve qui m’aide à progresser ? Pourquoi s’obliger à faire des efforts pour réussir ?
Inutile de vous dire que c’est un sacré problème, quand le drogué sait qu’il est si facile de trouver la même satisfaction en se roulant un joint, en sniffant un rail de coke, ou en se faisant une petite injection.
Trouver les arguments qui portent demande toute une réflexion sur la vie, mais aussi des mois, des années de présence, de discussions et d’activités avec le drogué. Lui faire découvrir la satisfaction du travail bien fait, le bonheur de l’amitié, de l’amour avec une vraie personne (et plus avec son joint ou sa seringue), les beautés du monde, de l’art, de la nature, d’une femme, d’un enfant…
Cet accompagnement ne peut donc se faire sans une solide démarche philosophique, ou même une forte spiritualité. Et il suppose, suprême difficulté, que la personne qui aide le drogué ait elle-même trouvé une certaine forme de bonheur dans une vie sans drogue, sans quoi le drogué en déduira que tous ses conseils ne sont que de beaux discours, utopiques, inapplicables…
De plus, le danger ne sera jamais écarté définitivement. Il suffit d’un coup de fatigue, d’une déception, d’une infection, d’une mauvaise nuit, d’une mauvaise rencontre… et la tentation de retomber dans la drogue resurgira.
« Grâce au cannabis, je me sens bien, même, et surtout, si tout déraille dans mon existence »
Dans les fascicules distribués dans les écoles, on met en garde les enfants en leur expliquant que les drogues peuvent entraîner une dépendance « dès la première utilisation ».
Ce n’est pas que leur corps prenne tout de suite l’habitude de la drogue au point d’en avoir à nouveau besoin physiquement. Comme on l’a vu, il n’y a pas de véritable dépendance physique pour la plupart des drogues.
Le problème, c’est que les adolescents, par nature fragiles, sont nombreux actuellement à mener des vies difficiles. Ils sont confrontés à une grande violence dans de nombreux quartiers, collèges, dans les transports en commun, dans des familles déchirées, avec comme horizon le spectre du chômage massif et un environnement profondément dégradé.
Le jour où ils découvrent qu’ils peuvent échapper à tout cela grâce à la « fumette » (ou autres drogues), il devient très difficile de les persuader que cela vaut la peine pour eux de rester dans le monde réel et trouver leur bonheur en relevant des défis.
« Grâce au cannabis, je me sens bien, même, et surtout, si tout déraille dans mon existence. » Plus besoin d’escalader une montagne, de gagner une course, ou un combat de boxe ; plus besoin de se former à un métier qui leur plait ; plus besoin de réussir leurs études ; plus besoin de devenir virtuose au piano ; plus besoin de trouver un petit ami ou une petite amie qui leur plaise vraiment ; plus besoin d’avoir un projet de vie.
Et c’est pourquoi il est bon de dire aux jeunes de ne jamais, jamais, essayer. Même une fois. Même pour s’amuser.
Mais il faut, et c’est encore plus vital, leur montrer qu’il existe une autre voie qui leur apportera plus de bonheur que les paradis artificiels. C’est cela qui est difficile. C’est cela que nous faisons très mal.
Et c’est là que les brochures qu’on leur distribue dans les écoles ne donnent jamais aucune solution crédible.
Un parallèle osé avec les « médocs »
Cela peut choquer mais, pour moi, bien des médicaments sont, comme la drogue, un moyen d’échapper à la dure réalité de la vie.
En français, nous distinguons les mots « drogue » et « médicament », mais ce n’est pas le cas en anglais, où les deux mots se disent « drug ».
Imaginez que les médecins francophones prennent l’habitude de dire à leurs patients :
«
Cher Monsieur, chère Madame,
Je vois que vous mangez trop de sucre et que vous fumez trop. Vous êtes en train d’attraper le diabète et de détruire vos artères.
Vous avez deux solutions :
La première, c’est d’adopter un mode de vie sain, mieux manger et arrêter de fumer. Abonnez-vous à Santé Nature Innovation pour recevoir des conseils gratuits dans ce domaine.
La seconde, c’est de vous droguer pour que vous puissiez en toute tranquillité oublier votre état de santé réel. Vous pourrez continuer à vivre comme avant. Les drogues feront disparaître les signes de votre maladie. Vous ne risquez pas de vous faire arrêter par la police car ces drogues sont autorisées par l’Etat. Elles sont même remboursées par la Sécurité Sociale ! Vous ne débourserez donc pas un sou. Par contre, la maladie continuera de progresser silencieusement. Les drogues provoqueront des déséquilibres physiologiques qui déclencheront d’autres maladies. Votre risque d’hospitalisation et de décès augmentera. Et plus vous vous droguerez, plus il sera difficile de revenir à un mode de vie sain. À vrai dire, vous atteindrez rapidement le point où il sera trop tard pour revenir en arrière.
Alors, que choisissez-vous ? »
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
Drogues : vous ne lirez jamais ça ailleurs - Photo à titre d'illustration