Les soldats ivoiriens mutinés à la mi-mai ont obtenu gain de cause. Une victoire qui affaiblit le gouvernement du président Alassane Ouattara dans un contexte politique déjà tendu.
Les mutineries en Côte d'Ivoire sont officiellement terminées. Les militaires, satisfaits, sont rentrés dans leurs casernes. Les coups de feu ont cessé. Mais le brasier politique allumé par ce soulèvement est très loin d'être éteint. «Le président Ouattara a beaucoup perdu dans cette affaire. Il est affaibli», assure une source diplomatique.
Le ressort de cette faiblesse tient en une phrase: le pouvoir a dû céder sous la contrainte et la surprise. Le 12 mai, quand des militaires protestent armes à la main dans les rues d'Abidjan et de Bouaké pour exiger le paiement d'une prime qu'ils estiment dues, le gouvernement pense avoir la situation en main. Après un premier mouvement en janvier, quelque 8400 ex-rebelles avaient obtenu le versement de 12 millions de francs CFA (18.000 euros par tête ), dont 5 millions avaient été payés. Mais le pouvoir entendait arrêter là l'hémorragie financière et ne rien payer du «reliquat». Le 11 mai, une cérémonie est organisée, télévisée: un sous-officier mutin vient rencontrer le président pour «s'excuser» et «renoncer» à l'argent. Le résultat de ce spectacle est catastrophique. Dès le 12 mai, les militaires reprennent la rue pour au contraire réclamer les primes.
«Le vrai problème est que l'on a vu que le gouvernement n'a qu'un contrôle très aléatoire sur l'armée»
Un militaire
Le gouvernement se cabre, multiplie les déclarations martiales et menace d'utiliser la force. «Il y avait une vraie tentation d'aller à l'affrontement», explique un proche. On pense alors que les mutins ne sont qu'une poignée. Mais dès le 13, l'évidence est là. La majorité des 8400 militaires sont solidaires et soulevés. Et surtout, le reste de l'armée n'entend pas du tout affronter ses frères d'armes. La Garde républicaine se fait porter pâle. La découverte, le 14 mai, dans une maison de Bouaké appartenant à un proche de Guillaume Soro d'une vaste cache d'armes par les rebelles, achève de modifier le rapport de force. «Avant cette découverte, les mutins étaient sans munition. Après, ils disposaient de tout et les choses ont changé», veut croire Mamadou Touré, le ministre chargé de la Formation professionnelle. «Ces armes ont renforcé les mutins, c'est certain. Mais le gouvernement n'aurait pas pu passer en force de toute manière. Le vrai problème est que l'on a vu que le gouvernement n'a qu'un contrôle très aléatoire sur l'armée», tempère un militaire. Bilan, le 15 mai, le pouvoir négocie et accepte de payer. Le calme revient au prix d'une reculade.
Mamadou Touré tente de minimiser l'impact. «Ces primes n'ont rien d'anormal. Elles sont logiques et remontent au temps de la guerre. Les hommes de Laurent Gbagbo avaient alors touché des sommes quand les rebelles ne percevaient rien», détaille-t-il dans ce qui ressemble fort à des justifications a posteriori. En réalité, Alassane Ouattara est décrit comme furieux et très en colère, car les sommes sont importantes, presque 1% du budget de l'État. Tous redoutent que désormais d'autres catégories, comme les fonctionnaires, les autres soldats ou les anciens militaires démobilisés réclament à leur tour. Mais surtout, cette mutinerie avive un contexte politique déjà tendu.
Guerre de succession
Si la prochaine présidentielle n'est prévue qu'en 2020, la guerre de succession de l'après Ouattara a déjà commencé. La modification de la constitution, votée l'an dernier et censée assurer la stabilité jusqu'au scrutin, n'a en rien calmé les choses. «Les rivaux prennent leurs marques», résume un proche du président. Les frictions entre les candidats putatifs issus du RDR, le parti du chef de l'état, et Guillaume Soro, l'ex-chef rebelle devenu président de l'Assemblée Nationale, ont redoublé.
En janvier, lors des premières mutineries, des soupçons avaient pesé sur Soro, accusé à demi-mot d'instrumentaliser la troupe sur laquelle il conserve un certain contrôle. Ses proches avaient nié, mais la découverte d'une cache d'armes dans une maison de Souleymane Kamaraté, alias Soul to soul, son directeur du protocole, place Soro dans une position délicate. Encore une fois, ses proches ont nié toute implication. Soul to soul a promis de collaborer avec la justice qui a ouvert une enquête. «Il y avait des armes cachées. Il y a eu une manipulation. Il va falloir que Soro s'explique», glisse ce même proche du palais présidentiel. Le plus urgent pour le président est sans doute de reprendre en main cette armée qui semble lui échapper. Ce n'est qu'à cette condition qu'il pourra restaurer la confiance ébranlée des investisseurs et calmer les dangereuses ambitions de ses nombreux héritiers.
Par Tanguy Berthemet
En Côte d'Ivoire, le lourd bilan politique des mutineries - Photo à titre d'illustration