Une start-up d’Abidjan propose à ses clients un carnet de vaccination en ligne, avec envoi de messages pour les rappels.
Dans le quartier populaire de Port-Boué, loin du «goudron», la route côtière qui mène d’Abidjan à Grand-Bassam, des enfants jouent sur un chemin de terre rouge. Parmi eux, le fils d’Alexandra Yao, l’aîné de ses quatre enfants. Le petit dernier, Johab, 10 mois, dort dans la chambre de son logement exigu. «Ils sont tous bien vaccinés», assure fièrement cette mère de famille de 30 ans. Posés à côté d’une vieille télé, deux portables. C’est grâce à son téléphone bon marché qu’Alexandra suit scrupuleusement le calendrier vaccinal de ses enfants.
«Là, c’est un message de rappel», dit-elle en montrant ses SMS. «Le jour même où Johab est né, j’ai reçu l’info pour le BCG, à 1 mois et demi, le 2e vaccin…» Alexandra énumère les rappels, jusqu’au 9e mois de son fils avec «rougeole et fièvre jaune». Elle en est convaincue: «La vaccination est très importante pour les enfants, ça leur donne la santé, ça évite certaines maladies» mais avoue: «Parfois j’oublie, donc quand on m’envoie le SMS, ça me rappelle qu’il faut aller faire le vaccin, ça me rassure.»
«20% des enfants correctement vaccinés»
Alexandra Yao fait partie des plus de 600.000 Ivoiriens abonnés à OPI-SMS, un service proposé par une start-up d’Abidjan. Au cœur du quartier de Treichville, un immeuble qui a connu son heure de gloire au siècle dernier: difficile en montant les escaliers à la peinture écaillée de se douter qu’il abrite une société à la pointe du progrès. Etche Noël N’Drin, ingénieur informaticien, cofondateur d’OPI-SMS, a développé un service d’envoi groupé de SMS qu’il a ensuite adapté à la vaccination: «On demande à l’abonné de payer 1000 francs CFA, à peu près 1,50 euro. Une semaine avant, puis 2 jours avant, on lui envoie le message pour son rappel. On lui donne aussi des codes pour qu’il puisse se connecter à son carnet de vaccination en ligne.»
Il retrouve ainsi toutes ses dates de vaccination. Pratique puisque pour entrer en Côte d’Ivoire, il faut prouver qu’on est protégé contre la fièvre jaune. «Si vous avez oublié votre carnet papier, explique Etche Noël N’Drin d’un air entendu, vous pouvez vous connecter sur votre smartphone et apporter la preuve de votre vaccination.» Mais le service a surtout un intérêt de santé publique. Car en Côte d’Ivoire, même si les vaccins des nourrissons sont gratuits, la couverture vaccinale reste insuffisante, en particulier pour les rappels. Le Dr Kouamé, épidémiologiste, médecin de santé publique, rappelle les chiffres du programme élargi de vaccination: «La proportion des enfants correctement vaccinés, avec des doses valides, ne représente que 20 % et, chez les plus âgés, 45 % des enfants de 12 à 23 mois ont reçu toutes les doses requises pour une vaccination complète, donc moins de la moitié.»
«Les Ivoiriens souvent, quand ils ont fait le vaccin une fois, ils ne reviennent plus»: c’est sur ce constat qu’Etche Noël N’Drin est allé voir l’Institut national d’hygiène publique (INHP) pour lui proposer sa e-solution. En 2011, la start-up commence à travailler avec l’Institut, avant de signer une convention avec le ministère de la Santé en 2012. Aujourd’hui, OPI-SMS est ainsi proposé dans 165 centres de santé, sur les plus de 1700 que compte le pays. C’est le cas par exemple au centre de vaccination international de l’INHP au CHU de Treichville. Ce jour-là, c’est la foule des grands jours, entre les voyageurs qui partent en vacances et les parents qui mettent à jour les vaccins avant la rentrée. Après la piqûre, une femme souriante propose le service OPI-SMS. Ceux qui sont intéressés sont ensuite dirigés vers un bureau installé à l’entrée où les données de leur carnet de santé papier seront intégrées dans leur e-carnet de vaccination.
«La e-Santé apporte des solutions innovantes»
«Aujourd’hui, nous sommes présents dans les grandes villes, explique Jean-Claude Blay Niamkey, responsable du service OPI-SMS. Dans les zones rurales et les petites villes, c’est plus difficile pour les populations de payer l’abonnement donc nous espérons pouvoir travailler avec des partenaires.» C’est ce qu’a fait l’ONG Hélène Keller International qui a offert le service OPI-SMS à des mères. Résultat: une amélioration de 17 % des vaccinations chez les familles bénéficiant des rappels par SMS par rapport aux autres.
Au niveau national, si la vaccination a progressé ces dernières années, il est difficile de définir précisément la part due à OPI-SMS mais Franck Simon Blehiri, le coordonnateur national e-Santé, estime que «ce projet concourt à l’amélioration du taux de couverture». OPI-SMS a d’ailleurs été primé en France par l’Observatoire de la e-Santé dans les pays du Sud (ODESS) qui recense et promeut ces initiatives dans les pays aux ressources limitées. «La e-Santé apporte des solutions innovantes qui s’appuient sur l’adoption massive du téléphone portable et son utilisation qui permet de toucher des populations qu’on n’arrivait pas à atteindre.» Des solutions qui permettent d’améliorer l’accès aux soins dans des contextes de contraintes budgétaires, de manque de spécialistes, de déserts médicaux
En Côte d’Ivoire, le vaccin c’est simple comme un SMS - Photo à titre d'illustration