Le business des candidats pour l’immigration clandestine vers l’Europe gagne de plus en plus de terrain à Daloa, ville du Centre-Ouest ivoirien. Des filières organisées proposent à ceux qui le veulent et qui en ont les moyens financiers, de les faire partir jusqu’aux côtes maghrébines où ils seront pris en compte par des passeurs sur des navires de fortune.
Chaque jour, de nombreux départs sont organisés à partir de Daloa : destination, le nord du pays où les candidats pour le départ continueront jusqu’aux bateaux qui les attendent en Libye. Daloa est donc devenue la plaque tournante où se retrouvent ceux qui veulent aller à l’aventure. Plusieurs réseaux de voyage clandestins ont vu le jour, sous le regard impuissant des autorités.
Comment les jeunes arrivent-ils à prendre de telle décision?
Interrogé sur le mode de fonctionnement d’un de ces réseaux, Ibrahim dit IB nous indique que, c’est une compagnie de transport située non loin de la grande mosquée qui transporte une vingtaine de jeunes chaque jour. Ces derniers viennent de partout en Côte d’Ivoire. Selon lui, ces jeunes qui vont à l’aventure ont perdu tout espoir. La plupart sont livrés à eux-mêmes, insiste-t-il. « Pour ces candidats au départ, aucune politique n’est mise en place pour les aider à être autonome. C’est pourquoi, chez eux, mieux vaut mourir en se cherchant que de mourir ici à ne rien faire », nous révèle IB pour nous montrer ce qui anime ces candidats à l’aventure.
Les candidats à l’aventure quittent Daloa pour diverses destinations. La plus utilisée est le Mali où ils sont transférés au Niger pour finalement atterrir en Libye. « C’est en Libye que le plus dur commence. Là-bas, les plus durs avancent et les faibles subissent », affirme IB. Et de souligner que les frais du voyage jusqu’en Libye varient en fonction du réseau, allant de 500.000 à plus de 1000.000 de FCFA.
Que deviennent donc ceux qui n’arrivent pas à bon port ?
Il nous fait savoir que ceux qui n’arrivent pas dans un premier temps jusqu’en Libye, meurent soit en route, ou se font capturer par les différentes milices ou groupes armés qui pullulent sur le parcours. « Les captifs deviennent soit des esclaves, soit sont recrutés par les groupes armés pour en faire des combattants. Lorsque ceux qui sont réduits en esclaves recouvrent la liberté, ils ne sont plus maîtres d’eux-mêmes. On sait que les rares qui ont pu revenir sont de devenus accrocs aux drogues, à l’alcool et ont des accès de violences qui font peur à leur entourage. Ils ne peuvent plus s’intégrer et deviennent un danger pour les autres. Ceux qui ne peuvent pas supporter l’humiliation de l’échec, préfèrent ne plus rentrer. Seule la mort est la seule solution. Mourir ou réussir, il n’y a pas d’autres alternatives dans l’aventure à ce niveau.
Notre informateur nous indique que les plus assidus pour utiliser ces filières, sont les jeunes qui travaillent au marché noir (les Blackis) et qui ont déjà une activité génératrice de revenus et qui peuvent se payer des passeurs. « Ces jeunes qui sont à Adjamé, Abobo ou dans certaines villes comme Bouaké, Daloa, ou Korhogo, ont des activités qui leur procurent de l’argent. On ne sait trop pourquoi, ils se jettent dans ces filières dangereuses. Pourquoi un jeune qui a son magasin de vente de téléphones mobiles, décide un jour de tout laisser, pour aller a l’aventure ? Je n’ai jamais compris la raison », souligne notre informateur.
Des parents impuissants pour la plupart
Un parent interrogé, victime de ce fléau, nous relate son histoire. « Mon fils en classe de seconde m’a dit un jour qu’il a décidé d’aller en l’Europe. Qui ne rêve pas un jour d’y aller, me suis-je dit ? Un autre jour, tard dans la nuit, mon fils me parle d’un réseau à Daloa, avec des places limitées, pour aller en l’Europe. Comme il faisait nuit, je lui ai dit qu’on en reparlera au petit matin. Le jour levé, je lui ai fait comprendre le danger qu’il courait en allant clandestinement en Europe. Je lui ai promis, pour le calmer, de lui payer ses études à l’étranger s’il réussissait à son Bac. Une semaine plus tard, j’étais endormi et mon fils est rentré dans la maison et m’a volé la somme de 500.000 FCFA, mes deux téléphones portables et ma moto de grande marque. A mon réveil, j’ai fait le constat du vol. Et c’est une lettre de mon fils m’annonçant qu’il partait à l’aventure qui m’a situé sur le coupable ».
A Daloa, c’est devenu la mode de voir un jeune partir à l’aventure. Leur réelle motivation, des photos de supposés amis qui ont réussi le voyage. Ceux-ci utilisent les réseaux sociaux pour les appâter. Ils postent des photos où ils sont dans de belles maisons, où ils conduisent des voitures de luxe. On les voit dans des boîtes de nuit, etc. Ces photos attirent leurs amis et les poussent à emprunter le même chemin. Hélas, dans cette quête de recherche, d’une vie meilleure, beaucoup y laissent de leurs vies ou tombent entre de mauvaises mains.
Des organisations sur le chemin de la sensibilisation
Plusieurs organisations sont nées à Daloa avec la multiplication de ces filières de départ vers l’Europe. Leur mission, sensibiliser les jeunes sur les dangers liés à l’immigration clandestine. C’est le cas de l’ONG SOS Immigration Clandestine, qui, à travers de nombreuses activités, a pu sauver des vies. L'ONG est aujourd’hui un recours pour aider les jeunes à prendre conscience de ce danger qu’ils encourent en voulant aller clandestinement en l’Europe par des réseaux qui vont les conduire jusqu’à des embarcations de fortune en Libye. Plusieurs activités sont organisées pour cela. Il s’agit de campagnes de sensibilisation où sont projetés des films et des témoignages des personnes victimes de ce fléau. Le passage de cette ONG à Daloa a suscitée beaucoup de questions, et a réellement diminué l’activité de ses différents réseaux qui continuent encore d'endeuiller des familles.
Image utilisée à titre d'illustration