Exploitation de jeunes filles : Reportage sur un phénomène aux multiples visages

  • 20/08/2015
  • Source : AIP
A travers promesse de scolarisation, emploi et espérance de bien-être social futur, des ménages continuent, avec une certaine naïveté, de livrer leur progéniture à la traite, l’exploitation abusive, aux pires formes de travail ou au proxénétisme.

Par l’entregent de gens, sans scrupule, dont le mode d’opération est pourtant bien connu, des sujets jeunes, plus singulièrement la jeune fille, sont ainsi, chaque jour, soumis à la convoitise de ce marché d’indignité, aux fins de lucre, qualifié de « crime organisé caché », par un expert onusien de la question, Pierre Lapaque, délégué de la Région Afrique à l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime(ONUDC).   
 
A travers leur mésaventure, cinq jeunes filles, dont l’âge oscille entre 8 et 29 ans, rapportent et content leur infortune. Reportage au siège de Cavoequiva, une ong œuvrant à la défense, la protection et la promotion des droits de la jeune fille.
 
En ce lieu, le 6 mars 2015, dame Djénéba Kané, tout en larmes et, transie d’émotion, retrouve sa fille Mariam Kané,  8 ans, victime depuis trois ans de maltraitance et d’exploitation abusive de la part de l’une de ses tantes partie la chercher à l’âge de 5 ans au Mali pour, selon le motif, la scolariser à Abidjan. Cette image constituait en effet l’épilogue d’une procédure entamée, il y a quatre mois auparavant, l’y a-t-on appris.
 
Retour sur la situation de Mariam Kané. Il est environ 20 heures, en ce jour du 11 novembre 2014, lorsqu’une fillette de huit ans, déambulant, seule, aux abords du siège de l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP), sur l’avenue Chardy, non loin de l’immeuble du Conseil de régulation, de stabilisation et de développement de la filière café-cacao (CCC), ex-CAISTAB, au Plateau, est aperçue tenant, dans la main droite, un morceau de pain qu’elle venait de piocher, sans doute, dans une poubelle.
 
Silhouette frêle, drapée dans une robe de tissu sombre, délavée et un peu effilochée, la fillette, chaussée de sandales rapetassées, est approchée par les derniers agents en service dans cet organe ; ils découvrent une môme dans un état crasseux : un visage creux, des yeux larmoyants, des cheveux poussiéreux, perceptibles, malgré la tombée de la nuit.
 
Après l’avoir rassurée en lui donnant de la nourriture, la fillette, effarée, s’ouvre peu à peu à ses bienfaiteurs de circonstance, leur dévoile son identité (Mariam Kané), leur raconte son infortune. Ceux-ci, s’étant tout de suite rendus compte qu’ils sont en présence d’une situation de fugue pour maltraitance et d’exploitation abusive d'enfant, à des fins de lucre, d’enfant, veulent en savoir davantage.
 
Son récit, dont le pathétique le dispute à la révolte, poussent alors les journalistes de l’AIP à alerter la sous-direction de la lutte contre la traite des enfants et de la délinquance juvénile de la police nationale, d’où Mariam Kané est recueillie par l’ong Cavoequiva.
 
Abus de confiance et promesse de bien-être social 
 
"Il y a de nombreuses filles qui se retrouvent dans cette situation ; cette fillette n’est pas la seule ; c’est un cas de traite de personne", fait savoir l’un des experts de ce centre communautaire. Un expert des lieux révèle que la fillette présente un cas d’«abus de confiance et de fausses promesses».
 
Comment la fillette Mariam en est-elle arrivée à cette situation ? Son témoignage : « Ma tantie est allée me chercher auprès de ma Maman, au Mali, et qui lui a dit qu’elle allait me mettre à l’école ; une fois, ici, je suis livrée aux travaux domestiques et de vente de boissons sucrées, sans repos, régulièrement battue, et privée de nourriture; j’ai été maltraitée par ma tante, et je ne veux plus retourner vivre avec elle ;  elle me battait beaucoup ; je ne mangeais qu’une fois par jour (Sic !)", a-t-elle relaté, entre deux sanglots. 
 
Une fois, le sol abidjanais foulé, cette dernière ne fera jamais connaissance avec l’école et, en lieu et place, sera assujettie à trois longues années de servage, caractérisée par les faits rapportés ci-dessus. « C’est archifaux ! Je l’ai inscrite à l’école mais, sous le joug d’esprits malfaisants, elle aurait abdiqué, et renoncé en définitive aux études ! », s’est défendue sa tante-bourreau, en guise de dénégation des faits.
 
Quant à la génitrice de Mariam, venue expressément de Garalo, une localité du département de Bougouni, en République du Mali, après avoir été saisie du sort de sa progéniture, a tout simplement reconnu sa contrariété, en soutenant avoir accédé à la volonté de la nièce de son époux de scolariser sa fille en Côte d’Ivoire, parce que ne disposant pas de ressources pour le faire dans son pays. 
 
Comme elle, deux autres jeunes filles, D.B, et E.E, de nationalité Nigériane, et originaires de Karaba, dans la province de Kaduna, ont indiqué être victimes de la même arnaque ; elles ont soutenu avoir été recrutées par l’une de leurs compatriotes, en octobre 2014, en vue de leur trouver un emploi dans un supermarché, à Korhogo, dans le Nord du pays.
 
Ces recrues, leurs papiers administratifs établis avec grand soin, embarquent pour la Côte d’Ivoire, sous la direction de leur futur « employeur », une certaine Rosemary James.

Elles traversent, d’abord, le Bénin, par moto, avant de rallier, par autocar, Abidjan, d'où elles mettent le cap sur leur lieu de destination, en réalité, une zone d’exploitation minière, sans doute artisanale, située dans le district des Savanes, à Korhogo, où exerceraient d’importants groupes d’orpailleurs clandestins.
 
Là, encore, la stupéfaction est loin de leur attente : de supermarché, nenni ! E.E, 29 ans, mère d’une fille restée dans son pays natal, et D.B, 15 ans, comprennent, dès lors, qu’elles sont en présence d’un réseau de  prostitution.
 
Ces dernières, après que leurs papiers administratifs leur ont été immédiatement retirés, afin de prévenir toutes tentatives de disparition, sont aussitôt logées dans des abris clos, et des condoms leur sont distribués pour leur besogne véritable, et sur quoi aucune information ou communication ne leur a été fournie.
 
Commence alors leur désillusion. Chaque jour, leur patronne les obligeant à "travailler dur", pour réaliser, chacune, une recette de dix mille francs CFA, à raison de mille francs la passe, récupérée, le lendemain. Selon ces péripatéticiennes d’infortune, elles doivent, à travers cette activité, rembourser, chacune, la somme de 1,5 million de francs CFA, correspondant à leurs frais de voyage et de séjour, avant de « recouvrer leur liberté ». Leur calvaire va ainsi durer jusqu’à janvier 2015.
 
C’est alors que va survenir un "Saint homme", qui alerte et dénonce leur patronne, Rosemary James, et son activité auprès des forces de sécurité locales qui, avec l’appui de la section Police de l’Opération des Nations-Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) qui la firent interpeller, puis écrouer à la maison d’arrêt et de correction, où elle serait en attente de jugement par le tribunal de première instance de Korhogo.
 
Les victimes, quant à elles, auraient été confiées, dans un premier temps, à des  volontaires de la localité par le pool Genre de l’ONUCI et l’ONUDC, qui leur apportent quotidiennement assistance, sous l’égide de l’ong Cavoequiva, basée à Abidjan.
 
"Je regrette d’avoir fait confiance à cette dame", confesse, la mort dans l’âme, la plus âgée, une jeune femme de teint clair et au regard vif. Des propos qui indiquent que le phénomène est prégnant en Côte d’Ivoire, en dépit des actions volontaristes mises en œuvre par le gouvernement pour combattre le fléau, par l’information et la sensibilisation.
 
Dans ce registre, sont légion de nombreux foyers africains, notamment ceux des zones rurales et suburbaines, victimes de cet affairisme, délirant, esclavagiste et, un tantinet, déshumanisant même, pestent des bien-pensants, pour qui les pouvoirs publics ne doivent plus se contenter d’en dresser le constat.
 
Le rapt comme moyen pour recruter
 
Si certains usent de subterfuge cocasse pour appâter et recruter les candidats à la scolarisation, l’emploi ou au bien-être social, d’autres usent tout simplement de raccourci, par la barbouzerie ou le rapt, dignes de flibustiers des hautes mers.
 
Tel est le cas de cette jeune ressortissante burkinabé de 19 ans, Assita Ouattara, qui se serait retrouvée, par hasard, dans la capitale économique ivoirienne, après avoir été enlevée, à Bobo-Dioulasso, deuxième grande ville du Burkina Faso, où elle résiderait.
 
"Je vivais avec mes parents au Burkina Faso, précisément à Bobo-Dioulasso, avec mes deux enfants, de quatre ans et 24 mois, lorsque, un jour, un homme, nommé Traoré Vié, est venu me proposer de me faire venir à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour un emploi auprès de l’une de ses sœurs ; mes parents n’étaient même pas encore informés du projet, lorsqu’il m’a enlevée à leur insu, et m’a fait embarquer dans une véhicule, puis dans un train ; le temps de me rendre compte de ce qui se passait, je me retrouve à Abidjan", fait savoir, l’air hagard, cette adolescente.
 
 A l’instar de Mariam Kané, Assita Ouattara est, elle aussi, placée chez une dame.  Comme Mariam, elle est affectée aux tâches de ménage, et tient également celles de baby-sitter. "Je me lève, très tôt le matin, et je lave les vêtements, les toilettes, l’enfant de la dame et, par la suite, je vais vendre dans son magasin ; j’ai travaillé, tout ce temps, sans être rémunérée", raconte-t-elle, amère.
 
Comme si cela ne suffisait pas, Assita Ouattara, qui s’est retrouvée dépaysée par l’absence de ses parents et des nouvelles d'eux, subit, quotidiennement, elle aussi, les insultes, humiliations, facéties ou autres humeurs de sa patronne, d’un naturel qu’elle dit irascible. Comme Mariam, Assita est également privée de nourriture, lorsque, par inadvertance, un ustensile ou un récipient lui échappaient, pendant le lavage de la vaisselle. 
 
La progéniture comme hypothèque de dette 
 
Dans cet univers du « crime organisé caché », un cas en cache un autre, différent  par sa nature. Ainsi, l’expérience de Férima Koné, une jeune adolescente ivoirienne de 14 ans, contrainte, deux années durant, au servage, sans percevoir la moindre rétribution, pour faire face à des hypothèques d’une dette que doit honorer sa mère, en est fort saisissante.
 
« Fille de ménage, dans de nombreux foyers, à Abidjan, je me lève, tous les jours, à quatre heures du matin, dès que le Muezzin commence à appeler à la prière, et je travaille très dur pour rembourser une dette de cinq cent-cinquante mille francs (550,000 FCFA) que ma mère doit à une femme(Sic ! », signale cette orpheline de père,  devenue, à cause de la pauvreté, l’esclave d’une autre femme.
 
"Durant ces deux ans, j’ai vécu un vrai cauchemar, et me demandais si ma fille, orpheline, n’allait pas par finir en mourir", s’est confessée, pour sa part, la génitrice de Férima Koné, qui aurait, a-t-on appris, un peu plus tard, réussi à ne rembourser que la somme de deux cents mille francs(200,000 F) sur les 550,000 FCFA à devoir.
 
"En raison des effets graves pour les victimes, la traite des personnes est une forme particulièrement grave de criminalité organisée qui a des effets dévastateurs sur la vie et le bien-être des victimes ; l’ampleur du phénomène et le nombre réel de victimes sont toutefois inconnus et, très probablement, sous-estimés, en raison de la nature cachée du phénomène", a souligné, le 10 juin 2015, à Abidjan, Pierre Lapaque de l’ONUDC.
 
Devant la situation, qui touche quasiment toutes les populations de l’espace Uemoa-Cedeao, favorisée par l’analphabétisme, la pauvreté mais, surtout, la naïveté des ménages et le goût du lucre de margoulins de tout acabit, beaucoup se demandent ce que font les gouvernements des Etats ?
 
D’après l’ONUDC, 25 millions de sujets dans le monde sont victimes de traite, et que ce commerce génère près de 32 milliards de dollars US de revenus illicites par an. Cet organisme révèle en outre qu’un rapport, publié en 2014, par ses soins, fait état de ce que, sur le continent africain et au Moyen Orient, l’exploitation sexuelle représente 53% des cas, le travail forcé 37% et les autres formes d’exploitation tels que la mendicité forcée des enfants ou l’enrôlement des enfants soldats, à 10%.
 
Plus de 150 pays constitueraient, selon ledit rapport, les zones d’origine, et que 124 pays de destination seraient affectés par la traite des personnes dont 510 flux d’exercice sont identifiés à travers le monde.
 
Reportage par Marie Ange Kouassi