Facebook travaille sur la création d'une nouvelle cryptomonnaie qui pourrait voir le jour dès le début de l'année 2020. Cette monnaie pour les utilisateurs du réseau social permettrait à Facebook de vendre encore plus de publicités.
Que manque-t-il à l'empire Facebook pour prétendre à un statut de souverain virtuel ? Il a déjà la population – plus de deux milliards d'utilisateurs –, une intelligence artificielle qui fait, plus ou moins bien, la police pour supprimer les contenus offensants, et un territoire qui s'étend de Facebook à WhatsApp en passant par Instagram. Mais Mark Zuckerberg n'a pas encore le pouvoir de battre monnaie.
Cela pourrait changer dès le premier trimestre 2020. Facebook s'apprêterait à proposer à ses utilisateurs dans une douzaine de pays d'adopter une nouvelle monnaie dématérialisée, une sorte de bitcoin propre au réseau social, ont assuré plusieurs médias, dont la BBC et le Financial Times, vendredi 23 mai.
Facebook est têtu
Elle s'appellerait GlobalCoin et permettrait de régler des achats effectués sur Facebook & Co. avec des commerçants partenaires. Un utilisateur affamé pourrait ainsi commander son repas auprès d'un Deliveroo ou UberEats directement depuis WhatsApp en piochant dans son porte-monnaie GlobalCoin, sans avoir à sortir sa carte bleue.
Facebook n'a pas confirmé le calendrier dévoilé par la presse, mais ne fait pas de mystère sur son ambition de créer sa propre cryptomonnaie. Le groupe californien a fondé en Suisse, le 2 mai, Libra Network LLC, une jeune pousse spécialisée dans les instruments financiers innovants dont la mission statutaire consiste à travailler sur des moyens de paiement, la blockchain (la technologie qui rend possible les paiements en cryptomonnaie) et les questions d'identité bancaire. En avril, Mark Zuckerberg a aussi rendu visite à Mark Carney, le gouverneur de la Banque centrale anglaise, et à des responsables du Trésor américain pour discuter des obstacles réglementaires à la création d'une nouvelle monnaie dématérialisée, affirme la BBC.
Facebook n'en est à son premier essai. Le groupe avait déjà essayé - et échoué - à deux reprises d'introduire des moyens de paiement dématérialisés (Facebook Credits en 2011 et Facebook Gifts en 2012). "Cette fois-ci, Facebook estime que la technologie est plus mature pour monter un projet ambitieux de nouvelle cryptomonnaie et, aussi, qu'elle est mieux acceptée par le grand public", analyse Nathalie Janson, économiste et spécialiste des bitcoins à l'école de management française Neoma Business School, contactée par France 24. Les cryptomonnaies ne sont plus ces "omnis" (objets monétaires non identifiés) qu'elles étaient il y a encore quelques années.
Une "stablecoin"
Pourquoi cet entêtement ? "Disposer de sa propre monnaie permettra à Facebook d'établir des profils beaucoup plus précis des consommateurs en collectant des données plus complètes sur les habitudes d'achats", assure l'économiste française. Des informations qui vaudront de l'or aux yeux des publicitaires et pourraient faire grimper en flèche les revenus publicitaires du réseau social. "Facebook touchera, en outre, une commission sur chaque transaction, ce qui lui permettra de compléter son modèle économique", précise Nathalie Janson.
Mais encore faut-il que les utilisateurs acceptent de payer en GlobalCoin. Le bitcoin, dont le cours a tendance à faire du yoyo, n'a pas forcément bonne presse auprès du grand public. "Pour pallier cette volatilité qui nuit à l'image des cryptomonnaies auprès du grand public, le groupe californien semble vouloir introduire ce qu'on appelle une 'stablecoin', c'est-à-dire une monnaie dont le cours serait adossé à celui d'un panier d'autres devises", explique Nathalie Janson. Le principe serait de garantir la parité entre le GlobalCoin et un mélange, par exemple, du dollar, de l'euro et du yen. D'après le Wall Street Journal, l'une des pistes explorées serait d'adosser la monnaie Facebook au SDR (Droit de tirage spéciaux) – un panier de devises comprenant l'euro, le dollar, le yen, la livre sterling et le yuan – qui est utilisé par le FMI.
Stabilité et sécurité
Le monde des cryptomonnaies a aussi connu, ces derniers temps, son lot d'attaques informatiques qui ont coûté des fortunes à leurs utilisateurs. Entre 2017 et 2018, des cybercriminels ont subtilisé 882 millions de dollars en piratant une quinzaine de bourses d'échanges en ligne de cryptomonnaies, a calculé l'entreprise russe de cybersécurité IB-Group. "Prouver que leur GlobalCoin est parfaitement sûr sera probablement le défi majeur de Facebook. Le groupe aura intérêt à s'associer à un acteur réputé de la cybersécurité, à la fois pour créer la confiance et aussi pour garantir le plus niveau de sécurité possible", estime Nathalie Janson.
Mais les internautes auront-il aussi envie de confier davantage d'informations à une entreprise qui n'en finit pas d'accumuler les scandales liés à la protection des données personnelles ? Le comité des affaires bancaires du Sénat américain a d'ailleurs adressé une lettre à Mark Zuckerberg, le 9 mai, pour savoir comment il comptait protéger les données personnelles des consommateurs dans l'hypothèse où il introduirait sa nouvelle cryptomonnaie. "Il y aura probablement des pays plus pointilleux que d'autres sur la question de la protection des données personnelles, comme en Europe, où Facebook aura du mal à faire accepter sa nouvelle monnaie", souligne Nathalie Janson.
Visa dans le viseur ?
Le réseau social devra aussi convaincre les utilisateurs de l'intérêt de payer en GlobalCoin. Il y travaille déjà, d'après le Wall Street Journal. "L'une des pistes explorées serait de récompenser en GlobalCoin les utilisateurs qui cliqueraient sur certaines publicités ou passeraient commande sur un site partenaire avec cette monnaie", explique le quotidien économique américain. Grâce à ces petits cadeaux, le site compterait banaliser l'usage de cette nouvelle monnaie au détriment des moyens de paiement traditionnel.
Pas sûr que Visa ou MasterCard apprécient cette perspective. "Ce sont eux qui ont le plus à perdre si des centaines de millions de personnes commencent à utiliser le GlobalCoin plutôt que leurs cartes de crédit pour une partie de leurs transactions en ligne", reconnaît Nathalie Janson. Facebook réaliserait ainsi l'un des rêves des promoteurs des cryptomonnaies : "Le bitcoin repose sur l'idée qu'un moyen de paiement décentralisé permettrait de rendre ces intermédiaires financiers inutiles", rappelle Nathalie Janson.
Mais le but de Facebook n'est pas de remettre en cause le système financier actuel. Le groupe a d'ailleurs approché en mars Visa et MasterCard pour discuter d'un moyen de les associer à ce projet, assure le quotidien britannique The Guardian. Au final, si le réseau social réussit enfin à démocratiser l'usage des cryptomonnaies avec son GlobalCoin, cela risque d'être une victoire à la Pyrrhus pour les partisans de ces moyens de paiement alternatifs. Au lieu de marquer l'avènement d'un système économique où les banques et autres intermédiaires financiers auraient perdu en importance, l'adoption du GlobalCoin servirait principalement à enrichir un peu plus l'une des entreprises les plus rentables du monde.
Mark Zuckerberg se préparerait à proposer la cryptomonnaie de Facebook dès le début de l'année 2020. Studio Graphique France Médias Monde