Grogne des militaires ivoiriens, relations avec Alassane Ouattara, ambitions présidentielles… L’ancien chef rebelle s’explique. Et surtout se défend. Une interview exclusive.
Peu disert depuis le début de la « crise des mutineries », en janvier, Guillaume Soro, 45 ans, a laissé son premier cercle répondre à ceux qui, dans l’entourage du président Ouattara, l’accusent à demi-mot d’instrumentaliser le mécontentement d’une troupe sur laquelle il conserve un certain contrôle. Après la découverte à Bouaké d’une cache d’armes dans la villa de son chef du protocole, le silence du président de l’Assemblée nationale n’était plus tenable. Plutôt que de s’expliquer, il a choisi ici de se défendre.
Jeune Afrique : Vous êtes resté silencieux depuis que les mutineries agitent le pays. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?
Guillaume Soro : Silencieux ? Lors de la crise, en janvier comme en mai, j’ai été en contact étroit avec le président de la République, aussi bien au téléphone qu’en tenant, dans sa résidence, des séances de travail régulières. J’ai essayé, dans la mesure du possible, de lui apporter mon concours. Mais je voudrais surtout vous rappeler que depuis mars 2012 la fonction que j’occupe est celle de président de l’Assemblée nationale : je ne suis ni le Premier ministre, ni le ministre de la Défense, ni celui de l’Intérieur. Il ne me revenait donc pas d’être aux avant-postes en ce qui concerne la gestion de ces crises. Ce que je pouvais et devais faire, je l’ai fait – aussi bien publiquement qu’en coulisses.
En mai, en pleine mutinerie, une cache d’armes a été découverte à Bouaké chez votre directeur du protocole. Comment avez-vous réagi lorsque vous l’avez appris ?
Vous savez, j’ai assumé la rébellion des Forces nouvelles. Ce n’est donc pas pour une cache d’armes que je me serais défilé. Cela dit, acceptez que je ne m’étende pas sur cette question, au nom du devoir de réserve qui est le mien, en tant qu’ancien Premier ministre et ancien ministre de la Défense. D’autant qu’une enquête a été ouverte. Il ne conviendrait pas de la polluer par des déclarations intempestives. La personne mise en cause est l’un de mes plus proches collaborateurs, et je lui ai demandé de faciliter autant que possible le travail des enquêteurs. Laissons-les éclaircir cet épisode, puis nous en reparlerons.
Certains, à Abidjan, voient votre main derrière les événements récents. Que répondez-vous à ceux qui prétendent que vous manipulez les mutins ?
À vrai dire, je m’y attendais un peu. Souvenez-vous : lorsque j’ai quitté la primature, en 2012, et que j’ai été élu président de l’Assemblée nationale, les mêmes personnes qui véhiculent les ragots que vous évoquez ont affirmé que j’étais tombé en disgrâce auprès du président, et que celui-ci m’avait mis au placard. Ils ignoraient que le président de la République et moi-même y avions longuement réfléchi. Ils ont fini par se rendre compte que, loin d’avoir été remisé au garage, je m’épanouissais pleinement au Parlement.
Fin 2014, lors de la première mutinerie, il s’est trouvé des gens pour insinuer que j’étais derrière cette éruption de colère des troupes. En vain. En 2016, quand le président a lancé le chantier de la IIIe République et de la réforme constitutionnelle, on a cette fois propagé la rumeur selon laquelle j’étais en colère parce que j’allais me retrouver déchu du dauphinat constitutionnel en perdant ma position de deuxième personnage de l’État.
"L’essentiel pour moi est d’entretenir la confiance qui existe entre le chef de l’État et moi-même"
En 2017, rebelote. Au moment du renouvellement de l’Assemblée nationale, les médisants ont prétendu que j’étais entré en disgrâce – encore une fois, décidément ! – et que je ne bénéficiais plus de la confiance du président pour effectuer un deuxième mandat au perchoir. Dans ce contexte, quand la deuxième mutinerie a éclaté, le 5 janvier 2017, j’ai pu lire çà et là que son objectif inavoué était de contraindre le président à avaliser le renouvellement de mon mandat. Pourtant, un accord avait été précédemment conclu avec le chef de l’État et le président [du Parti démocratique de Côte d’Ivoire] Henri Konan Bédié.
Je suis habitué aux procès en sorcellerie. L’essentiel pour moi est d’entretenir la confiance qui existe entre le chef de l’État et moi-même.
À quoi, selon vous, sont dues ces mutineries à répétition ?
J’ai entendu beaucoup d’incongruités pendant ces douloureux événements. On a prétendu que j’avais légué à la Côte d’Ivoire une armée de brigands et d’analphabètes, que les « 8 400 » [d’anciens rebelles des Forces nouvelles intégrés à l’armée régulière à partir de 2011] étaient des incultes, des sauvages, que sais-je encore… Je trouve ça profondément injuste. Analphabètes ? Oui, bien sûr, certains d’entre eux le sont. Mais lorsque nous recrutions des troupes pour lancer la révolution de 2002 – qui a abouti à la Côte d’Ivoire démocratique actuelle –, nous les sélectionnions en fonction de leur motivation, de leur détermination et de leur aptitude au combat, comme tant d’autres l’ont fait de par le monde et à travers l’Histoire, pour défendre des causes nobles. Mon propre grand-père, qui a participé à la Seconde Guerre mondiale dans les rangs de l’armée française, ne savait ni lire ni écrire.
Si nous avions eu les moyens de les former sur le long terme, ces 8 400 hommes auraient pu constituer une force aguerrie et disciplinée au service de notre armée. La Légion étrangère française est un bel exemple de ce qu’un homme peut devenir si on lui offre l’encadrement et l’entraînement adéquat.
"Nous avons eu quatre mois pour anticiper la crise. À chacun de nous de faire son autocritique"
Pour être honnête, je considère que, dans l’entourage du président Ouattara, nous n’avons pas été à la hauteur pour lui éviter les humiliations que la nation ivoirienne a connues et que lui-même a subies. Qu’avons-nous fait depuis que la première mutinerie est advenue, en 2014, pour trouver une solution aux revendications de ces soldats ? Qu’avons-nous fait pour nous doter d’une capacité militaire opérationnelle suffisante pour juguler toute nouvelle tentative de mutinerie ? Entre janvier et mai 2017, nous avons disposé de quatre mois pour anticiper la crise qui vient finalement d’éclater. Pour quel résultat ? Il revient à chacun d’entre nous de faire son autocritique...
Guillaume Soro : « J’ai l’habitude des procès en sorcellerie »