En visite au Sénégal à l'invitation officielle de son homologue Moustapha NIASSE, le Président de l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire fut l'invité spécial de la Chaîne de Télévision Nationale Sénégalaise ''RTS'' au cours de l'émission hebdomadaire ''Le Point''. Au cours de cet entretien, le Président Guillaume SORO et le Journaliste Ousmane Ngary FAYE ont abordé plusieurs sujets dont le fonctionnement du Parlement ivoirien, la Réconciliation et la reconstruction en Côte d'Ivoire, la Diplomatie Parlementaire, la réélection d'Alassane OUATTARA, Blé Goudé et surtout son avenir politique. Nous vous proposons en intégralité les échanges du Numéro 1 des députés ivoiriens.
Bonsoir ! Décor et paysage particulier, vous l'aurez compris, ce soir votre magazine hebdomadaire « Le Point » déménage de son studio habituel de la RTS pour cette suite dans un hôtel de la place. Invité spécial de ce numéro Son Excellence Guillaume Kigbafori SORO, Ancien Premier Ministre de Côte d'Ivoire de 2007 à 2012, aujourd'hui l'homme est Chef de la Représentation Nationale (Ndlr : Assemblée Nationale). Mais Guillaume SORO, c'est surtout ce fameux dirigeant de la Puissante FESCI, la Fédération des Etudiants de Côte d'Ivoire sous Bédié, qui finalement prendra les armes sous Laurent Gbagbo au milieu des années 2000. Exit le mouvement rebelle, exit le mouvement étudiant, Guillaume SORO fait aujourd'hui face à la République et à ses exigences.
En Côte d'Ivoire, vous savez le contexte est politiquement chargé, l'ancien Chef de l'Etat Laurent Gbagbo est dans les mains de la justice internationale. Dans le pays, Alassane OUATTARA engage le combat de la Reconstruction sous fond de remous, ça ne manque pas. Quel positionnement pour l'ancien homme fort de Bouaké mais surtout quel avenir politique pour lui. C'est ce que nous tenterons de voir aujourd'hui avec celui qui, depuis lundi effectue une visite officielle de 5 jours au Sénégal.
Question : Excellence Guillaume Kigbafori SORO, bonsoir, vous êtes au Sénégal depuis lundi (Ndlr : Lundi 11 Juin 2013) pour une visite officielle de 5 jours. D'abord on l'a dit vous avez été Premier Ministre de Côte d'Ivoire avant de devenir Président de l'Assemblée Nationale. Comment s'est faite cette mutation, de Premier Ministre vous êtes devenu Président de l'Assemblée Nationale ?
Guillaume Kigbafori SORO : D'abord avant de répondre à votre question, vous me permettrez d'adresser mes premiers mots de remerciement à Son Excellence le Président Macky Sall, Président de la République du Sénégal et à mon Collègue, Ami et Frère, le Président Moustapha NIASSE, Président de l'Assemblée Nationale du Sénégal. Je dois dire et reconnaître, qu'il a eu l'initiative de m'inviter ici à Dakar pour bien entendu avoir des séances de travail avec le parlement Sénégalais. Je pense que c'est une bonne chose, cela permet bien entendu de rapprocher nos deux Institutions, les deux Parlements à la base. Ceci dit, en effet, vous l'avez souligné j'ai été Premier Ministre de la République de Côte d'Ivoire. Evidemment, à un moment donné de la vie de la Nation Ivoirienne, il m'est apparu, en harmonie et en parfaite concertation avec le Président de la République, utile d'aller n'est-ce pas, me frotter aux suffrages des électeurs. Je me suis rendu dans mon village pour solliciter les électeurs, j'ai été élu député ensuite j'ai sollicité le vote des députés et j'ai été élu Président de l'Assemblée Nationale. Ce que je peux dire, c'est que ce sont deux institutions totalement différentes, je m'y fais actuellement après deux ans à la tête du Parlement Ivoirien et je pense que c'est bénéfique pour moi en terme d'expérience.
Question : Mais cela a été une surprise sur le continent, beaucoup de gens ne s'attendait pas à cette mutation là et à un moment, les gens ont même pensé que c'était une sorte de sanction…
Guillaume Kigbafori SORO : Ah non pas du tout. Vous savez d'abord, il faut préciser qu'avant l'élection présidentielle de 2010 en Côte d'Ivoire, l'actuel Président, le Président Alassane OUATTARA avait passé un accord avec le PDCI-RDA, l'autre parti de l'ancien Président BEDIE. Donc il était évident qu'à partir du moment où cet accord avait été passé entre Monsieur OUATTARA et Monsieur BEDIE, que Monsieur OUATTARA en homme d'honneur qui tient parole, devrait exécuter sinon appliquer l'accord électoral qu'il avait signé avec le PDCI-RDA. C'est ce qui a justifié mon départ de la Primature. Vous constaterez, que le Gouvernement que j'avais formé le 1er Juin 2011, tous les ministres sont restés en place, seul le Premier Ministre a quitté le Gouvernement, c'était juste pour appliquer un accord électoral.
Question : Vous êtes très jeune, depuis votre vie d'étudiant, vous êtes aujourd'hui Président de l'Assemblée Nationale, les choses sont allées très vite. Comment vous avez pu réussir dans ces méandres là ?
Guillaume Kigbafori SORO : Disons, qu'il faut y voir une part du destin. C'est vrai que quand j'étais étudiant dans les années 90, je n'avais pas imaginé, bien sûr, que je serai le Premier Ministre de la Côte d'Ivoire et ensuite Président de l'Assemblée Nationale. Toujours est il que ma vocation, mon objectif a toujours été de mener le combat et le combat juste. Je me considère aujourd'hui comme un homme de mission. De la même façon que Secrétaire Général, Leader du mouvement estudiantin, ensuite Leader des Forces Nouvelles, la rébellion ivoirienne, après Premier Ministre et aujourd'hui Président de l'Assemblée Nationale, je suis en train d'accomplir ma mission.
Question : Tout ça, sur fond d'objectif ultime en ligne de mire et nous y reviendrons. Je dois dire quand même que vous avez travaillé avec l'ancien Président Laurent Gbagbo et vous travaillez avec OUATTARA aujourd'hui. Comment ça se fait tout ça ?
Guillaume Kigbafori SORO : Disons, que d'abord j'ai été Premier Ministre en 2007 à l'issue d'un accord politique. La Côte d'Ivoire depuis 2002, le 19 Septembre, était divisée en deux. Si on voulait réussir la réunification totale de ce pays, il fallait aboutir à un partage du pouvoir. Donc l'Accord Politique de Ouagadougou, le dernier en l'espèce, a défini clairement les responsabilités en ayant en ligne de mire, la réunification de la Côte d'Ivoire donc j'ai été nommé Premier Ministre. Je savais que les débuts ne seraient pas faciles parce que Monsieur Gbagbo et moi-même avions un certain caractère de sorte que ce n'était pas facile dès les débuts parce qu'il y avait une grande méfiance, il y avait même de la défiance. La preuve c'est que trois mois à peine que j'ai été nommé Premier Ministre, j'ai quand même été victime d'un attentat. Mais au-delà de ces vicissitudes, de ces problèmes, il fallait aller à l'objectif final qui était d'organiser des élections démocratiques et transparentes. C'est ce que j'ai fait et en Novembre 2010, le peuple souverain de Côte d'Ivoire en toute transparence et en toute responsabilité a porté son choix sur Monsieur Alassane OUATTARA. Evidemment, ma responsabilité en tant que Premier Ministre en ce moment là était de dire aux Ivoiriens, aux Africains et au monde entier qui avait gagné les élections. Et c'est cette responsabilité que j'ai assumée en me déterminant dès les premières heures pour dire que Monsieur OUATTARA avait gagné les élections.
Question : Pourquoi vous n'avez pas pris vos responsabilités quand on sait que vous étiez en position de force, pour avoir réussi à diviser le pays en deux, mais vous avez voulu jouer les neutres. Est-ce que vous avez été contraint du point de vue de l'âge ?
Guillaume Kigbafori SORO : C'est vrai qu'il y a eu de l'antagonisme, je dois dire même qu'il y a eu une situation d'opposition extrême entre nous mais la force et la capacité de viser uniquement l'intérêt général, je dis bien l'intérêt général de la Côte d'Ivoire, nous a emmenés à quitter l'arène militaire de la guerre pour nous transporter dans l'arène politique de négociation de paix. Et c'est en l'espèce, que nous avons décidé que la seule possibilité pour la Côte d'Ivoire de retrouver la paix et la réunification était d'aller à des élections démocratiques et transparentes ; c'est ce que nous avons fait.
Question : Nous allons faire tout à l'heure le bilan de ce processus de réconciliation. Mais tout cela s'est passé et aujourd'hui, vous êtes Président de l'Assemblée Nationale, l'un des plus jeunes Président sur le continent, c'est un honneur pour toute la jeunesse africaine. A ce titre là, vous êtes aujourd'hui en visite officielle au Sénégal. Quelles sont justement les raisons de cette visite ?
Guillaume Kigbafori SORO : Je l'ai dis tout à l'heure, le Président, mon Ami Moustapha NIASSE m'a invité pour venir au Sénégal pour que nos deux parlements puissent se rapprocher et s'inspirer des expériences de l'un et de l'autre. Donc, nous sommes ici pour partager nos expériences en matière parlementaire. Je trouve que c'est une bonne idée parce qu'après la séance de travail que nous avons eu hier, il y a des choses que j'entends mettre en œuvre, en application en Côte d'Ivoire. Par exemple, j'ai trouvé que c'était très intéressant, la question de la parité. En Côte d'Ivoire, sur les 255 députés que nous sommes, il n'y a que 25 femmes soit, 9,8% ce qui est un taux faible. Je pense que c'est très bien et que tous les autres pays du continent notamment de la sous-région et en particulier la Côte d'Ivoire, gagneraient à imiter l'initiative.
Question : Pour vous c'est un cas d'école le Sénégal ?
Guillaume Kigbafori SORO : Oui c'est intéressant, je pense que c'est une bonne chose et je vais, convaincu par les arguments de mes amis Sénégalais, je vais voir et essayerai de sensibiliser les hommes parlementaires et les Ivoiriens à accepter la parité chez nous.
Question : Pour vous l'option c'est quoi, ce sera la parité entière ou la partie partielle ?
Guillaume Kigbafori SORO : Ça sera aux députés ivoiriens, aux Ivoiriens d'engager le débat. Le mérite que j'aurais, c'est d'emmener le débat, de dire aux Ivoiriens : regardez nos voisins Sénégalais, ils font la parité et le ciel n'est pas tombé sur le Sénégal.
Question : Vous êtes quand même le Président de l'Assemblée Nationale par rapport à la question ?
Guillaume Kigbafori SORO : Je l'ai dit en début de Législature que je ferai la promotion du genre. Il y a plusieurs étapes. Certains pays par exemple ont opté pour le système des quotas, ici on parle de parité. En Côte d'Ivoire, je l'ai déjà dit, je ferai de la promotion du genre, une de mes politiques. Regardez, malgré le faite que nous n'avons que 25 femmes au parlement ivoirien sur les 255, nous avons six Commissions Permanentes à l'Assemblée Nationale et j'ai tenu à ce que ces Commissions soient dirigées paritairement autant par des hommes que des femmes. Voilà déjà des esquisses.
Question : Entre vous et le Président NIASSE, il y a un écart de génération. Vous l'avez dit hier, vous êtes venu vous inspirer au-delà de la relation entre les deux pays, de son expérience…
Guillaume Kigbafori SORO : J'ai une anecdote pour vous. Oui le Président Moustapha NIASSE est mon aîné de très loin en termes d'âge mais je l'appelle quand même mon cadet dans la fonction parce que j'ai été élu Président de l'Assemblée Nationale avant le Doyen Moustapha NIASSE et il l'accepte volontiers.
Question : Aujourd'hui, voyez l'état de la démocratie au Sénégal quand on sait que sur le continent, dans plusieurs pays, il y a des remous. Est-ce que cela vous inspire ? Est-ce que vous pensez que le Sénégal peut être un moteur dans le processus de réconciliation en Côte d'Ivoire ?
Guillaume Kigbafori SORO : Disons le tout net : Oui. Je pense que le Sénégal a une expérience démocratique réussie. J'en veux pour preuve déjà le fait que vous n'ayez pas connu une déstabilisation longue de votre Etat et que vous n'ayez pas connu une crise postélectorale violente comme nous l'avons connue. Il y a quand même eu ici, une transition pacifique du pouvoir, c'est à saluer, je pense que c'est une bonne chose et que nous, Ivoiriens, du haut de nos 3.000 morts, étions fiers que le Sénégal ait réussi à éviter les tueries et les crises postélectoraux qui ont fait tant de tort à notre pays.
Question : Un des points fondamentaux est cet accord de partenariat que vous avez signé avec le Sénégal. Au-delà des deux parlements, en quoi les populations des deux pays peuvent bénéficier de cet accord ?
Guillaume Kigbafori SORO : Les missions constitutionnelles dévolues à l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire sont connues, la première mission constitutionnelle importante est la votation des lois. C'est-à-dire que les députés doivent voter les lois. La deuxième mission, c'est bien entendu, le contrôle de l'action gouvernementale et la troisième mission est une mission de représentation. Dans le volet représentation, vous avez ce qu'on appelle la coopération parlementaire. Dans le cadre de la coopération parlementaire, nous avons des organisations comme l'Union Interparlementaire, sachez-le, est pour les parlementaires, ce que l'ONU est pour les Etats. Nous avons aussi par exemple pour les pays francophones, l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF). J'ai considéré qu'on pouvait avoir des accords bilatéraux avec certains pays. Nous avons déjà un accord bilatéral avec la Belgique et j'ai considéré qu'il est important que nous ayons un accord bilatéral avec le Sénégal. Nous allons signer demain (Ndlr : Jeudi 13 Juin), nous avons transmis le projet à nos amis du Sénégal, le Président Moustapha NIASSE m'a assuré qu'il était en phase avec nous, et nous allons signer cette convention de coopération.
Question : C'est la toute première que vous signez avec un Etat africain ?
Guillaume Kigbafori SORO : C'est la première convention que nous allons signer avec un Etat africain notamment le Sénégal. Cette convention de coopération met en place le cadre de collaboration entre l'Assemblée Nationale du Sénégal et l'Assemblée de la Côte d'Ivoire. Par exemple, nous pourrions faire des échanges d'expérience en matière de travail parlementaire. Nous pourrions envoyer certains de nos fonctionnaires ici voir comment l'administration de l'Assemblée Nationale du Sénégal fonctionne et vice-versa.
Question : D'autant que vous êtes dans un contexte de reconstruction post-guerre…
Guillaume Kigbafori SORO : Oui dans un contexte de reconstruction de nos Institutions. Vous savez bien que l'Assemblée Nationale Côte d'Ivoire depuis 2010, n'avait pas été renouvelée et qu'elle a fonctionné au ralenti.
Question : En Côte d'Ivoire l'actualité c'est aussi, on l'a dit tantôt, la reconstruction, quel est le bilan à l'heure où nous parlons en ce moment ?
Guillaume Kigbafori SORO : Le Gouvernement depuis 2011 fait un travail formidable. Au plan de la sécurité, des réformes sont prises, mûries, réfléchies et vont être mises en œuvre. En matière de sécurité, je pense que la Côte d'Ivoire a fait rapidement beaucoup de progrès par exemple, l'indice de sécurité qui est évalué par les Nations-Unis est passé de 4 à 1, ce qui permet par exemple qu'aujourd'hui, la Banque Africaine de Développement (BAD) qui avait été délocalisée en Tunisie, revienne en Côte d'Ivoire à Abidjan. Et vous savez, il y a quelques semaines seulement à Marrakech au Maroc, l'Assemblée de la BAD a décidé de son retour en Côte d'Ivoire. Je pense que la situation sécuritaire est au mieux parce que cette institution ne déciderait pas de revenir en Côte d'Ivoire si la Sécurité n'était pas garantie au mieux dans ce pays.
Question : Il y a aussi des remous ces derniers temps avec l'affaire de Man. Avant cela, il y a avait Bouaké avec les ex-combattants qui manifestaient…
Guillaume Kigbafori SORO : Quand je dis cela, je ne suis pas en train de dire que la Côte d'Ivoire est le pays le plus sécurisé au monde. La question de sécurité est un défi permanent pour tous les pays…
Question : Est-ce qu'aujourd'hui, vous avez la situation en main au niveau des démobilisés, au sujet du désarmement et autre ?
Guillaume Kigbafori SORO : Absolument, ce sont des choses qui sont réglées. Evidemment, après une grave crise comme on l'a connue, il y a eu encore quelques escarmouches localisées sur des frontières notamment la frontière Ouest. Mais, qui connait la Côte d'Ivoire, qui a vécu en Côte d'Ivoire depuis 1960 sait que ce n'est pas une situation nouvelle, l'ouest de la Côte d'Ivoire a toujours été une région tumultueuse pour plusieurs raisons. D'abord nous partageons une longue frontière avec le Libéria qui a longtemps été déstabilisé et dans cette partie de la sous-région, circulent des armes, circulent aussi quelques mercenaires. Donc c'est localisé, nous maîtrisons parfaitement la situation.
Question : Cela intervient, vous le savez, au moment où les experts indépendants des Nations-Unis publient un rapport sur les droits de l'homme en Côte d'Ivoire qui dit qu'il y a des progrès mais il y a des zones d'ombre et il reste beaucoup de choses à faire..
Guillaume Kigbafori SORO : Moi je retiens de ce que vous dites, le mot progrès. Evidemment, en période de guerre, il faut le reconnaître les droits de l'homme valent ce qu'ils valent. Cela n'a rien à avoir avec le continent africain, c'est sur tous les continents…
Question : Quelle appréciation faites vous déjà de ce rapport ?
Guillaume Kigbafori SORO : Je ne suis pas de ceux qui critiquent, qui dénigrent ou qui calomnient les Organisations des Droits de l'Homme. Moi-même en tant qu'étudiant, j'ai bénéficié du soutien des ONG, d'Amnesty International et j'ai même été prisonnier politique déclaré par ''Amnesty International''. Donc, je ne suis pas de ceux qui vont porter la vindicte sur ces Organisations. Ce que je dis simplement, la Côte d'Ivoire a connu une situation de guerre et quand on est en guerre, c'est vrai que les Droits de l'Homme souffrent. Maintenant que la Guerre est terminée, le Gouvernement OUATTARA prend des mesures et des dispositions pour fermer la parenthèse des violations des Droits de l'Homme. Ces Organisations qui font ces rapports, à mon avis, ont pour objectifs, d'encourager le gouvernement à prendre plus de mesures pour assurer les Droits de l'Homme en Côte d'Ivoire et c'est une bonne chose.
Question : D'aucuns pensent que la justice sociale en a pris un coup avec ce qu'on appelle partout « la Justice des Vainqueurs » chez vous avec l'arrestation de Laurent Gbagbo et dernièrement le chef des jeunes du FPI (Ndlr : Koua Justin). Est-ce que tout cela favorise la réconciliation en cours ?
Guillaume Kigbafori SORO : Vous ne m'embarrassez pas avec cette question et je vais vous répondre. Qu'est ce que ça veut dire la justice des vainqueurs ? C'est un slogan politique et c'est même politicien. En réalité, qu'est-ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire ? Qui est à l'origine de la violation des Droits de l'Homme ? Qui est à l'origine de toute cette violence qui s'est abattue sur la Côte d' Ivoire ? Si le 28 Novembre 2010, Gbagbo ayant perdu les élections avait accepté de faire une transition pacifique du pouvoir à Monsieur OUATTARA, il n'y aurait pas de violation des Droits de l'Homme. Bien au contraire, ce qui s'est passé, c'est que Monsieur Gbagbo voulant coûte que coûte conserver le pouvoir a lancé des miliciens, son armée et des chars pour tuer les populations civiles. Donc, face aux populations civiles qui se faisaient massacrer dans les rues, vous avez même vu les films sur internet des citoyens de Côte d'Ivoire en train de brûler d'autres citoyens ivoiriens. Vous pensez qu'une armée responsable, un Président qui a été élu pouvait rester insensible ? Nous avons déclenché des hostilités en Côte d'Ivoire pour stopper la violence à Abidjan, pour empêcher que les miliciens de Gbagbo continuent d'exécuter froidement des Ivoiriens dans les rues. Nous avons déclenché cette opération militaire comme le voulait d'ailleurs la CEDEAO, comme le voulait les Nations-Unis pour mettre fin au règne de la terreur dans la ville d'Abidjan.
Question : Mais pourquoi il n'y a pas eu d'arrestation dans votre camp ?
Guillaume Kigbafori SORO : Qu'est ce que vous en savez ? Informez-vous. Après toute cette violence, oui, les partisans, Monsieur Gbagbo lui-même et tous ceux qui étaient dans sa résidence bunkerisée ont été arrêtés. Sur les 160 qui y étaient, nous avons sorti sain et sauf, je dis bien sain et sauf, 157 personnes que nous avons, par un couloir humanitaire, envoyé au Golf (Ndlr : Golf Hôtel), logé dans nos propres chambres, nous qui étions encerclés au Golf. Personne n'est mort sauf l'ancien Ministre de l'Intérieur qui est décédé suite à une balle perdue. Mais celui-là, il n'est pas mort au Golf, on l'a envoyé à la PISAM, une des cliniques les plus huppées de qualité à Abidjan, il y est mort. Ce qui signifie justement que nous n'avons pas voulu maltraiter les hommes de Monsieur Gbagbo. Mais maintenant, quand vous dites tout ceci, où est ce que vous mettez les 3.000 morts ? Est-ce que vous pensez aux Ivoiriens qui ont été tués, égorgés, exécutés sommairement, vous n'en parlez pas. C'est le sort de Monsieur Gbagbo qui vous intéresse…
Question : Oui mais il y a eu deux camps qui se sont affrontés…
Guillaume Kigbafori SORO : Ce que je suis en train de vous dire, aussi bien au Mali, l'armée française comme Monsieur François Hollande l'a dit quand il recevait le Prix Félix Houphouët Boigny pour la Paix, il dit : « Il peut paraître paradoxal qu'on me donne ce prix aujourd'hui pour la recherche de la Paix au moment où j'ai déclenché une guerre au Mali ». Quand il a déclenché la guerre au Mali, il y a eu des morts parce qu'une guerre ça donne des morts. Maintenant, ce que je suis en train de vous dire c'est que, un, ceux-là ont été arrêtés, ils seront jugés, ils iront en prison pour les 3.000 morts qu'ils ont occasionnés à la Côte d'Ivoire. Maintenant, l'armée de Côte d'Ivoire, les Forces Républicaines de Côte d'Ivoire qui bravement ont déclenché des hostilités pour mettre fin à la terreur à Abidjan, si certains parmi eux ont commis des dérives, ils seront bien entendu sanctionnés mais ne soyez pas pressés, ne vous précipitez pas parce que dans la précipitation, on commet des erreurs. Donc, nous voulons aller doucement à notre rythme parce que tout simplement, quand nous sommes arrivés à Abidjan, l'Etat de Côte d'Ivoire n'existait plus ; il n'y avait plus de policiers, il n'y avait plus de gendarmes, il n'y avait plus de tribunaux. Nous sommes en train de reconstruire notre justice.
Question : L'Etat ivoirien est de retour ? La justice est en place ?
Guillaume Kigbafori SORO : Je vais vous donner un exemple tout simple, Monsieur Gbagbo est à la CPI depuis décembre 2011 et pourtant il n'a pas encore été jugé. La CPI qui a plus de moyens et qui n'a pas connu les ravages d'une crise postélectorale jusqu'à présent, il n'est pas encore jugé. Pourquoi vous êtes si tolérants et vous n'êtes pas pressés avec la CPI et puis vous êtes pressés avec la Côte d'Ivoire ? Laissez- nous faire le travail à notre rythme.
Question : Tout se fait dans les règles de l'art donc ?
Guillaume Kigbafori SORO : Absolument ! Et ce sera en toute transparence. Je vais même vous donner un exemple. Il y a un Général, le Général Dogbo Blé qui a été accusé d'avoir fait exécuté un Colonel de l'armée en Côte d'Ivoire qui avait eu pour seul tort d'être venu rendre visite à sa famille retenue au Golf, quand il est sorti, on l'a exécuté. Quand ce fait a été porté à la connaissance de l'opinion publique nationale, tout le monde s'attendait à ce que le Général Dogbo Blé soit condamné à perpétuité mais notre justice, en toute indépendance, en toute autonomie l'a condamné à quinze (15) ans de prison. J'ai eu beaucoup de citoyens qui m'ont appelé pour me dire « Monsieur Soro, nous ne sommes pas d'accord avec cette décision de justice, ce monsieur est auteur de massacres mais il n'est condamné qu'à quinze ans de prison là où nous voyons la peine de mort ». Je leur ai dit désormais habituez-vous à une justice indépendante.
Question : Aujourd'hui, tout cela semble derrière, la croissance semble de retour, dites nous rapidement qu'est ce qui a favorisé cela.
Guillaume Kigbafori SORO : Je pense que c'est le travail et le mérite du Président de la République. Le Gouvernement a travaillé d'arrache-pied et les choses sont allées rapidement. Il fallait reconstruire l'Etat de Côte d'Ivoire ; retenez-le, la Côte d'Ivoire devait être reconstruite. Après la crise postélectorale en 2011, il existait une seule institution en Côte d'Ivoire : la Présidence de la République. Le Président de la République a mis en place le Gouvernement et il nous a chargés très rapidement de remettre en place les institutions. Six mois après la mise en place du Gouvernement, nous avons tenu les élections législatives, ce n'est pas rien, ce n'est même pas banal parce que certains pays bien que n'ayant pas connu la situation que nous avons vécue, n'ont pas encore fait d'élections législatives. Nous avons mis l'Assemblée Nationale en place, nous avons mis toutes les autres institutions en place, nous avons achevé le mois dernier le processus électoral par l'organisation des élections locales. Je pense que c'est une bonne chose et c'est tout cet environnement de paix, de tranquillité, d'accalmie et de sécurité aussi parce que les investisseurs ne vont pas là où il n'y a pas de sécurité qui a permis que nous fassions un taux de croissance de 9,8%.
Question : Guillaume SORO, politiquement, jusqu'où voulez-vous aller ?
Guillaume Kigbafori SORO : Je suis un homme de mission, j'ai été Premier Ministre, je suis Président de l'Assemblée Nationale, je me consacre exclusivement à faire en sorte que l'Assemblée Nationale tienne toute sa place au cœur de la République ivoirienne, c'est ce que je suis en train de faire ; repositionner l'Assemblée Nationale au plan international…
Question : Vous voulez révolutionner le parlement en Côte d'Ivoire ?
Guillaume Kigbafori SORO : Voilà, remettre le parlement au travail, mettre les députés au travail, faire en sorte que le parlement, deuxième pouvoir de l'Etat de Côte d'Ivoire, assume pleinement toute sa responsabilité et offre aux Ivoiriens des lois modernes, des lois qui se préoccupent de leur quotidien et qui permettent effectivement l'épanouissement de tous les Ivoiriens.
Question : Aujourd'hui, vous travaillez avec le Président Ouattara, allez-vous être candidat aux prochaines élections ou allez-vous le soutenir pour son deuxième mandat ?
Guillaume Kigbafori SORO : Ah non, j'ai été clair là-dessus, je suis de ceux qui pensent que « à chaque jour suffit sa peine ». Aujourd'hui, le Président Ouattara est en train de faire un bon travail et je le soutiens totalement et entièrement…
Question : Vous serez candidat ou vous ne le serez pas ?
Guillaume Kigbafori SORO : Je ne serais pas candidat, quand je dis ceci, c'est pour aboutir au fait que je ne suis pas candidat pour les élections en 2015 et je soutiendrai le Président Ouattara. Je l'accompagnerai pour qu'il soit réélu en 2015 pour consolider les acquis de sa politique de développement de la Côte d'Ivoire…
Question : Et après, y a-t-il un deal pour qu'il vous laisse le pouvoir ?
Guillaume Kigbafori SORO : Même si c'était un deal, je ne vous le révélerai pas ici. Donc, aujourd'hui, je soutiens sans contrepartie le Président Ouattara parce que d'abord un, je crois que c'est l'homme de la situation pour la Côte d'Ivoire. Deuxièmement, les résultats sont là pour penser que ce Monsieur qui en deux ans a révolutionné l'économie ivoirienne mérite d'être soutenu pour que son programme puisse bénéficier aux Ivoiriens et qu'un deuxième mandat lui permette justement de consolider ses acquis.
Question : Et à la fin du deuxième mandat ?
Guillaume Kigbafori SORO : Vous savez, on n'est pas devin, on ne peut pas se projeter sur dix, quinze ans en politique surtout parce qu'en politique les choses évoluent et fluctuent énormément. Pour l'heure, je suis avec le Président Ouattara.
Question : Vous ne pouvez pas avoir fait tout ce parcours au devant de la scène depuis et ne pas avoir d'objectif en ligne de mire.
Guillaume Kigbafori SORO : Je comprends que ce soit votre souhait mais en politique c'est différent, il faut s'atteler à exécuter la mission qu'on vous confie. Je ne suis pas un homme d'ambition, un ambitieux ou un arriviste, je suis un homme de mission.
Question : Quel est le style de vos relations aujourd'hui avec Blé Goudé, on vous savait un peu proches quand vous étiez étudiant ?
Guillaume Kigbafori SORO : Ah non ! Blé Goudé a été un compagnon de lutte dans le mouvement étudiant. Je vous rappelle que j'ai été celui qui a emmené Blé Goudé dans le Bureau Exécutif National de la Fédération Estudiantine et Scolaire de la Côte d'Ivoire, donc il a été un compagnon dans les moments de nos luttes estudiantines. Malheureusement, je dis bien malheureusement, Monsieur Blé Goudé n'a pas entendu la voix de la raison, il a dérivé et c'est dommage.
Question : Vous en avez souffert ?
Guillaume Kigbafori SORO : C'est toujours triste de voir un camarade qui au lieu d'embrasser les valeurs connues, les vertus, malheureusement tombe dans la déréglementation et va à la dérive.
Question : Depuis que vos chemins se sont séparés, vous ne l'avez jamais revu ?
Guillaume Kigbafori SORO : Non non, nos chemins se sont séparés. Pendant la signature de l'Accord Politique de Ouagadougou, nous nous sommes retrouvés. Mieux, quand Monsieur Gbagbo a voulu conserver, contre la raison et contre le vote populaire des Ivoiriens, le pouvoir ; j'ai fait passé des messages à Monsieur Blé pour lui : « Tu es jeune, tu n'as pas à sceller ton destin », malheureusement, il ne m'a pas entendu.
Excellence, je vous remercie, merci de nous avoir accordé cette interview exclusive.
Interview retranscrit par Hussein KOUAME
Guillaume Soro sur RTS : ''Blé Goudé n'a pas entendu la voix de la raison, il a dérivé et c'est dommage'' - Photo à titre d'illustration