Les loyers à usage d’habitation connaissent une hausse vertigineuse ces derniers mois à Abidjan, où face au déficit de logements, les propriétaires et intermédiaires imposent leurs lois fixant des cautions et avances à leur guise et sans remord.
A Marcory, une cité abritant plusieurs grandes surfaces, dans le Sud d’Abidjan, il faut désormais débourser autour de 150 000 Fcfa à 400 000 Fcfa pour acquérir un loyer de trois pièces, ce qui n’était pas le cas, il y a cinq ans. Pour une habitation de deux pièces, il faut prévoir plus de 100 000 Fcfa.
Le prix des loyers grève la bourse des ménages à Abidjan dans un contexte économique difficile. Un fait dû en partie, à la multiplicité d’intermédiaires ou tiers intervenants qui se sont improvisés « agents immobiliers » et qui en ont fait un métier, sans agrément.
Didier, un homme de la quarantaine, lui, vit de cette activité depuis plus de cinq. Avec les commissions recueillies, il s’occupe de ses quatre enfants dans un studio de fortune, où il réside d’ailleurs avec sa compagne. Toute la journée, il parcourt le Sud d’Abidjan à la recherche d’habitations à mette sous bail.
Les studios qu'il proposent vont autour de 60 000 Fcfa à plus de 70 000 Fcfa, des chambrettes, auparavant cédées autour de 40 000 Fcfa. Au regard de la forte demande, il table sur les cas des personnes pouvant satisfaire à ses exigences au niveau de la caution et des avances sur loyer.
Les cautions et avances sur loyer deviennent insoutenables. M. Ellogne Epoin, un cadre qui recherche urgemment une habitation rapporte avoir contacté des démarcheurs qui lui exigent huit mois de caution et d’avance sur loyer, ce qui à ses dires, va au-delà de un million.
Caution et avance sur loyer
L’Etat de Côte d'Ivoire a adopté une loi relative au bail à usage d’habitation et qui plafonne notamment les sommes à verser par les locataires aux bailleurs, lors de la conclusion du contrat de bail à usage d’habitation, à deux mois de caution et deux mois à titre d’avance sur loyer (soit un règlement sur 4 mois).
Ainsi, tout paiement de caution et d’avance sur loyer autre que celui prévu par le présent dispositif légal devrait faire l’objet d’une déclaration à l’administration fiscale. Par conséquent, « la violation de cette disposition constitue une infraction fiscale ».
« Pour ma maison de trois pièces au Plateau Dokui (à l’Est d’Abidjan), j’ai payé un total de huit mois », confie un locataire qui a requis l’anonymat, insinuant qu'au départ le propriétaire a fixé « un mois de loyer et sept mois de caution » avant que cela ne soit inversé suite à de disputes, après avoir intégré l’appartement.
Ce même type d’appartement (deux chambres et salon) qu'il paie mensuellement à 70 000 Fcfa depuis trois mois, est cédé aujourd'hui entre 150 000 Fcfa et 200.000 Fcfa dans le giron. Récemment, poursuit-il, une habitation de trois pièces a été louée dans notre secteur à 200 000 Fcfa.
Avec la vision du gouvernement d’offrir un cadre de vie sain aux populations, les mairies ont engagé d’importants travaux d’aménagement qui ont vu des secteurs non lotis rasés et des maisons de fortunes déguerpies, poussant des sans logis vers des quartiers précaires.
Dans les communes de Koumassi (Sud Abidjan), plusieurs habitations ne respectant pas les normes et construites sur les emprises publiques ont été déguerpies, une situation qui a entraîné la flambée des prix des maisons. A Port-Bouët (Sud d’Abidjan), le centre ville est saturé et seulement les quartiers précaires accueillent du monde. Ici, encore les prix connaissent une poussée.
Au niveau de Cocody, une commune huppée à l’Est d’Abidjan, où résident quasiment les plus hautes autorités du pays, les habitations sont encore plus onéreuses, surtout pour les nouveaux locataires qui souhaitent acquérir trois ou quatre pièces. Selon le pas de porte les coûts vont de 150 000 à 400 000 Fcfa, voire plus.
Paradoxalement, les maisons de deux pièces (une chambre et salon) à Cocody ont un coût plus raisonnable qu'à Marcory. Aujourd'hui, il est possible d’avoir une chambre et salon à 80 000 Fcfa ou 90 000 Fcfa à Cocody, ce qui semble impossible à Marcory, nouvel eldorado des « agents immobiliers » et des tiers intervenants.
Dans la commune de Yopougon, une cité populaire à l’Ouest d’Abidjan le problème du coût des loyers se posent avec moins d’acuité. Cette « Chine populaire » enregistre plusieurs quartiers précaires et la destruction des sites sur les emprises publiques amorcée par la marie pourrait, selon l’ampleur, créer une flambée des prix des maisons.
Tiers intervenants
Le recours à un tiers intervenant en vue de la conclusion d’un contrat de bail à usage d’habitation est facultatif. Concernant l’exercice de la profession de tiers intervenant dans la conclusion d’un bail à usage d’habitation, les conditions et les modalités de leur agrément devraient être fixées par décret pris en Conseil des ministres.
Pour visiter un appartement, les tiers intervenants exigent la somme de 5 000 Fcfa comme droit de visite, un montant non remboursable même si l’habitation indiquée ne répond pas au goût de la personne en quête de loyer. Et ce, sans aucun reçu.
Yaya Sanogo, président de l’association du bail locatif, estime que « la sanction qui a été prise à l’encontre des propriétaires réfractaires n’est pas contraignante et dissuasive » pour le propriétaire qui ne respectent pas la loi sur les cautions et avances sur loyers.
En outre, ajoute-t-il, « l’Etat ne s’est pas engagé pour son application sur le terrain». Il s’interroge du plan d’application que le gouvernement compte faire pour que cette mesure qui vise à lutter contre la cherté de la vie permette de réguler les baux locatifs.
Pour M. Yaya Sanogo, l’activité des intermédiaires dans le bail locatif n’est « pas bien organisé » en dehors des agences immobilières agréés par l’Etat, et qui veillent à l’application de cette loi. Il recommande un contrat de bail certifié par l’Etat car certains contiennent des « clauses abusives ».
Une loi pas trop corsée
Selon M. Yaya Sanogo, président de l’association du bail locatif la loi sur le plafonnement des cautions et avances sur loyer « n’est pas contraignante ». De ce fait, les propriétaires dictent leurs lois aux demandeurs sans être inquiétés.
En outre, les propriétaires et les tiers intervenants imposent des contrats de bail « taillés sur mesure » et souvent au détriment des locataires. C’est pourquoi « il faut un contrat de bail certifié par l’Etat et qui doit être signé obligatoirement par toutes les parties ».
Le défaut de déclaration auprès de la direction générale des impôts de l’exercice d’une activité lucrative à titre professionnel est sanctionné. Cependant, il est rare de voir des poursuites engagées contre un propriétaire ou un tiers intervenant pour défaut de déclaration concernant le bail à usage d’habitation.
L’axe fiscale de 2018 a institué une taxe sur la quote-part des sommes versées aux bailleurs qui excèdent les limites autorisées. Une mesure qui s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la cherté de la vie, en vue de protéger les locataires contre les « abus et les représailles » des propriétaires.
L’article 1143, introduit dans le Code général des impôts sous le titre « Taxes sur les excédents des montants des cautions et avances sur loyers autorisés », mentionne que cette nouvelle taxe est perçue au taux de 20% assis sur les sommes excédentaires.
Le nouvel article 1143 du Code général des impôts prévoit par ailleurs que cette taxe constitue un acompte déductible de la base de l'Impôt général sur le revenu (IGR) des propriétaires d'immeubles concernés, rapporte un expert en fiscalité.
La taxe sur les excédents des montants des cautions et avances sur loyers est calculée au taux de 20% et constitue un montant déductible de la base de l'Impôt général sur le revenu (IGR) des propriétaires d'immeubles concernés, selon le dispositif fiscal.
La perception de cette taxe avait été confiée au receveur des impôts fonciers du lieu de situation de l’immeuble. Mais, pour des raisons d’ordre pratique, le recouvrement a été confié dans l’annexe fiscale 2019 au receveur du domaine, de la conservation foncière, de l’enregistrement et du timbre du lieu où le contrat de bail est enregistré.
L’Etat ivoirien se trouve face à un dilemme. S’il durcit les règles relatives au bail locatif, il pourrait décourager les particuliers à investir massivement dans l’immobilier dans un contexte où la Côte d'Ivoire enregistre un fort déficit en matière de logements, surtout à Abidjan.
Le déficit de logements en Côte d’Ivoire est évalué à 400 000 unités par an dont 200 000 pour le District d’Abidjan. Il croit de l’ordre de 10% chaque année, entraînant une hausse des coûts de loyers en raison de la forte demande.
AP/ls/APA
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