Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski a gracié l'ancien dictateur du pays, Alberto Fujimori. Condamné en 2009 à 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité et corruption, il a officiellement été gracié pour des raisons de santé. Sauf que sa libération intervient trois jours après l’échec d’un vote au Parlement pour destituer l'actuel président. Destitution rejetée grâce à l’abstention des fidèles de l’ex-dictateur. Alors la polémique enfle : l'actuel chef de l'Etat a-t-il échangé son maintien au pouvoir contre la liberté d'un criminel ?
Dans le centre historique de Lima, la grande place paraît bien vide. Elle a été bloquée par la police pour empêcher toute manifestation au pied du Palais présidentiel. Les anti-fujimoristes se sont rabattus sur la place San Martin toute proche, constate notre correspondant à Quito, Eric Samson.
Certains ont même manifesté près du domicile privé du président Kuczynski à qui ils reprochent de ne pas avoir respecté sa promesse électorale de ne pas libérer Alberto Fujimori. Pour Amnisty International, la grâce médicale concédée à l’ancien président est « un coup dur porté à la lutte contre l’impunité. »
A peine publiée, l'annonce de cette grâce a poussé plusieurs milliers de personnes dans les rues de Lima. Photos des victimes du régime Fujimori en mains, ils ont qualifié la grâce « d'insulte » et l'actuel chef de l'Etat de « traitre ».
Manœuvres politiques ?
Gloria Cano, directrice de l'Association pro-droits humains, une organisation qui s'engage depuis des années en faveur des victimes de la dictature Fujimori a désormais « la certitude que cette grâce présidentielle a été négociée entre le président Kuczynski et une partie des Fujimoristes ».
En effet cette libération intervient trois jours seulement après l’échec d’un vote de destitution de l’actuel dirigeant du Pérou. Celui-ci ne doit son maintien au pouvoir qu’à l’abstention d’une partie des députés, dont Kenji Fujimori, fils cadet de l'ancien dictateur.
Gloria Cano se dit désolée « de voir le président avoir recours à ce genre de manœuvre » et obligée « de constater que la seule chose qui lui importe c'est de rester au pouvoir ». Et pour cela, elle n'en doute pas, il a fallu négocier. « Ils ont fait un échange : la grâce pour Alberto Fujimori contre les votes que ont permis à Kuczynski de rester à la présidence de la République ».
Les familles des victimes de la dictature ont annoncé vouloir introduire des recours devant des instances internationales, pour que la grâce d'Alberto Fujimori soit annulée et que l'ancien homme fort du Pérou purge la totalité de sa peine.
Bouleversement de l'échiquier
Le vainqueur de la crise actuelle semble être Kenji Fujimori. Le fils de l’ancien président s’est abstenu lors de la motion de destitution de Kuczynski et a convaincu neuf autres députés de l’imiter. Il n’a pas hésité à diviser le parti fujimoriste dirigé par sa sœur pour obtenir la libération de son père, son objectif depuis toujours. Ses ambitions présidentielles en sortent renforcées.
Même si les deux parties le nient, la libération d’Alberto Fujimori a donc permis au président de conserver son poste. Kuczynski ressort cependant de cette crise très affaibli. Trois des députés de son parti « Péruviens pour le Changement » vont se retirer du groupe parlementaire officiel déjà maigrelet et un remaniement ministériel est attendu dans les prochains jours, centré sur les fidèles du président, chaque jour moins nombreux.
Des manifestants brandissent des photos des victimes de l'ex-dictateur Alberto Fujimori pour dénoncer sa libération, à Lima au Pérou, le 25 décembre 2017. REUTERS/Mariana Bazo