L’ancien numéro deux du FMI, qui brigue un deuxième mandat en octobre prochain, revient sur son parcours politique, tire un bilan des progrès économiques accomplis, et livre son espoir pour le continent africain.
Il y a quatre ans tout juste, le 21 mai 2011, Alassane Ouattara était investi président de la Côte d’Ivoire, après une décennie de crises politiques et un conflit ayant ensanglanté le pays. Dans une interview accordée à Challenges, l’ancien numéro deux du FMI, qui brigue un deuxième mandat en octobre prochain, revient sur son parcours politique, tire un bilan des progrès économiques accomplis sous son mandat, et livre son espoir pour le continent africain.
Votre engagement politique vous a conduit à la fonction suprême en 2011, après un parcours particulièrement long et ardu. Qu'est ce qui vous a motivé?
Lorsque j'étais numéro deux du Fonds Monétaire International [de 1994-1999], compte tenu des difficultés que traversait mon pays, j'ai estimé qu'on pouvait faire mieux, aller plus vite, accélérer notre croissance économique et se faisant, accélérer la réduction de la pauvreté, donner la réalité d'un pays moderne, au travail. Pourquoi donc rester dans mon confort à Washington? J’ai considéré qu’il était de mon devoir de rentrer au pays et d'y apporter ma contribution. C’est ainsi que j'ai décidé de revenir en politique.
Ce retour n’a pas été facile et sur certains aspects il a même été difficile. Je suis revenu en 1999, j’ai été élu en 2010. (il éclate de rire). Finalement, ce n'est pas très long en Afrique... Mi avril, lorsque j'ai rencontré le président Buhari, au Nigeria, je lui ai dit avec beaucoup de fierté que j'avais passé douze ans dans l’opposition. Il m’a rétorqué qu'il avait attendu seize ans et échoué à trois élections avant de réussir !
Avez-vous été inspiré par certains modèles de développement ?
En Afrique du Sud, avec Frederik de Klerk puis Nelson Mandela, je voyais un courage politique, des réformes, et la démocratie qui prenait racine. En Afrique du Nord, j'ai pu observer que le Maroc commençait à évoluer. Même la Tunisie était un bon exemple malgré l’autoritarisme. En Asie, la crise financière a perturbé les choses mais des pays comme la Corée ou Singapour ont montré des modèles de développement intéressants. Dans les meilleurs exemples, les réformes et le renforcement des institutions ont été les piliers de la modernisation.
Vous êtes maintenant aux affaires du pays depuis quatre ans. Pendant ces quatre années, quel a été le dossier plus ardu ?
Honnêtement, tout a été difficile. Nous avons pris un pays en ruine, divisé, où le travail n'avait plus aucune valeur, où régnaient le banditisme et l’insécurité. Quand nous sommes sortis de l'hôtel du Golf [zone sécurisée par l'ONU où il s'était réfugié plusieurs mois au lendemain de son élection contestée par son rival Laurent Gbagbo], les gens ramassaient des dizaines de corps tous les jours dans les rues d'Abidjan. Il y avait des risques d’épidémies de toutes sortes. Tout était à refaire.
Les Ivoiriens avaient assez souffert ; cela nous a motivé à très vite nous mettre au travail. C’est par la détermination et l’acharnement que nous avons fait bouger les choses. J'ai réussi à constituer autour de moi une bonne équipe, expérimentée, motivée et compétente. Cela a porté ses fruits. Je m'appuie sur deux piliers, mon Premier ministre et mon Secrétaire général de la présidence. Ensemble, nous avons mis en place une organisation qui fonctionne bien.
Votre programme économique a mis l'accent sur les infrastructures. Ce choix permet-il aux populations de profiter de la croissance ?
Je suis un libéral. Je crois aux politiques libérales, je crois aux réformes. C’est l’option que j'ai choisie. Avant de parler d'infrastructures, il faut créer un cadre macroéconomique sain.
On ne peut pas financer les infrastructures sans la confiance des investisseurs. Pour cela, il faut que les agrégats économiques - l'inflation, le niveau d'endettement, le déficit budgétaire ... - soient à des niveaux adéquats et que l’environnement des affaires soit attractif.
Quand ceci est en place, tout le reste suit. Dans un premier temps, les investisseurs ont répondu aux besoins de reconstruction d'un pays en ruine. Le taux de récession était de 4,5% en 2011. Cet afflux de capitaux a permis de faire rebondir le taux de croissance à plus de 10% l'année suivante.
La reconstruction a donc mis l’accent sur les infrastructures mais ce n'est qu'une facette de notre action économique. Nous avons ciblé toutes les composantes pour que la croissance se répercute sur les revenus des citoyens afin d’accroître leurs revenus et d’améliorer leur bien être.
Nous nous sommes d'abord occupés des paysans, qui représentent un tiers de la population. Nous avons procédé à une réforme approfondie des filières agricoles, en particulier celle du cacao. Ceci a permis que les producteurs perçoivent une bien meilleure compensation pour le fruit de leur travail. Ainsi nous avons décidé qu'ils toucheraient au moins 60% du prix sur les marchés internationaux, contre 40% auparavant.
Les prix des matières premières ayant évolués de façon positive ces dernières années, les revenus de nos producteurs ont augmenté par conséquent de 60% depuis que je suis aux affaires.
Dans le secteur privé, le salaire minimum inter garanti, qui avait été au même niveau pendant 20 ans, est passé de 50 à 90 euros environ par mois. Il a presque doublé. Enfin, dans la fonction publique, j'ai débloqué les salaires. Les agents de la santé ont reçu des augmentations de 30% en trois ans.
Les enseignants - qui représentent 50% des effectifs - auront perçu des hausses de salaire entre 17 et 32%. Comme vous pouvez le constater, nous avons considérablement œuvré afin que la croissance soit inclusive et qu'elle profite à la population. Certes il nous reste du chemin à parcourir mais les résultats obtenus à ce jour sont probants.
Les indicateurs permettent-ils déjà de le prouver?
Le taux de pauvreté était à 51% en 2010. Nous attendons les résultats d'une étude d'ici fin juin mais il est probablement tombé aux alentours de 35%. Et de façon générale, les populations profitent de l'amélioration du cadre de vie. Prenez la ville d'Abidjan. Nous allons lui donner en cinq ans, 350.000 mètres cubes d'eau, autant qu'en 50 ans. Nous avons aussi donné la priorité à l'école.
A compter du 1er octobre, nous allons la rendre obligatoire et gratuite de 6 à 16 ans. Le taux de scolarisation était à 70% quand nous sommes arrivés, aujourd'hui il dépasse les 95%. Nous avons amélioré l’accès à l’électricité et nous avons investi dans l’amélioration des infrastructures de santé.
Le cadre de vie s’est amélioré pour tous. Mais nous ne comptons pas en rester là et nous allons redoubler d’efforts afin que la croissance future bénéficie encore plus aux plus démunis.
Avez-vous le sentiment d'incarner l'espoir d'un continent qui décolle?
Quand j'étais directeur général adjoint du Fonds monétaire international, j'étais malheureux de voir comment l'Afrique était perçue. Aujourd’hui nous avons remis la Côte d’Ivoire sur les rails du travail et de la croissance. Nous nous sommes repositionnés comme un pays dont la réussite, par son sérieux et son travail, contribue à rehausser l’image de l’Afrique.
Nous devons continuer sur cette voie. Nous avons les ressources pour nous développer, à nous de savoir optimiser l’utilisation de celles-ci, pour le bien-être de nos populations. Je veux démontrer aujourd'hui que ce continent peut faire aussi bien que les autres.
Photo:Présidence / Alassane Ouattara, président de la République de Côte d'Ivoire