Il a marqué sa génération en tant que l’un des tous premiers journalistes d’agence de la Côte d’Ivoire post-coloniale, ce qui lui a valu d’être un proche collaborateur du régime d’Houphouët-Boigny. A la faveur du cinquantenaire de l’Agence ivoirienne de presse (AIP), Jean-Baptiste Sampah, le premier directeur noir de l’AIP (1967-1970) évoque quelques souvenirs sur l’AIP, sa collaboration avec le pouvoir et les entraves à la liberté d’informer. Interview
AIP : Vous avez été directeur de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) pendant trois années. Quels souvenirs avez-vous gardé de votre passage dans cet organe de presse ?
Mes souvenirs sont nombreux parce qu’avant de venir à l’AIP comme rédacteur en chef, le journal Fraternité Matin qui ne portait pas encore ce nom mais qui s’appelait Fraternité Hebdo, était tiré à Paris. Et j’étais responsable du journal Combat à Paris. Quand Fraternité Hebdo était tiré, j’allais le retirer et je l’envoyais à la compagnie UTA qui était la compagnie aérienne de l’époque qui le déposait à Abidjan pour la distribution.
Le grand souvenir que j’ai, c’est le Président de la République (Félix Houphouët-Boigny, ndlr) faisait beaucoup confiance à l’AIP à tel point qu’il n’effectuait aucune mission sans que son chef de protocole, (Georges) Ouégnin ne m’appelle pour me dire que le Président veut que c’est moi qui désigne un journaliste pour l’accompagner. C’est ainsi que je désignais les journalistes qui devaient l’accompagner.
Le deuxième souvenir important, c’est que les quelques années que j’ai passées à l’AIP, m’ont permis de doter le ministère de l’Information pour ne pas dire la télévision ivoirienne, d’un centre d’écoute grâce à l’ambassadeur d’Italie qui était en étroite collaboration avec moi. La logistique pour ledit centre m’a été offerte lors d’une visite officielle en Italie quand on inaugurait la compagnie nationale d’aviation, Al Italia.
J’étais très surpris de voir que dans la délégation, il y avait le vieux Marcel Lobouet, Séri Gnoléba, et ma modeste personne. Nous sommes arrivés donc à Rome et à ma grande surprise, le protocole d’Etat est venu m’accueillir avec tous les honneurs dans le salon présidentiel alors le vieux Lobouet et Séri Gnoléba étaient dans le salon d’honneur.
Je leur ai dit : « vous faites erreur » et ils ont rétorqué « vous êtes le directeur de l’AIP non ?». J’ai répondu « oui » et ils ont dit : « vous êtes un ami de l’Italie parce que l’ambassadeur de l’Italie nous vous a formellement recommandé ». J’ai été conduit dans mon hôtel, j’ai eu à ma disposition un interprète et une voiture tout au long de mon séjour.
Il y avait une équipe de la télévision qui nous accompagnait mais qui n’avait pas le même privilège que nous, donc c’est moi qui les invitait à venir se ravitailler dans le frigo qui était à ma disposition dans la chambre. Il y a eu après une réception offerte à la délégation ivoirienne dont je faisais partie et l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire, Adou Ayo, m’a chargé de faire le discours du déjeuner pour le toaste.
J’ai tout fait pour m’opposer mais il adit que c’est moi que le ministre des Affaires étrangères avait désigné pour la circonstance. J’ai fait ce discours qui a été très applaudi et après j’ai été convié à une séance de travail avec le ministre des Affaires étrangères.
C’est là bas que j’ai reçu l’information selon laquelle l’ambassade d’Italie voulait installer un centre d’écoute pour que le Président Houphouët-Boigny soit au courant de tout ce qui se passe dans le monde avant que ça ne soit diffusé. J’ai reçu le matériel du centre d’écoute pour l’installer où je voulais mais j’ai opté pour la télévision.
A quoi devait servir ce centre d’écoute et pourquoi avoir choisi la télévision comme lieu d’hébergement ?
Le centre d’écoute permet d’être au courant de tout ce qui se passe dans le monde. Et si d’aventure un coup d’Etat ou une grève quelconque se préparait contre la contre la Côte d’Ivoire, tout était enregistré. J’avais mis en permanence un agent dans ledit centre qui enregistrait tout et me l’envoyait. Je faisais copie que j’envoyais au ministre Mathieu Ekra qui la transmettait au Président de la République, puis une au ministre de la Défense. Il fallait que la Côte d’Ivoire soit sur écoute.
J’étais à l’AIP mais j’ai choisi de la télévision parce que l’AIP était une maison basse (non loin de la cathédrale du Plateau) alors qu’on avait un immeuble à la télévision. Le centre d’écoute a besoin d’être en hauteur pour mieux capter les conversations. Ce centre d’écoute a fait que le Président Houphouët a beaucoup apprécié l’AIP.
Pouvez-nous nous rappeler la collaboration de l’AIP avec les médias ivoiriens de la période post-coloniale ?
S’agissant de l’AIP, nous avions Brenier qui était à la tête d’une équipe modeste mais nous travaillions beaucoup. On n’avait pas d’heure et on avait une équipe de secrétaires dactylos aguerries et nous avions créé le bulletin de l’AIP. En outre, nous avions suscité des pigistes à travers le pays qui nous transmettaient leurs piges régulièrement quand il y avait un évènement et cela nous permettait d’alimenter notre bulletin et d’envoyer des informations à Fraternité Matin, à la télévision et à la radio.
Qu’est ce qui a motivé votre départ de l’Agence au moment vous abattiez un grand travail au sommet de l’Etat en matière de communication ?
Je peux dire que je suis parti sans être parti définitivement parce que la Côte d’Ivoire venait de nommer ses premiers ambassadeurs et celui de Côte d’Ivoire en Allemagne qui avait entendu parler de moi, est allé dire au Président de la République qui était en visite à Bonn, qu’il voulait le meilleur des journalistes à ses côtés. Selon les informations qui me sont parvenues par la suite, ce meilleur était moi, Sampah, de l’AIP.
Sur le champ, le Président a signé un décret dont j’ai toujours la copie, me nommant au ministère des Affaires étrangères pour servir à l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Bonn. Et c’est ainsi que le lendemain, j’ai rejoint la ville de Bonn qui était en son temps la capitale de la République fédérale d’Allemagne (RFA), comme attaché de presse.
Vous êtes parti à Bonn en tant l’un des meilleurs journalistes de votre époque. C’est dire que vous aviez un grand bagage intellectuel en journalisme. Comment avez-vous été formé pour le compte de ce métier ?
J’étais diplômé de l’école de journalisme de Lourdes à Paris. J’ai fait la formation pratique à United press international (UPI) et à Reuters. Donc quand je suis allé en Allemagne, j’avais avec moi cette expérience qui m’a permis de faire le travail normalement. J’y participais régulièrement à des débats télévisés sur la Voix de l’Allemagne. Je me suis tissé des relations à telle enseigne que souvent, le Président de la République me sollicitait quand il effectuait des visites en Europe.
Quand on voit la considération que les autorités d’avant avaient pour l’AIP, rétrospectivement, quel regard portez-vous sur l’AIP, aujourd’hui en prenant un peu de recul ?
Honnêtement, je ne sais rien de l’AIP aujourd’hui parce que jusque-là, personne ne m’a invité à visiter l’Agence mais je vous dis que par le passé, l’AIP a joué un très grand rôle. Un exemple, l’Europe et les USA ont organisé à l’UNESCO, un forum sur les médias. Le journaliste que la Côte d’Ivoire avait dépêché, un journaliste qui a défendu l’opinion des adversaires de la Côte d’Ivoire contre la Grande-Bretagne, les USA et la France dans le conflit israélo-palestinien. Au final, c’est moi, en tant que journaliste de l’AIP que le ministre Laurent Dona Fologo a envoyé d’urgence pour rectifier le tir.
A vous entendre, il y avait à cette époque, de la fierté à être journaliste ?
Effectivement et il fallait être aussi un journaliste politique mais il fallait se garder d’apporter la contradiction. Avant d’aller en mission, il fallait peser les choses. A chaque visite d’une personnalité en Côte d’Ivoire, j’étais aux côtés du Chef de l’Etat.
Quand vous étiez rédacteur en chef de l’AIP, censuriez-vous des dépêches ?
Je ne censurais pas de dépêches. Tout ce que nous recevions comme dépêches des correspondants, nous avions un comité de rédaction qui se réunissait et qui les réécrivait. Cela a fait a que nous n’avons pas eu à censurer une seule dépêche. Tous ces jeunes gens étaient formés à l’école de journalisme.
L’AIP célèbre son cinquantenaire cette année. Pensez-vous qu’il est opportun de commémorer un tel évènement ?
Absolument ! C’est important de fêter le cinquantenaire de l’AIP. D’abord pour le souvenir des anciens et ensuite pour soutenir cet organisme indispensable en vue de permettre au grand public et au gouvernement de le découvrir et de mieux comprendre son rôle.
Quel regard jetez-vous sur le pluralisme des médias en Côte d’Ivoire ?
Le pluralisme en lui-même est une bonne chose mais, je dis bien mais il faudrait que les responsables de ces médias-là, évitent le sensationnel et cherchent plutôt à dire ce qui est. Les gens lisent ce qu’on leur sert mais est-ce que ce qu’on leur sert est toujours fondé. Il y a des gens qui sont de tel bord à cause du sang. Je vous répète que je tiens à la vie.
(AIP)
Jean-Baptiste Sampah, premier directeur Ivoirien de l’AIP, : « Houphouët-Boigny faisait beaucoup confiance à l’AIP… » - Photo à titre d'illustration