«L’Union africaine (Ua) vient de prendre une décision visant à ajourner les poursuites des dirigeants africains en exercice par la Cour pénale internationale (Cpi). Ils ne peuvent être poursuivis que si l’Ua donne son accord.
Cette décision doit certainement faire retourner dans leurs tombes tous ces illustres pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (Oua: ancienne appellation de l’actuelle Ua). Les Présidents, aujourd’hui disparus, Félix Houphouet-Boigny de Côte d’Ivoire, Kwamé Nkrumah du Ghana, Léopold Sedar Senghor du Sénégal, Modibo Keïta du Mali, Haïlé Sélassié d’Ethiopie, Gamal Abdel Nasser d’Egypte, Ahmed Ben Bella d’Algérie, pour ne citer que ceux-là. De l’au-delà, ils doivent se demander si certains dirigeants africains de notre époque n’ont pas tout simplement perdu la boussole.
Parce que comment comprendre qu’au 21ème siècle ; siècle qui inaugure le millénaire de la spiritualité et qui ambitionne d’accorder une place de choix aux valeurs morales humaines, que l’on décide, à un si haut niveau, d’accorder une prime à l’impunité. A l’annonce de cette décision des chefs d’Etat, un ami, enseignant de son état, m’a transmis plusieurs caricatures qui traduisent avec éloquence les conséquences évidentes qui découlent de cette décision: «Le Président en exercice d’un pays est autorisé à tuer tous ses opposants de manière massive. Il peut faire violer des milliers de femmes, jeter des bombes sur des populations civiles innocentes aux mains nues.
Il est autorisé à utiliser des armes chimiques pour détruire ceux qui ne sont pas du même groupe ethnique ni de la même obédience religieuse que lui. Le faisant, il ne peut être poursuivi par la Cpi tant qu’il reste au pouvoir. Alors comme il sait qu’il sera probablement poursuivi, s’il quitte le pouvoir, il fera tout pour s’y maintenir. Ainsi, il tripatouillera à souhait la constitution de son pays pour rester Président à vie. Il ne quittera le pouvoir qu’à sa mort. Les opposants et le peuple n’auront d’autre choix que de se soulever pour mettre fin à son règne ou de faire un coup d’Etat.
«En analysant avec attention ces caricatures qui sont du domaine du possible sous nos cieux, nous devons nous rendre à l’évidence: la décision prise par les chefs d’Etat est mauvaise. Elle fait le lit de l’impunité, favorise l’enracinement de la dictature et crée le cadre propice à toutes les rébellions et autres coups d’Etat. Cette décision fait honte à toute l’Afrique et ne saurait être cautionnée par les peuples africains.
Si l’Union africaine persiste dans cette logique, il sera peut- être temps de reconsidérer la participation de notre pays et de notre Président, Alassane Ouattara, à ce type de rencontres. En effet, pendant que les dirigeants des autres continents se réunissent pour parler de développement économique et de bien-être de leurs populations, les nôtres se réunissent pour réclamer une prime à l’impunité. La place de notre pays est là où l’on parle de développement et non là où l’on s’ingénie à trouver des artifices pour consolider les dictatures. Pour terminer, je fais remarquer que les dirigeants africains réunis à Addis-Abeba n’ont même pas évoqué le sort de ces centaines de personnes qui ont récemment trouvé la mort dans des naufrages aux larges des côtes italiennes.
Il s’agit pour la plupart des Africains qui tentaient d’émigrer en Europe fuyant la misère ambiante en Afrique. Les dirigeants africains n’ont même pas fait cas de la famine qui sévit en Somalie et ailleurs en Afrique. C’est sur le terrain de l’amélioration des conditions de vie de nos populations que nous aurions aimé les voir se réunir le plus souvent et non sur celui de la protection des dictatures et des dictateurs ».
Le ministre Joël N’Guessan
Joël N’Guessan, porte-parole Rdr - “La décision prise par les chefs d’Etat est mauvaise” - Photo à titre d'illustration