Ce quatrième jour de déposition du général Kassaraté dans l’affaire Gbagbo-Blé Goudé a été dense et électrique. Lors de ce nouveau bras de fer du témoin, toujours fâché avec les dates, avec le représentant du procureur et le juge Tarfusser, des informations ont fini par filtrer. Parmi elles, plusieurs dissensions entre le commandant de la gendarmerie et le chef d’Etat-major Philippe Mangou.
En préambule de cette nouvelle journée de déposition du général Kassaraté dans le prétoire de la Cour pénale internationale, le juge Tarfusser s’est adressé au témoin, les yeux dans les yeux. « Souvent vous ne vous souvenez pas, ou vous apprenez les informations à la télévision. Or à la lueur du poste que vous occupiez, cela est très étonnant ». Il lui a alors rappelé : « un faux témoignage ou un témoignage incomplet constitue une infraction vis à vis de la Cour, dont la conséquence peut être cinq ans d’emprisonnement ».
Des documents de l’accusation présentés en public
Le témoin Kassaraté est ensuite revenu plusieurs fois sur ses problèmes de mémoire. « Je suis ambassadeur à Dakar depuis six ans, je suis loin de ce dossier. Je peux me souvenir des faits, mais des dates difficilement (…) J’ai accepté de venir en tant que témoin libre et j’ai le devoir de dire la vérité. Mais dire que tel jour telle personne a dit ça, je ne peux pas. Depuis mon témoignage à Abidjan jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours dit cela ». Il a aussi précisé que l’un des enquêteurs du bureau du procureur l’avait traité « d’amnésique ».
Cette journée d’audience a été riche en informations et il n’est pas possible de les rapporter de façon exhaustive ici. Remontant le cours des événements, le représentant du procureur Alexis Demirdjian s’est à nouveau appuyé sur le registre des entrées et des sorties de la résidence présidentielle pour interroger le témoin sur le contenu des nombreuses réunions qui s’y sont tenues, en présence de la haute hiérarchie au service de Laurent Gbagbo. Pour la première fois depuis la reprise du procès le 6 février dernier, des documents écrits, lorsqu’ils étaient publics, étaient présentés à l’écran.
Le schéma s’est souvent répété, d’un général Kassaraté ne se souvenant pas du contenu des réunions évoquées, intervenant à des moments stratégiques de la crise.« Nous allions très souvent chez le chef de l’Etat » a-t-il argué. Malgré ces oublis à répétition, la nature des relations entre des protagonistes liés aux faits a peu à peu émergé ce lundi 13 mars. Edouard Kassaraté a par exemple fini par dire que Charles Blé Goudé et Philippe Mangou étaient « très proches ».
Kassaraté proche de Simone Gbagbo
Il est également ressorti que de nombreux différents avaient opposé le général Kassaraté au chef d’Etat-major Philippe Mangou. Kassaraté avait déjà évoqué vendredi un différent avec ce dernier à propos d’une demande de mise à disposition d’élèves de l’école de gendarmerie pour un bataillon militaire. Le refus du commandant de la gendarmerie ivoirienne aurait alors été « reçu comme un acte de désobéissance ».
D’autre part, il a été question d’un meeting organisé en janvier 2011 par Charles Blé Goudé pour faire honneur à l’armée. Il aurait été conseillé à Kassaraté de ne pas s’y rendre de par le caractère « trop politique » de ce rassemblement. Philippe Mangou n’aurait pas tenu la promesse faite à Kassaraté de ne pas s’y rendre non plus. « Plus tard sur les images, j’ai vu qu’il y était ». Nouvelle accroche lorsque l’Union Africaine reconnaît la victoire de Ouattara en mars 2011. « Nous avons demandé à Mangou de rencontrer le président afin d’avoir sa lecture de la situation. Il nous a ensuite dit qu’il n’allait pas nous dire ce que lui avait dit le président, qui s’en chargerait lui-même. Cela ne m’a pas plu ».
Le 28 février lors d’une réunion à la résidence de Laurent Gbagbo, Kassaraté évoque une « échauffourée » entre les deux hommes. « Il m’a été reproché que la gendarmerie n’obéissait pas assez aux ordres du chef d’Etat Major. Je n’étais pas d’accord avec cette assertion de Mangou ». Laurent Gbagbo aurait alors réuni les deux généraux pour qu’ils s’expliquent. « On s’est séparés dans la paix et la sérénité ».
La nature des relations entre Simone Gbagbo et Kassaraté, qui se sont « très souvent » rencontrés à la résidence, a aussi été abordée. « C’était une sœur, nous nous connaissons depuis longtemps. Elle était la fille d’un gendarme que je connaissais ». Evoquant une rencontre avec « la première dame » suite aux événements survenus à Abobo gare : « Quand ces tueries ont été commises par le Commando invisible, elle a été choquée, atteinte, et s’inquiétait de ce qui pouvait arriver à la population. En tant que député du quartier, elle a voulu connaître les mesures prises par la sécurité ».
« Il est très difficile de vous croire »
Le témoignage de Kassaraté a aussi plusieurs fois mis en avant un mauvais climat régnant entre la police et la gendarmerie, notamment suite à une opération des FDS en janvier 2011 pour déloger le Commando Invisible à Abobo, ayant entraîné la mort de plusieurs policiers. « L’ambiance était délétère entre la police et la gendarmerie, il y avait une tendance à les opposer ». Un Commando invisible qu’il a plusieurs fois épinglé : « Il causait des maux et faisait des méchancetés à la population ».
Le procureur est aussi revenu sur la marche du RHDP le 16 décembre 2010, destinée à installer le nouveau président de la Radio télévision ivoirienne (RTI) nommé par Alassane Ouattara. Kassaraté aurait appris l’information de la télévision « émettant depuis le Golf ». Ses réponses ont laissé entendre qu’il n’avait pas participé à la préparation des opérations pour sécuriser la marche et que les mesures revenaient à« l’État-Major, à la police et à la gendarmerie départementale ». Pas plus d’informations à propos du rendez-vous, la veille de cette marche, au palais présidentiel. « A mon corps défendant, je ne peux pas me souvenir de ce dont on a parlé mais je sais qu’un service d’ordre a été déployé pour ne pas que la RTI soit prise ».
De nouvelles absences qui ont fait sortir Cuno Tarfusser de ses gonds. « Vous êtes le chef de la gendarmerie, c’est étrange que vous entendiez parler de cette marche depuis la télévision. J’entends donc que les services de la gendarmerie ne fonctionnaient pas bien. Il est étrange aussi que vous ayez une réunion au palais présidentiel tard dans la soirée, ce qui n’est pas habituel, et que vous ne vous souveniez de rien ! C’est très difficile de vous croire ». L’audience s’est ensuite tenue un temps à huis-clos partiel à la demande du juge Tarfusser, ce pour la première fois depuis le début de la déposition de l’ex-patron de la gendarmerie.
« J’ai été encerclé par la garde républicaine devant la porte du président »
Kassaraté a ensuite déclaré qu’il n’était pas sur le terrain lors des opérations de sécurisation de la RTI par les FDS, mais chez lui. Son explication face aux blessés et aux morts ce jour-là : « quand on refoule des manifestants, il y a toujours des gens qui se blessent et qui tombent, ça arrive dans le domaine du maintien de l’ordre ».
En fin de journée, et avant que le juge à bout ne lève l’audience jusqu’à demain, Edouard Kassaraté a raconté sa dernière réunion à la résidence présidentielle, en avril 2011, avant l’arrestation de Laurent Gbagbo. « J’ai vu que beaucoup de généraux n’étaient pas en poste et j’ai pris la décision personnelle d’aller voir Laurent Gbagbo pour lui conseiller de remettre le pouvoir à Alassane Ouattara. J’ai été encerclé et menacé devant sa porte par sa garde républicaine qui avait des armes de poing, mais le président n’était pas au courant. Ils m’ont traité de traitre. Le président a appris cela et m’a dit de laisser tomber. C’est tout, j’ai repris ma route et on n’a pas eu l’entretien »....
Capture d'écran : RTI