Analyse subjective d'une tragédie footbalistique ou comment les réactions instinctives des supporters et spectacteurs traduisent leur rapport au foot.
Le penalty accordé au Real à la dernière minute d'un match héroïquement dominé par la Juventus a fortement marqué les esprits échauffés par l'enjeu et la tournure de la rencontre. Faute ou pas, peu importe finalement. Une certitude toutefois: la décision de Michael Oliver a déchaîné les passions comme rarement, précipitant dans le grand débat un public bien plus large que la communauté "bianconera". L'exclusion dans la foulée du demi-dieu Gianluigi Buffon a transformé l'utopie palpable d'un exploit en châtiment irréversible d'une insoutenable injustice.
Le quotidien français Libération a profité de l'occasion pour fournir une analyse sociétale décalée du phénomène, de l'ordre du "dis-moi comment tu as vécu Real - Juve et je te dirai qui tu es".
Le pire moment possible
Car si, objectivement, la charge de Medhi Benatia sur Lucas Vazquez est "sifflable", si la position de Michael Oliver est "défendable", le contexte de cette décision s'avère en revanche extrêmement plus délicat. Contre toute attente, la Juve domine le Real chez lui 0-3, après une défaite équivalente à domicile, et le match vient d'atteindre la dernière minute des arrêts de jeu. Bref, une dernière action et place aux prolongations. Dans le stade ou derrière son écran, le spectateur vibre devant ce duel épique à l'issue encore incertaine.
Mais le coup de sifflet de Michael Oliver retentit au pire moment possible. Point de penalty. Exclusion de Buffon. But de Ronaldo. Fin de l'histoire.
Si techniquement, Michael Oliver "peut siffler", confie Grégory Schneider de Libération, dans le coeur de l'amoureux du jeu, la réaction revêt une dimension beaucoup plus personnelle.
L'angle du grand complot
Pour certains, cet épilogue renversant constitue la preuve ultime d'un complot des hautes instances du foot, de pots-de-vin, de dessous-de-table en coulisses et de privilèges accordés aux "puissants". Depuis quelques années, le Real Madrid et le FC Barcelone bénéficieraient ainsi des faveurs de l'arbitre, quel qu'il soit. Chelsea - Barça 2009 ou Real - Bayern 2017 ne sont que deux exemples parmi d'autres mais l'histoire en fournit à la pelle.
L'angle de l'injustice
Une autre lecture serait de juger cette fin de match sous l'angle de "l'injustice sportive manifeste", analyse Libération. La Juventus méritait de renverser le Real et cette décision finale vient tout gâcher dans les ultimes instants. Pire, Michael Oliver exclut un Gianluigi Buffon légitimement hors de lui, marquant ainsi d'une pierre noire ce qui restera sans doute comme la dernière rencontre de Ligue des Champions de la légende italienne, au talent, à l'élégance et au fair-play unanimement reconnus. Virer "Gigi" de cette façon, c'est un crime de lèse-majesté.
L'angle de l'insensibilité
Comme l'a souligné, amer, Gianluigi Buffon, Michael Oliver a manqué de "sensibilité". Prendre une telle décision dans ce contexte, c'est sous-estimer l'importance de l'enjeu, mépriser la nature de l'exploit et négliger l'impact destructeur de son autorité. Ne pas être à la hauteur de sa tâche. S'il s'était abstenu, Michael Oliver n'éliminait pas le Real mais prolongeait le duel.
L'angle cinématographique
Enfin, en privant l'assistance d'un dernier duel entre Cristiano Ronaldo et Buffon, Michael Oliver a aussi gâché le "film". Le dernier de la carrière européenne du gardien italien. Quitte à accepter la mort dans l'âme cette "condamnation" finale, autant voir en scène deux des plus grands acteurs du terrain de ce siècle. Ce "duel" de western, malheureusement, a été coupé au montage.
© epa.