Quand les services de secours déposent Awa Fadiga dimanche 23 mars aux urgences du CHU de Cocody, à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, il n'y a plus de brancard disponible. Alors on la met par terre, et on l'oublie.
La jeune mannequin de 23 ans vient d'être violemment agressée, apparemment par un chauffeur de taxi. Elle est dans un état de quasi-coma, mais personne n'aurait écouté ses plaintes.
C'est une femme de ménage qui remarque ce corps meurtri dans des vêtements déchirés et ensanglantés. Alors elle nettoie la jeune Awa et lui enfile une paire de collants : un cache-misère, mais tout ce qu'elle a à lui offrir. Pendant les seize heures qui suivent, Awa Fadiga agonise, seins nus, à même le sol des urgences, jusqu'à ce que sa famille la retrouve, lundi à 13 heures.
C'est seulement à ce moment-là que la consultation commence : les médecins ont désormais la garantie que les soins prescrits pourront être payés. Comme la pharmacie du CHU est vide, les premiers médicaments sont achetés dans une pharmacie privée du quartier. Outre l'ordonnance, la famille acquitte aussi les frais de transport d'Awa dans une clinique où elle passe un scanner, celui de l'hôpital étant en panne depuis un mois. Il est déjà trop tard. Transférée en réanimation, Awa meurt mardi matin.
Les choses auraient pu en rester là, la famille, résignée, ne souhaitant pas porter plainte. Mais Awa a des amis, jeunes comme elle, et connectés. C'est ainsi que son histoire, retracée par une enquête de terrain de plusieurs cyberactivistes comme Abou Kone, commence à circuler sur les réseaux sociaux. « On sait tous que le CHU ne s'occupe pas des gens sans argent, mais j'ignorais qu'ils pouvaient laisser quelqu'un en détresse pendant seize heures », s'émeut cet entrepreneur qui a étudié et travaillé pendant vingt-deux ans aux Etats-Unis.
Le drame mobilise tellement d'internautes que le ministère de la santé publie un communiqué, mercredi matin, expliquant que la patiente a reçu « les premiers soins médicaux que nécessitait son état », sans préciser lesquels, et évoque un nettoyage par des filles de salles. Cette version des faits révolte la Toile. Le lendemain, la levée du corps est interrompue : le ministère de la justice annonce l'ouverture d'une instruction pour « faire toute la vérité ».
TONTINE DE LA SANTÉ
Les cyberactivistes placent peu d'espoirs dans cette enquête, mais se félicitent d'avoir créé un précédent et ont lancé une pétition « pour que les hôpitaux ne soient plus des mouroirs ». « Des gens meurent chaque jour par négligence dans nos hôpitaux, mais on s'en remet à Dieu, on pardonne, se désole Abou Kone. A travers ce mouvement, nous voulons montrer notre besoin de justice sociale, et que l'Etat prenne ses responsabilités et lutte enfin contre l'impunité et la corruption. »
Ce cadre fait partie d'un groupe Facebook créé il y a un an, « SOS MS ». Les quelque 200 membres actifs cotisent 10 000 CFA (15 euros) par mois pour payer les soins d'une personne dans le besoin sélectionnée par le groupe. Une sorte de tontine de la santé, seul espoir aujourd'hui pour une majorité d'Ivoiriens avant la mise en place de la couverture maladie universelle, promise par le gouvernement pour 2015.
L'agonie d'Awa au CHU d'Abidjan - Photo à titre d'illustration