En Algérie, il n’y aura pas d’élection présidentielle le 4 juillet prochain. Le scrutin qui devait permettre de désigner un successeur à Abdelaziz Bouteflika est impossible à tenir, selon le Conseil constitutionnel qui l’a annoncé ce dimanche 2 juin. L’Algérie entre donc dans une période de vide constitutionnel. Ce qui va obliger à des négociations politiques.
Début juillet, la période d’intérim arrivera à sa fin. En l’absence d’élection, il n’y aura pas de nouveau président. Depuis des semaines, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah répétait qu’il fallait suivre la solution constitutionnelle. Cette fois, il devra faire des choix politiques, puisque la Constitution n’offre plus aucune option.
La principale question qu’il faudra trancher est celle de la transition : qui peut l’organiser, avec qui négocier et, surtout, quelle place sera accordée à ceux qui manifestent, mais qui ne sont dans aucun parti ou organisation de la société civile ?
Ce dimanche, l’Association des oulémas a déjà fait une première proposition, évoquant une instance présidentielle de trois à cinq personnes. Des organisations de la société civile se réunissent régulièrement dans le but de proposer des feuilles de route de sortie de crise.
Vers un dialogue chapeauté par l'armée ?
Pour Mouloud Boumghar, professeur de droit public et spécialiste des questions juridiques en Algérie, la décision du Conseil constitutionnel risque de déboucher sur un dialogue qu'il perçoit comme vicié et chapeauté par l'armée.
« Alors, un des scénarios possibles, c’est celui du dialogue sérieux comme le dit celui qui exerce le pouvoir réel, c’est-à-dire le chef d’état-major, dit-il. Les conditions du dialogue avec le pouvoir réel ne sont pas remplies, notamment de son côté. De son côté, elles tiennent à l’arrêt de la répression, au démantèlement progressif du contrôle sur la société, et deuxièmement il y a aussi autre chose, c’est l’objet du dialogue. »
« L’objet du dialogue aujourd’hui, tel qu’il est proposé par le chef d’état-major, est d’appliquer sa solution à lui, poursuit-il. Sa solution à lui est d’aller vers l’élection présidentielle sous son contrôle, sous le contrôle du régime. Ils vont essayer de trouver des interlocuteurs qui vont leur sauver la mise, c’est-à-dire qu’ils vont accepter d’aller à l’élection présidentielle. Et ils vont faire cela par le biais d’un dialogue qui va essayer peut-être de débaucher dans l’opposition ceux qui veulent aller à l’élection présidentielle, et il y en a. »
Le Conseil constitutionnel a précisé qu'il revient au chef de l'État de convoquer à nouveau le corps électoral et de parachever le processus jusqu’à l'élection du président de la République et la prestation de serment. Un scénario qui n'est pas formellement prévu par la Constitution, alors que le mandat du président par intérim s'achève en juillet.
Pour Mouloud Boumghar, c'est la conséquence d'une véritable décrédibilisation des institutions.
"Bien évidemment, la Constitution ne prévoit pas l’hypothèse dans laquelle personne ne se présenterait à l’élection présidentielle, tout simplement parce qu’elle ne prévoit pas l’hypothèse de la désaffection populaire à l’égard de la Constitution, du rejet total des institutions par le peuple algérien. Elle ne prévoit pas cela et c’est normal. Elle ne prévoit pas le cadre d’une révolution. Donc, aujourd’hui, le problème c’est que les institutions dans leur forme, leur fonctionnement et leur composition actuelle, sont décrédibilisées, dévitalisées et rejetées massivement par les Algériens. Et c’est cela le fond du problème. C’est cela que le haut commandement militaire, qui est aussi visé par la mobilisation populaire, n’accepte pas, parce que tout simplement il risque d’être emporté par la vague."
Selon Mouloud Boumghar, professeur de droit public et spécialiste des questions juridiques en Algérie, le vide constitutionnel est la conséquence d'une véritable décrédibilisation des institutions.
Les choix qui seront faits par les autorités et par l’armée montreront dans quelle mesure elles acceptent ou non de satisfaire les revendications de la rue.
"Dans une petite salle du centre ville, un débat sur la transition politique a été organisé. Louisa Ait Hamadouche, politologue, tente de donner des clés pour comprendre ce qu’il est possible d’attendre comme changements politiques..."
Manifestation à Alger le 31 mai 2019. (Photo d'illustration) © AFP/Ryad Kramdi