L'ancien président soutient l'idée d'un report de la présidentielle d'octobre. Son avocate Me Habiba Touré dénonce les entraves à sa demande de passeport. dans une interview accordée au media DW
L'ancien président ivoirien séjourne en Belgique dans le cadre de son procès devant la CPI (Cour pénale internationale) mais il peut voyager en attendant le dénouement définitif du procès. Or, il est aussi condamné en Côte d'Ivoire à 20 ans de prisondans une affaire de braquage de la banque BCEAO.
Sa demande de passeport, déposée le 28 juillet auprès de la représentation ivoirienne à Bruxelles, n'a toujours pas abouti. Par ailleurs, Laurent Gbagbo n'aurait rien contre l'idée d'un report de l'élection présidentielle prévue le 31 octobre 2020. C'est en tout cas ce qu'affirme son avocate, Habiba Touré, qui pense que la Côte d'Ivoire risque de vivre une crise électorale encore plus grave que celle d'il y a dix ans. Dans cette interview que pouvez écouter ci-dessous, Habiba Touré s'indigne des entraves faites à Laurent Gbagbo et qui seraient destinées à l'empêcher de rentrer en Côte d'Ivoire.
Le climat s'est tendu en Côte d'Ivoire, dix ans après la crise post-électorale qui avait fait plus de 3.000 morts. Des violences ont suivi l'annonce de la candidature du président Ouattara à un troisième mandat.
DW : Bonjour Maître Habiba Touré ! L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a déposé une demande de passeport ordinaire à l'ambassade de la Côte d'Ivoire à Bruxelles depuis le 28 juillet. Est-ce que vous avez eu une réponse à cette demande à ce jour ?
Habiba Touré : Malheureusement nous n'avons eu aucun retour de la part de l'ambassade et des autorités ivoiriennes. Il nous a clairement été sous entendu, qu'il ne sera pas donné suite à la demande de passeport. C'est ce qu'il nous a été sous entendu dans la mesure où il nous a été indiqué que la délivrance du passeport dépendait de l'autorisation éventuelle donnée par les autorités politiques d'Abidjan.
DW : Et qu'est-ce que vous comptez faire maintenant ?
Habiba Touré : Ecoutez, pour l'instant, nous tentons de dénoncer cela. Il est hors de question pour nous d'abandonner cela et de laisser les autorités ivoiriennes faire ce qu'elles veulent finalement puisque la délivrance d'un passeport ordinaire est le droit le plus absolu attaché à tout ressortissant ivoirien.
DW : À vous entendre parler, Maître Habiba Touré, Laurent Gbagbo ne compte pas abandonner la procédure. Mais il a été radié de la liste électorale et ne pourra pas être présent, du moins dans le processus électoral...
Habiba Touré : Alors, premièrement vous noterez que la radiation de la liste électorale intervient juste après la demande de passeport ordinaire. Donc on voit bien que finalement, c'est une manoeuvre politique qui visait à empêcher le président Laurent Gbagbo à éventuellement compétir dans le cadre de l'élection présidentielle. C'est une manoeuvre donc politique, qui est à dénoncer et qui met en évidence la logique exclusionniste de Monsieur Ouattara. Maintenant, en ce qui nous concerne, clairement nous n'entendons pas renoncer ! Vous avez bien que la plupart des militants et sympathisants du président Laurent Gbagbo n'ont pas été dupes et on entendu déposer un dossier de candidature du président Laurent Gbagbo ! Dossier de candidature qui a été déposé avec tout le soutien du président Laurent Gbagbo.
DW : Il soutient ce dépôt de son dossier de candidature ?
Habiba Touré : Bien évidemment ! Il était hors de question de laisser faire Monsieur Ouattara et finalement de le laisser choisir ses candidats !
DW : Et pourtant, Pascal Affi N'Guessan du FPI (Front populaire ivoirien) le parti de Laurent Gbagbo est dans la course !
Habiba Touré : Oui mais Monsieur Affi N'Guessan, et d'ailleurs cela a été dit par d'autres personnalités politiques, en tant que citoyen ivoirien il fait ce qu'il veut. S'il veut déposer un dossier de candidature, il le dépose. C'est la liberté de chacun. Ca n'engage en rien le président Laurent Gbagbo.
DW : De plus en plus, il y a la demande d'un report du scrutin. Il en a encore été question après la rencontre du président Alassane Ouattara avec le président français Emmanuel Macron. Que pense Laurent Gbagbo de ces demandes de report ? Est-ce qu'il soutient cela ?
Habiba Touré : Je dirai que la demande de report et en tout cas le report de l'élection est certainement ce qu'il y a de plus sage à faire. Pourquoi ? Parce qu'on a bien vu qu'il faut nécessairement procéder à l'audit de la liste électorale, qu'il faut réintégrer toutes les personnes qui ont été injustement, illégalement, sans fondement et pour des raisons strictement politiques, retirées de la liste électorale. Il faudrait qu'elles puissent réintégrer cette liste. Il faudrait permettre à toutes les personnes qui n'ont finalement pas pu s'inscrire ou qui ont finalement vu leur demande d'inscription annuler, que toutes ces demandes d'inscription, on puisse en tenir compte de manière à ce qu'on ait une liste électorale la plus représentative de la population ivoirienne.
Vous savez ? Concrètement, quand on voit l'attitude du pouvoir, l'attitude de Monsieur Ouattara, on voit bien qu'on s'oriente vers une crise pré-électorale qui pourrait être assez grave pour le peuple ivoirien voire même une crise post-électorale qui pourrait être tout aussi, voire plus grave que ce qu'on a connu en 2010. Ce n'est pas accceptable, et je pense qu'il est de la responsabilité politique d'arriver aux élections dans une situation apaisée et inclusionniste. Et non pas, dans des manoeuvres politico-politiciennes qui viseraient à exclure certains candidats de peur manifestement à ce qu'ils gagnent les élections.
DW : Donc vous espérez qu'avec le report de l'élection, Laurent Gbagbo pourrait entre-temps réintégrer le processus ?
Habiba Touré : Mais écoutez, pour nous, il fait déjà partie du processus électoral ! Sinon vous vous doutez bien qu'un dossier de candidature n'aurait pas été déposé ! Le président de la CEI (Commission électorale indépendante) a montré finalement son incapacité à faire preuve d'impartialité et est dans une logique partisane. Donc nous ne tenons absolument pas compte de l'attitude de la Commission électorale indépendante. Maintenant, si le Conseil constitutionnel malheureusement fait de la politique et ne fait pas du droit, ce sera encore à dénoncer et de plus fort. Et ça mettra en évidence le fait que finalement, le système électoral est complètement pipé dans le seul but de cacher une tricherie massive pour faire réélire Monsieur Ouattara.
L'épineuse question du retour de Laurent Gbagbo
DW : L'ancien président Laurent Gbagbo insiste pour retourner à Abidjan. En tant que son avocate, vous y insistez aussi. Mais Monsieur Laurent Gbagbo est poursuivi, il est visé dans une affaire de braquage de la BCEAO en Côte d'Ivoire. Une affaire dans laquelle il a été condamné à 20 ans de prison. Est-ce que vous ne craignez pass qu'il soit arrêté et qu'il ne puisse même pas participer à ce processus électoral ?
Habiba Touré : Vous savez, votre question est intéressante, mais elle traduit des manoeuvres politiques. Parce que si vous me demandez si le président n'a pas peur de rentrer chez lui parce qu'il pourrait finalement être emprisonné et empêché de compétir, c'est que ça constitue en soi une manoeuvre politique. Deuxièmement, si le président Laurent Gbagbo avait quelque chose à se reprocher, vous croyez sincèrement qu'il prendrait le risque de rentrer ? Mais laissez-le rentrer et poursuivez-le alors ! Pourquoi avez-vous autant peur qu'il rentre ? Pourqoi empêchent-ils son retour ? C'est la première fois, quand même, que l'on voit un pouvoir qui poursuit mais qui ne veut pas finalement le retour de la personne poursuivie. C'est aberrant !
DW : Est-ce que vous souhaiteriez voir le président français Emmanuel Macron peut-être convaincre le président Alassane Ouattara dans le sens d'un consensus pour le retour de Laurent Gbagbo ?
Habiba Touré : Il ne s'agit pas nécessairement pour nous d'appeler le président Macron à agir. Comme il l'a indiqué lui-même, il s'agirait d'une ingérence. Et ce n'est pas dans l'esprit du président Laurent Gbagbo, ni du mien. Donc il ne s'agit pas d'appeler tel ou tel homme politique à intervenir. Mais il s'agit aussi, pour tout ami de la Côte d'Ivoire, de toute personne qui aime la Côte d'Ivoire, de ne pas se rendre complice de ce qui s'y passe.
DW : Maître Habiba Touré, qu'est-ce que Laurent Gbagbo a l'intention de faire : quand il rentre, s'entourer de monde ? Voir tout un monde venir à l'aéroport pour l'accueillir ? Animer des meetings ?
Habiba Touré : Si vous étiez privé de votre pays pendant des années et que vous souhaitiez rentrer chez vous, c'est pour rentrer chez vous. C'est pour vous sentir chez vous. C'est pouvoir voir vos proches. Mais pour Laurent Gbagbo, il ne faut pas oublier que quand sa mère est décédée il était à La Haye et qu'il n'a pas pu l'enterrer. Il a besoin de se recueillir sur la tombe de sa mère. Il a besoin de se recueillir sur la tombe de tous ses camarades qui sont tombés et qu'il n'a pas pu voir.
Il y a aussi cette donnée là ! Tout n'est pas que politique, il y a aussi une donnée humaine. La liesse populaire, tout ce que vous indiquez, je dirai que tout ça n'est que vanité. Ce n'est pas le président Laurent Gbagbo.
DW : Mais Laurent Gbagbo est encore plus ou moins très populaire. Et son retour risque de créer des attroupements. Alors qu'il y a des mesures exceptionnelles en vigueur à cause de la crise de coronavirus. Et le pouvoir a indiqué, du moins à travers certaines voix du régime, qu'il ne devrait pas y avoir de troubles à la quiétude des Ivoiriens. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Habiba Touré : Mais écoutez, on a vu Monsieur Ouattara, lors de son investiture comme candidat, réunir dans un stade des milliers de personnes je crois, et lui même avoir indiqué, alors qu'il est censé être le chef de l'Etat, qu'il s'en foutait du coronavirus. Donc ça veut dire quoi ces deux poids deux mesures ? Donc ses sympathisants ont le droit de se réunir, mais tous ceux qui veulent témoigner leur amour au président Laurent Gbagbo n'auraient pas le droit de se réunir ?
Vous voyez, c'est tout le problème du pouvoir de Monsieur Ouattara. Il n'est pas crédible. Parce que tout ce qu'il fait est tellement grossier, c'est tellement énorme, que personne ne peut le prendre au sérieux.
L'avocate de Gbagbo dénonce "des manoeuvres" du pouvoir Ouattara - Photo à titre d'illustration