‘'La Côte d'Ivoire doit être un exemple dans la gestion de l'héritage de violents troubles internes'' (David Tolbert)

  • 11/11/2015
  • Source : APA
Après sa réélection, le président Alassane Ouattara doit, selon David Tolbert, président du Centre International pour la Justice Transitionnelle (ICTJ), s’impliquer davantage dans ‘’la reconnaissance et la prise’’ en compte des violences du passé, afin de faire de la Côte d’Ivoire ‘’un exemple dans la manière de gérer l’héritage de violents troubles internes’’, estime-t-il.

Selon l'expert de la justice transitionnelle, après une décennie de division entre le nord et le sud du pays et les violences postélectorales de 2010 et 2011 qui ont fait plus de 3 000 morts, ‘'l'héritage des violences politiques et des troubles interethniques continue toutefois de peser sur la Côte d'Ivoire'' avec des ‘'discours de haine, l'incitation des jeunes à la violence et la marginalisation des classes entières de la société''.

Cette année, nuance David Tolbert, ‘'les rhétoriques de division ont été peu utilisées pendant la campagne électorale. De nombreux Ivoiriens appréhendaient néanmoins l'issue des élections, d'autant plus que des violences sporadiques ont fait au moins trois morts lors des manifestations au cours des mois de septembre et octobre''.

Selon M. Tolbert, le dernier scrutin présidentiel ivoirien jugé ‘'crédible et transparent par la société civile ivoirienne et les observateurs internationaux'', a marqué ‘'une étape importante dans la consolidation de la paix'', relevant, cependant, ‘'comme l'ont démontré les précédents scrutins en Côte d'Ivoire et les expériences ailleurs, un processus électoral apaisé ne peut pas à lui seul garantir la paix ni clore la page des dérives du passé''.

Lors de la campagne électorale, rappelle-t-il, le candidat Alassane Ouattara a condamné ‘'l'impunité'' et s'est engagé ‘'à ne pas s'ingérer dans les efforts de l'appareil judiciaire, à poursuivre les principaux responsables ayant commis, de tous partis, des massacres, des viols, des destructions de biens communautaires et d'autres abus'' au cours de la crise postélectorale de 2010 et 2011.

‘'Sur la base des progrès et des engagements précédents du président Ouattara par rapport à la justice et aux droits des victimes, les Ivoiriens sont en mesure d'attendre des résultats concrets au cours de ce second mandat présidentiel'', espère David Tolbert.

Pour lui, la prochaine administration devrait travailler à répondre rapidement aux enjeux de justice et de réparations en particulier.

‘'Elle devrait également faire preuve d'un plus grand engagement dans les efforts de reconnaissance de la vérité sur les violences du passé commises en Côte d'Ivoire. Dans le domaine de la justice, le président Ouattara devrait aller au delà de son engagement de ne point interférer dans le système judiciaire pour prendre des mesures spécifiques pour renforcer l'impartialité de la justice et sa capacité à poursuivre les violations graves commises pendant les violences postélectorales'', indique M. Tolbert.

‘'Le président Ouattara devrait également veiller à ce que l'unité spéciale du Ministère de la Justice en charge des violences postélectorales, connue sous le nom de la Cellule Spéciale d'Enquête et d'Instruction (CSEI), dispose de ressources suffisantes afin d'accomplir son mandat'', poursuit-t-il.
En outre, de l'avis de David Tolbert, l'Exécutif devrait fournir un appui considérable à l'élaboration d'une ‘'loi sur la protection des témoins et faire en sorte qu'elle soit adoptée par l'Assemblée Nationale''. Une telle mesure permettra, selon lui, à ‘'plus de victimes de témoigner et donc de renforcer la crédibilité des poursuites et des procès''.

‘'Même si elle joue un rôle prépondérant, la CPI ne peut pas à elle seule faire face aux besoins de justice suite au conflit ivoirien. En effet, des poursuites efficaces au niveau national seraient un moyen essentiel de démontrer aux yeux des victimes et de la société civile l'engagement de l'Etat à garantir le respect des droits humains et l'Etat de droit'', soutient, encore, le président de ICTJ.

Par ailleurs, propose M. Tolbert, ‘'le vaste processus de réparation des victimes qui a connu un début prometteur en 2015 devrait continuer à faire des progrès. Les organismes gouvernementaux concernés devraient étendre leurs consultations avec les groupes de victimes et de la société civile afin de mieux informer leurs politiques et actions''.

‘'Une commission nouvellement créée, la CONARIV, a fait des progrès cette année pour finaliser la liste des victimes tout en faisant un effort massif d'écoute des victimes afin de prendre en compte leurs points de vue. Et le Programme National de Cohésion Sociale a commencé la mise en œuvre de l'indemnisation des victimes en août, tirée d'un fonds de 10 milliards CFA (15 millions euros)'', constate David Tolbert.

Pour M. Tolbert, ‘'le président Ouattara devrait user de ses prérogatives pour promouvoir davantage de reconnaissances entre tous les Ivoiriens du passé violent du pays. Les efforts officiels de recherche de la vérité sont restés à leurs étapes initiales pendant le premier mandat'', déplore-t-il.

‘'Le travail de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation consigné dans un rapport en décembre 2014 n'a jusque-là pas encore été rendu public. Plusieurs jeunes Ivoiriens ont reconnu leur participation au passé douloureux et ont présenté des excuses à la communauté et aux victimes pour leurs rôles dans les violences postélectorales de 2010-2011'', rappelle, encore l'expert, invitant
Les leaders politiques, ‘'passés ou présents à emboiter le pas à cette action honnête et courageuse pour reconnaitre leur rôle et celui de leurs partisans dans les violences du passé''.

‘'Des efforts sérieux, soutenus et efficaces pour reconnaître le violent passé de la Côte d'Ivoire et situer les responsabilités des abus graves pourraient renforcer les progrès sociaux et économiques du pays. La promesse de campagne du président Ouattara était qu'avec lui, les Ivoiriens « réussiraient ensemble ». La quête de la vérité et de la justice peut l'aider à réaliser cette promesse'', conclut David Tolbert.



HS/ls/APA