Brouille franco-marocaine, brouille franco-algérienne, et maintenant brouille franco-ivoirienne: un incident entre un juge français et un haut responsable ivoirien est venu de nouveau illustrer cette semaine la difficile cohabitation entre diplomatie et justice, que le passé colonial de la France ne fait que compliquer.
En visite à Paris, le président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire, Guillaume Soro, s'est vu menacé par un mandat d'amener de la justice française, après une plainte déposée par Michel Gbagbo, le fils de l'ex-président Laurent Gbagbo, pour "enlèvement, séquestration et traitement dégradant et inhumain".
Il a finalement pu regagner mercredi son pays, ses avocats ayant fait valoir qu'il séjournait à titre officiel en France pour assister à la COP21, la conférence internationale sur le climat.
"L'affaire est révélatrice des relations entre Paris et ses anciennes colonies, qui, à l'époque, voyaient la France comme un pays qui ne s'embarrassait pas de considérations telles que l'indépendance de la justice", note l'historien Pierre Vermeren.
"Du coup aujourd'hui, quand la justice française entre en action, ces pays pensent que c'est intentionnel. Ils ne se rendent pas compte que les choses ont changé en France".
"On a ici des machines qui fonctionnent sur des planètes différentes, avec la justice qui a son calendrier. Et ça n'arrange pas la diplomatie, qui doit elle gérer les relations avec des pays pas toujours faciles", ajoute-t-il à l'AFP.
L'incident a provoqué de "vives protestations" des autorités ivoiriennes, et le ministère français des Affaires étrangères a laconiquement indiqué à l'AFP: "Nous ne commentons pas les procédures judiciaires".
Légion d'honneur
En octobre, le ministre algérien de la Communication Hamid Grine avait lui été victime d'un excès de zèle de la police, qui l'avait fouillé à l'aéroport parisien d'Orly. La France avait du exprimer ses regrets pour faire oublier l'incident.
Et c'est une autre fouille policière inopinée, celle du ministre marocain des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar, à l'aéroport parisien de Roissy, en mars 2014, qui était venue alimenter une brouille déjà bien engagée entre Paris et Rabat.
Car le 20 février, des policiers frappaient à la porte de la résidence de l'ambassadeur du Maroc à Paris, pour notifier une demande d'audition de la justice française au patron du contre-espionnage Abdellatif Hammouchi, accusé de torture par des opposants marocains.
Après de virulentes protestations marocaines, la coopération judiciaire entre les deux pays avait été suspendue, de même que les échanges sécuritaires, cruciaux pour les deux capitales qui luttent de concert contre la menace jihadiste.
Paris et Rabat avaient fini par "tourner la page", le président François Hollande promettant d'élever M. Hammouchi au grade d'officier de la Légion d'honneur.
Cette distinction avait cependant été critiquée par les associations de défense des droits de l'Homme et M. Hollande avait annoncé que la médaille ne serait remise à son destinataire qu'"au moment opportun".
Remise ou pas, cette décoration est "inadmissible", accuse la politologue Khadija Mohsen-Finan. "C'est, de la part de la France, reconnaître qu'elle a fait une erreur" en cherchant à entendre M. Hammouchi.
Cela prouve aussi qu'elle est plus "à l'écoute des pouvoirs en place que des sociétés, dans les pays situés en dessous de la Méditerranée", ajoute-t-elle pour l'AFP, souhaitant que "la France sorte mentalement de cette relation marquée par l'héritage colonial, une période que les populations jeunes de ces pays n'ont pas connue".
"La démocratie, c'est toujours un combat entre indépendance de la justice et considérations politiques", relève pour sa part Philippe Hugon, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris, Paris).
"Qui songerait aujourd'hui se mettre à dos" le président tchadien Idriss Deby sur la question du respect des libertés, puisqu'il aide la France dans son combat contre les jihadistes dans le Sahel ? s'interroge-t-il.
Critiqué par les défenseurs des droits de l'Homme, le Tchad occupe la 135e place sur 180 pays dans le classement 2015 sur la liberté de la presse de l'association Reporters sans frontières.
Photo:DR / Le président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire, Guillaume Soro a été à la base d'une brouille diplomatique