Beaucoup de choses ont été dites sur la réforme engagée en ce moment au niveau du secteur du transport routier. Et précisément la réforme des procédures de traitement des opérations de prestations de services aux usagers. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le ministre des Transports, Gaoussou Touré, définit le contexte dans lequel intervient cette réforme. Il explique en quoi elle va consister, avant de répondre aux inquiétudes des acteurs du Transport, aux articles de presse et aux réseaux sociaux. Interview.
Le Patriote : Monsieur le Ministre, la reforme que vous avez décidé d’engager dans le transport routier fait jaser. Au point où vous êtes accusé de vouloir mettre fin aux conventions de certaines sociétés exerçant dans ce secteur ?
Gaoussou Touré : Je ne suis pas surpris par ces accusations. Et je sais qu’elles sont commanditées par des dirigeants de sociétés privées dont les conventions de concessions qui sont arrivées à terme depuis le 20 août 2013 ne seront pas renouvelées. Je comprends qu’ils tentent de conserver les privilèges par tous les moyens. Mais, je déplore l’utilisation du dénigrement, de la désinformation et des accusations gratuites comme moyen de défense.
Ces sociétés reconnaissent que les conventions ont bel et bien expiré. Elles savent également qu’à l’expiration du délai de validité, l’Etat, conformément aux termes des conventions, peut en proroger le délai ou y mettre fin.
Elles savent, par ailleurs, que les usagers sont très mécontents des prestations fournies. Ils le manifestent tous les jours par de nombreuses plaintes qui expliquent le traitement inhumain dont ils sont l’objet.
Les usagers dénoncent le fait qu’ils sont obligés de faire la queue devant les guichets à partir de 4 heures du matin et qu’ils subissent de la part des agents de ses structures, toutes sortes d’humiliations sous le soleil et la pluie . Ils dénoncent aussi l’amplification du racket et de la corruption, autour et à l’intérieur des guichets.
Ils s’insurgent contre le dépouillement des accessoires des véhicules importés, sans possibilité de dédommagement, malgré le paiement de sommes élevées. Ils accusent les agents de ces structures de prolonger, sans explication aucune, les délais de garde des véhicules dans les parcs, tout juste pour multiplier les frais de magasinage payés par les usagers.
Enfin, ils dénoncent la confiscation de leurs documents de transport qui ne sont délivrés que contre paiement de fortes sommes d’argent. C’est donc face à toutes ces dérives que l’Etat, constatant également la fin de leurs conventions, n’a fait que la leur signifier. Contrairement donc aux informations mensongères, l’Etat ne dissout pas ces structures (STARTEN et INTERFLEX). Il ne fait que mettre fin aux conventions qui le liaient à ces structures.
LP. Mais ces structures, dans leurs interventions dans les médias, mettent en avant leur « expertise » qui devrait, selon elles, vous amener à reconduire leur convention. Qu’en dites-vous ?
GT : La réponse à cette question est toute simple. L’Etat a signé des conventions avec ces structures. L’objectif clairement défini était de mettre l’accent sur l’efficacité, la rapidité, le professionnalisme et la lutte contre le racket dans le traitement des dossiers d’établissement des titres de transport. Mais aujourd’hui, de vous à moi, que remarquons-nous dans la pratique sur le terrain ?
La réalité est que l’expertise que ces entreprises revendiquent est très loin de la réalité que les usagers vivent au quotidien dans les centres et autres guichets. Comment comprendre qu’un demandeur de permis de conduire soit aujourd’hui obligé de se lever à 4 heures du matin pour aller s’aligner devant les guichets ? Comment comprendre qu’un demandeur d’un simple titre de transport soit l’objet de racket à tous égards dans les guichets de ces entreprises « expertes » ? Comment expliquez-vous qu’un postulant au permis de conduire attende 3, voire 6 mois et plus pour se voir délivrer un document ?
Comment expliquez-vous que le Ministre dont la signature valide toutes les opérations ne reçoive aucune information sur ces opérations et ne dispose d’aucun moyen de suivi et de contrôle ?
C’est pour toutes ces raisons doublées de multiples plaintes quotidiennes des usagers que l’Etat n’a pas jugé utile de proroger la validité des conventions au-delà du 31 mars 2014. Cela m’offre l’occasion d’indiquer que le Ministre hier, faisait face à des critiques virulentes des usagers qui le qualifiaient de complice et de corrompu et « qui mange » avec les structures. Raison pour laquelle il reste insensible aux souffrances des Ivoiriens.
Aujourd’hui, ce sont les structures qui tirent à boulet rouge sur le Ministre. Cela montre sa neutralité saluée par les usagers et sa ferme volonté de résoudre les problèmes tout en améliorant la qualité des services et en veillant au paiement d’un prix juste des prestations fournies.
LP : Monsieur le Ministre, concrètement, en quoi va consister votre réforme ?
GT : C’est pour remédier aux problèmes multiples et multiformes cités plus haut que l’Etat a donc décidé de mettre en œuvre une nouvelle politique efficace de modernisation du secteur du transport routier.
La mise en œuvre de cette politique passe par l’installation au Ministère des transports d’une base de données utilisant les techniques et les outils de dernière génération. Cette base de données, automatisera, tracera, simplifiera et sécurisera l’ensemble des procédures de traitement des opérations de prestations de services aux usagers tout en offrant une connexion informatique à tous les acteurs du transport routier.
La réforme, grâce à la transparence qu’elle instituera dans le secteur du transport routier, solutionnera les multiples problèmes rencontrés avec des gains de temps considérables et une réduction sensible des coûts des prestations.
Elle instaurera des pratiques fiables sur toutes les opérations des transports et mettra en place tous les outils nécessaires à une gestion rationnelle de la sécurité routière, des auto-écoles, des lignes et autorisations de transport.
Elle réduira la corruption à sa plus simple expression et permettra au Ministère des Transports de disposer de statistiques fiables.
La réforme révolutionnera le secteur du transport routier qui tournera le dos au désordre, à la violence et à tous les vilains maux qui le caractérisait, pour s’inscrire dans la modernité et la transparence au mieux des intérêts de tous les acteurs, en particulier les usagers qui retrouveront le sourire après tant d’années de calvaire.
Enfin la reforme permettra au Ministre de disposer de tous les moyens nécessaires pour le suivi et le contrôle de toutes les opérations.
LP : Monsieur le Ministre, cette réforme, selon certaines sources ferait disparaître des structures que sont la SONATT, l’AGETU, l’OSER, l’OFT, la SICTA, l’OIC, le Guichet Unique Automobile. Qu’en est-il exactement ?
GT : Il n’en n’est rien. De tels propos ne sont qu’une campagne de désinformation et d’intoxication orchestrée par les détracteurs de la réforme. Hormis la SONATT et l’AGETU qui peuvent subir des modifications profondes de statut, il n’en n’est rien pour les autres structures qui seront renforcées. Mais elles n’échapperont pas au suivi et au contrôle des opérations. Nous saisissons cette occasion pour dire que reforme ou pas, l’AGETU, avec des pertes cumulées supérieures à 5 fois le capital social et des milliards de dettes impayées, est pratiquement en faillite.
En effet, les règles de l’OHADA indiquent que toute société qui cumule des fonds propres négatifs supérieurs à 2 fois le capital doit être mise en faillite et liquidée. Quant à la SONATT, si elle venait à disparaitre du fait que les ressources prélevées ne permettent pas d’entretenir deux sociétés chargées des mêmes missions, aucun agent ne restera au bord de la route. Ils auront tous un poste d’affectation leur garantissant tous les acquis sociaux.
Il en est de même pour les agents de l’AGETU qui, avec la reforme, retrouveront une situation stable alors qu’ils cumulent aujourd’hui plusieurs mois de salaires impayés. Les effectifs déclarés des deux sociétés ne dépassent pas 600 agents alors que les détracteurs annoncent plus de 35 000 agents que la reforme mettra au chômage. Ceci n’est que dénigrement et intoxication.
La réalité est qu’aucun agent des sociétés d’Etat ne sera mis au chômage. Mieux, le redéploiement de l’Administration dans les 31 capitales régionales, doublé des chantiers à ouvrir grâce aux projets majeurs à mettre en œuvre, créeront de multiples emplois supplémentaires.
Par ailleurs, nous créerons une nouvelle structure dénommée, Autorité de Régulation des Transports Terrestre et Maritime (ARTM). Cette autorité sera chargée de réguler les activités du système de transports multinational pour résoudre l’épineux problème de circulation dans la ville d’Abidjan.
Ce système multimodal prévoit l’arrivée de compagnies de référence de transport lagunaire par bateaux bus de dernière génération, la mise en œuvre du projet de train urbain qui reliera dans un premier temps, Anyama à l’aéroport via Abobo, Adjamé, Plateau, Treichville, Port-Bouët et dans un second temps, les lignes Yopougon- Bingerville et Aéroport- Bassam-frontière Ghana seront programmées. Elle aura également en charge l’arbitrage des conflits entre les opérateurs avec les usagers.
LP : L’on évoque aussi la question de la corruption des agents de la Direction Générale des Transports Terrestres et de la Circulation (DGTTC), une entité désormais au centre de la reforme. Quel commentaire en faites-vous ?
GT : C’est le lieu de rappeler là aussi qu’en tant que Ministre, je ne suis pas satisfait des performances de la DGTTC. J’affirme en toute franchise que le racket, la corruption et tous les vilains maux reprochés aux structures STARTEN, INTERFLEX, SONATT, et autres, existent bel et bien à la DGTTC.
Cette direction subira une profonde réforme et toutes les opérations seront suivies et contrôlées. Aucun agent, quel que soit le poste qu’il occupe, ne pourra faire ce qu’il veut. Il sera tenu de respecter les procédures, au risque de subir les sanctions qui s’imposent.
LP : Certains opérateurs vous accusent également de vouloir tout centraliser, au moment où le monde entier décentralise ?
GT : J’indique tout simplement que c’est la réforme qui, au contraire des allégations de ces opérateurs d’un certain acabit, assurera la décentralisation des opérations de transport, avec l’ouverture de 31 guichets dans toutes les capitales régionales.
Ce qui permettra d’éviter de longs déplacements aux usagers qui bénéficieront de tous les services sur place. Par contre, le suivi, le contrôle des opérations, la collecte et le traitement des informations pour l’établissement de statistiques fiables nationales seront centralisés.
Cela aidera le Ministère à assurer son rôle régalien de suivi et de contrôle de toutes les opérations avant signature des documents de transport. De même, la maîtrise des statistiques facilitera une meilleure planification des mesures et programmes de développement du secteur du transport routier.
LP : Monsieur le Ministre, abordons le sujet de l’appel d’offres ayant abouti à la signature de convention avec la société QUIPUX, opérateur technique de cette réforme. Comment s’est-il déroulé et quel rôle jouera véritablement cette structure ?
GT : Contrairement à certaines allégations relatives à l’attribution du marché à la société QUIPUX par une procédure de gré à gré, j’informe que la Direction des Marchés Publics (DMP) du Ministère en charge du Budget, a lancé, à la demande du Ministère des Transports, le 02 mai 2012, un appel d’offres international en vue du recrutement d’un opérateur pour la conception, l’installation, la formation et l’exploitation du système de gestion intégrée de l’ensemble des activités de transport terrestre en Côte d’Ivoire.
Sur environ vingt (20) dossiers d’appel d’offres retirés, huit (8) sociétés ont effectivement soumissionné :
ZETES-CI (Belgique),
QUIPUX (Colombie),
COMPUTER TECHNOLOGY (Côte d’Ivoire),
Société Nationale de Développement Informatique (Côte d’Ivoire),
SCANNING SYSTEM (Côte d’Ivoire),
FYTRACK (Etats Unis d’Amérique),
STARTEN TECHNOLOGIE (Israël – Côte d’Ivoire),
Groupement GENIS AFRIQUE/PROOFTAG (France).
L’analyse des offres techniques par la Commission a donné les résultats suivants :
1er QUIPUX avec une note de 91/100 ;
2ème COMPUTER TECHNOLOGY avec une note de 61/100 ;
3ème STARTEN TECHNOLOGIE avec une note de 28/100 ;
4ème SNDI avec une note de 23/100.
Le 04 janvier 2013, la DMP a procédé au lancement de l’appel d’offres financier. Seules les sociétés QUIPUX et COMPUTER TECHNOLOGY ont retiré le dossier d’appel d’offres financier.
La société QUIPUX a soumis une offre financière qui a obtenu une note de 77 points sur 100.
La note finale de la société QUIPUX, à l’issue des deux étapes a été de 89/100 (offre technique 91/100 et offre financière 77/100).
La Commission a par conséquent décidé de l’attribution du marché à la société QUIPUX.
Le 24 avril 2013, les Ministres en charge des Transports et du Budget ont procédé à la signature de la Convention de Concession avec la société QUIPUX.
Suite aux différentes négociations, les membres de la Commission (Ministère en charge des Transports et du Budget et le BNETD) ont effectué une mission de prospection en Colombie et au Brésil pour voir sur place les réalisations de la société QUIPUX avant toute décision définitive. Cette mission a permis de constater l’installation effective et fonctionnelle de système intégré performant opéré par la société QUIPUX dans ces 2 pays.
Ils sont rentrés très convaincus de la capacité de la société QUIPUX à réaliser le projet car il s’agit pour elle de copier et d’adapter ce qu’elle a fait en Colombie et au Brésil, en vue de l’installation d’un système plus performant en Côte d’Ivoire. Suite à cette mission, la commission a décidé de l’attribution définitive du marché à la société QUIPUX.
LP : Dans cette réforme, on parle de nouveaux types de permis de conduire. Comment cela va se faire ?
GT : Il s’agira de faire une nette distinction entre le permis « promenade-affaire » et le permis « professionnel » qui concerne les poids lourd et les cars. Pour ces futurs conducteurs professionnels, sur le plan théorique, après la formation sur le code, nous aurons une formation en instruction civique, de telle sorte que les conducteurs prennent conscience de leurs responsabilités, parce qu’ils ont en main la vie de 30 à 70 personnes.
A ce titre, ils doivent assumer pleinement leurs responsabilités, en évitant ces nombreux accidents qui endeuillent notre pays.
Comme toutes les infractions seront signalées et prises en compte au niveau de la base de données, il y aura donc un contrôle qui permettra de prendre des sanctions contre les mauvais conducteurs. Ces sanctions pourront aller jusqu’au retrait du permis. Je précise que ce changement entre dans le cadre de la politique de sécurité routière qui est un pan essentiel de cette réforme.
LP : Mais les auto-écoles ne sont pas aussi en reste avec des formations au rabais ?
GT : En toute franchise, nous n’avons pas de véritables auto-écoles actuellement. 98 % d’entre elles s’apparentent à de véritables « boutiques de vente de permis de conduire ». Elles ne disposent même pas de véhicules pour la formation pratique des candidats.
Elles ne remplissent donc pas une partie importante de la mission de formation pratique des candidats au permis de conduire. Pourtant, les candidats, comme par miracle, obtiennent le permis de conduire dans des délais qui varient en fonction des montants payés. L’Etat qui a en charge la protection et la sécurité des populations ne peut fermer les yeux sur de tels faits.
Avec la reforme, nous procèderons à une sélection rigoureuse des auto-écoles. Celles qui seront retenues bénéficieront d’un programme de renforcement de capacité et de matériels informatiques performants reliés à la base de données. Les contenus des modules de formation des formateurs et des moniteurs seront revus.
Le contrôle en ligne des auto-écoles assurera aux moniteurs, le paiement régulier des salaires qui ne seront pas inferieurs au Salaire minimum garanti. Par ailleurs, le candidat, dès son inscription en ligne à l’auto-école, sera pris en compte au niveau de la base de données jusqu’à la délivrance du permis de conduire.
LP : Quelles seront les répercussions de cette réforme sur les coûts des prestations ?
GT : Nous pouvons rassurer les Ivoiriens en disant que l’un des objectifs majeurs de cette réforme est d’offrir un service de qualité à moindre coût, pour contribuer à la lutte contre la vie chère. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les prix des prestations seront en corrélation étroite avec les services rendus.
seront donc forcément plus bas. Je constate donc avec amertume que les opposants à la réforme ne font que du dénigrement et de la désinformation, sans relever le moindre point de désaccord avec la réforme.
Il ne peut pas en être autrement dans la mesure où la réforme ne vise qu’à l’amélioration de la qualité des services, la réduction des couts, la production de statistiques fiables, le suivi et le contrôle de toutes les opérations en toute transparence. A ce titre, seuls ceux qui ne défendent que leurs intérêts égoïstes s’y opposent sans raison valable. A preuve, les nombreux messages de félicitations que nous recevons tous les jours de la part des usagers en disent long sur la justesse de cette reforme.
Réalisée par Jean Eric ADINGRA
La grande interview transport routier : Gaoussou Touré explique la reforme et rassure. - Photo à titre d'illustration