Dans plusieurs pays d'Afrique noire, la polygamie regagne du terrain.
«S’il n’est que de vous nourrir, une seule femme suffit». Cette citation tirée des Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop n’est pas parole d’évangile sur le continent africain où voir un homme marié à plusieurs femmes ne choque pas. La polygamie, autorisée par l’Islam sous certaines conditions, est également acceptée par les religions traditionnelles.
La scolarisation et le mode de vie à l’occidental avaient réussi à cloisonner la pratique dans certains cercles réfractaires au changement, sans toutefois la vouer aux gémonies. Mais de plus en plus, la polygamie gagne du terrain dans des milieux intellectuels ou politiques dans certains pays d’Afrique subsaharienne.
En Afrique du Sud, le président Jacob Zuma affiche ses nombreuses femmes sans aucun complexe. Au nombre de trois au moment de sa prestation de serment, elles sont désormais six à avoir le titre de première dame. Ainsi, la libido légendaire du successeur de Thabo Mbeki alimente les blagues les plus drôles au pays de Mandela.
Son voisin du Swaziland, le roi Mswati III dispose quant à lui d’un «harem». Ainsi en juin 2005, il avait douze épouses, deux fiancées officielles et 24 enfants.
En Côte d’Ivoire, pour des raisons politiciennes, Laurent Gbagbo, chrétien, a pris une seconde épouse dans la région nord (musulmane), dominée par la rébellion des Forces nouvelles. Une situation dont s’accommode bien sa première épouse Simone Gbagbo, réputée être une forte tête.
La polygamie pour soigner son image
Au Sénégal, il n’y a jamais eu de président polygame, mais l’élite politique et intellectuelle est adepte de la pratique. Ainsi le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, plusieurs ministres d’Etat, des hauts-gradés de l’armée, des leaders de l’opposition politique, des intellectuels de haut rang affichent leur polygamie sans complexe. Cela s’explique, probablement, par la très forte influence qu’exercent les cercles confrériques sur ces personnalités. Désireux de bénéficier du soutien des religieux dans leur domaine d’activité, ces personnalités essaient de parfaire ainsi leur image. Car en plus d’être un intellectuel, si on se limite à une seule femme, on risque de ne pas apparaître comme un bon musulman aux yeux de ces soutiens politiques, dans un pays où tout est dans la représentation. Religion comme politique.
Ce que veulent les femmes
Bien que pays musulman, la Tunisie a interdit la polygamie. Une mesure censée participer à l’émancipation des femmes.
Cette préoccupation n’est pas partagée au Sénégal. L’élite féminine sénégalaise n’est plus aussi opposée à la polygamie avec la même verve qu’au début de l’affirmation des mouvements féministes. Les femmes intellectuelles s’accommodent de mieux en mieux de cette pratique. Il est vrai qu’avec les études, les femmes se marient de plus en plus tard. Elles ont ainsi moins de chance de trouver un homme de leur choix qui de surcroît est monogame. Ces jeunes femmes déplorent le fait qu’après les études supérieures, l’homme idéal est toujours polygame. De peur de «mourir vieille fille», elles préfèrent s’engager dans un ménage polygame.
Certaines, comme cette jeune cadre dans une société de téléphonie mobile, troisième épouse d’un homme qui en a quatre, en ont fait un choix de vie.
«Je ne peux pas passer toutes mes journées au boulot et revenir m’occuper d’un gros bébé le soir. Je n’ai vraiment pas le temps de faire du poulet tous les soirs. Avec mon statut de troisième épouse, je ne vois mon mari que deux fois dans la semaine. Les autres jours, il est chez ses trois autres femmes. Cela m’arrange et me permet de m’occuper de ma carrière.»
déclare la jeune femme d’une trentaine d’année.
Même son de cloche chez cette comptable, deuxième épouse d’un officier: «La polygamie m’arrange parce qu’elle me permet de bien concilier travail et ménage. Je doute fort que j’aurais été aussi heureuse si j’avais à voir mon mari tous les jours.», plaide-t-elle.
Célibataire sans enfant, cette étudiante en droit n’en dit pas moins: «Les femmes sont trop nombreuses. Il faut accepter la polygamie pour que chaque femme puisse avoir un mari.».
Un avis que ne partage pas Aminata Sow, une jeune sénégalaise.
«Je ne serai jamais dans un ménage polygame. Cette pratique matrimoniale est source de fissures familiales. En plus, elle augmente les charges du père de famille et cela ressurgit sur la bonne éducation des enfants issus du premier mariage.»
Au Mali, la polygamie est loin d’être un effet de mode. Conservatrice, la société malienne accepte cette pratique. Dans ce pays voisin du Sénégal, les hommes se marient à plusieurs femmes, mais les divorces sont très fréquents.
Dans d’autres pays d’Afrique de l’ouest comme le Togo ou le Bénin, la polygamie est moins fréquente. Même au sein des communautés musulmanes de ces pays, le régime polygamique perd du terrain car les jeunes l’associent aux dépenses faramineuses et aux disputes incessantes entre les différentes co-épouses. Cependant, note Sophie Kaliwa, une togolaise vivant à Dakar, «ces monogames togolais et béninois multiplient les maîtresses et entretiennent des relations avec d’autres femmes.» Une drôle de manière de rejeter la polygamie.
La polygamie redevient «in» en Afrique. - Photo à titre d'illustration