Un nouveau témoin à la barre, ce lundi, à la Cour pénale internationale (CPI), dans le cadre du procès de Laurent Gbagbo et Blé Goudé. Malgré sa requête, Sanogo Abdourahmane s’est vu refuser l’octroi de mesures de protection par la Chambre. A visage découvert donc, ce témoin oculaire a raconté la marche sur la Radiotélévision ivoirienne (RTI).
C’est d’un balcon à Williamsville, dans le nord d’Abidjan, que le témoin a assisté à la scène, le 16 décembre 2010. Interrogé par le bureau de la procureure, Sanogo Abdourahmane a déroulé son récit. Ce jour-là, il dit avoir vu des jeunes du quartier descendre dans les rues. Leur objectif : soutenir le gouvernement d’Alassane Ouattara et installer le nouveau directeur de la RTI, suite à un appel de Guillaume Soro. « Ce sont les tirs des pistolets automatiques qui ont attiré mon attention », explique le témoin. « On est sortis (sur le balcon ndlr) voir ce qu’il se passait. Nous avons vu les jeunes qui convergeaient vers le pont », poursuit-il, faisant référence au pont reliant Williamsville à Habitat Extension.
Des éléments du CECOS auraient visé les manifestants
Alors que les jeunes tentaient de descendre sur la voie express, « des véhicules de police sont arrivés et ils ont empêché les jeunes de descendre (...) Il y’a eu des tirs », poursuit-il. Sanogo Abdourahmane aurait tout d’abord aperçu un pick-up blanc, sans insigne, qui transportait des personnes en uniforme, en pantalon de treillis plus exactement. Ces dernières ont « commencé à tirer » affirme le témoin, notamment « vers les jeunes qui érigeaient des barricades ». « Ceux qui étaient dans les rues n’avaient pas d’armes. Les tirs sont venus des véhicules », assure-t-il encore.
D’autres pick-up sont alors arrivés. Selon les dires du témoin, il s’agissait de véhicules bleus portant l’insigne du CECOS et « des mitrailleuses » à l’arrière. Les éléments à bord de ces véhicules auraient eux aussi tiré pour « disperser les jeunes » et « dégager la voie pour les véhicules », en direction des personnes postés sur le pont, au niveau des barricades, puis vers les manifestants qui se dispersaient dans les quartiers. « Je soutiens formellement que les jeunes n’étaient pas armés. Personne n’a fait feu sur ces véhicules » affirme une nouvelle fois le témoin, qui a filmé toute la scène depuis le balcon où il était posté.
Des vidéos du témoin qui ne corrobore pas les précisions ses dires
C’est sur ces vidéos que s’est d’ailleurs concentré la défense de Laurent Gbagbo. Le témoin a expliqué qu’il avait créé un compte Youtube pour mettre en ligne les images afin de les partager avec ses amis sur Facebook. « Le but n’était pas de compromettre qui ce soit », se justifie-t-il, précisant qu’il n’avait pas « pensé un seul instant » que ces vidéos pouvaient le mettre en danger. Jennifer Naouri, l’une des avocates de Laurent Gbagbo, a ensuite longuement questionné le témoin sur le processus qu’il avait suivi pour les mettre en ligne et les raisons pour lesquelles il ne les avait pas protégées.
« Y’a-t-il un doute sur le fait que (ces vidéos) aient été téléchargées ou pas ? », a interrompu le président de la Chambre. « Oui », affirme l’avocate. Cette dernière a ensuite cherché à savoir pourquoi ces images n’étaient plus en ligne aujourd’hui, alors qu’elles l’étaient toujours lorsque le témoin avait été interrogé par le bureau de la procureure en 2015. « On a décidé de les enlever par mesure de sécurité (…) Il ne fallait pas qu’on puisse remonter jusqu’à moi », justifie le témoin. « C’est qui on ? » reprend l’avocate. La réponse sera donnée à huis clos partiel.
Plusieurs de ces vidéos, filmées à l’époque avec un Iphone 3, ont ensuite été présentées au témoin. Avec plusieurs arrêts sur images, l’avocate a demandé s’il était possible de distinguer des détails sur les images : comment sont habillés les manifestants, d’où viennent-ils, s’ils portent des armes, qui sont les auteurs des tirs ou encore si une inscription est visible sur l’un des véhicules. De plus en plus tendu au fur et à mesure des questions, le témoin oppose toujours les mêmes réponses. Sur les images, on ne peut pas voir les détails, mais lui assure savoir ce qu’il s’est passé. « Je sais très bien qui a tiré, j’étais là » même si « sur les vidéos ce n’est pas très clair », insiste-t-il. « Une chose est l’image filtrée par la vidéo, une autre celle que l’on peut voir de ses propres yeux, c’est totalement différent », interrompt finalement le président de la Chambre. La défense de Laurent Gbagbo continuera d’interroger le témoin demain matin, avant de passer la parole aux avocats de Charles Blé Goudé....
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Photo à titre d'illustration