Près d’un quart de la production d’anacarde est vendu illicitement vers les pays voisins, notamment le Burkina Faso et le Ghana.
Arsenal juridique plus répressif et sensibilisation des planteurs : la Côte d’Ivoire, leader mondial de la production de noix de cajou, désormais considéré comme « un produit stratégique », veut lutter sans répit contre la contrebande des noix vers les pays voisins.
La campagne 2021 de commercialisation de « l’or gris », la noix de cajou ou anacarde, s’est ouverte le 5 février. Celle de 2020 s’est soldée par une hausse de 33 % de la récolte, soit plus de 840 000 tonnes. Au total, 297 milliards de francs CFA (453 millions d’euros) ont été distribués aux producteurs, contre 238 milliards en 2019 (363 millions d’euros).
Mais « entre 150 000 et 200 000 tonnes ont été vendues illicitement » en 2020 vers les pays voisins, notamment le Ghana et le Burkina, « contre prés de 100 000 tonnes » en 2019, selon les chiffres officiels.
« Chaque année, la fuite de la production est une grande préoccupation », indique à l’AFP Adama Coulibaly, directeur du Conseil coton anacarde (CCA) ivoirien qui gère la filière : « Nous essayons de mettre tout en œuvre pour limiter le départ de notre richesse vers les [pays] voisins. »
« Taper fort »
En 2020, la Côte d’Ivoire a renforcé son arsenal juridique par une ordonnance gouvernementale qui abrogeait celle de 2018 jugée « inefficace » pour lutter contre la contrebande qui touche aussi le cacao, dont le pays est également le premier producteur mondial.
« Nous avons plus de marge de manœuvre contre les malfaiteurs de l’économie. Car chaque kilo qui sort est une perte pour l’économie nationale et pour la filière », insiste le patron du CCA. Le contrevenant risque désormais jusqu’à 10 ans de prison, 50 millions de francs CFA (76 000 euros) d’amende et la saisie de sa récolte. « Il faut taper fort, là où ça fait mal, sur le portefeuille » de ceux qui organisent ce trafic, dont la plupart sont installés dans les pays environnants, estime M. Coulibaly.
Sans mettre en doute l’efficacité des nouvelles mesures, de nombreux spécialistes estiment toutefois qu’un bon prix payé aux planteurs et une meilleure qualité du produit constituent la véritable parade contre la fuite de ce produit phare de l’agriculture ivoirienne.
« C’est un réseau bien organisé », explique sous couvert d’anonymat un planteur de Ferkéssédougou, principale région de production de l’anacarde, proche de la frontière burkinabée (nord). « Ici, les prix fixés entre 400 et 500 francs CFA le kilo ne sont pas respectés, alors que nous arrivons à l’écouler entre 800 et 1 500 francs CFA le kilo au Burkina Faso », affirme-t-il. Les noix de cajou sont acheminées par les nombreuses pistes qui traversent les frontières poreuses séparant la Côte d’Ivoire du Burkina.
Mise en place d’un « comité d’éveil »
« La Côte d’Ivoire paie aujourd’hui la mauvaise qualité de sa production » qui pousse « les exportateurs à proposer [aux planteurs] des prix à l’achat en dessous de ceux pratiqués chez ses voisins comme le Ghana où la qualité est meilleure », explique Klotioloma Soro, coordonnateur de l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader).
Avec la répression, la sensibilisation est désormais au cœur de la politique de lutte contre la contrebande. Une campagne s’est déroulée la semaine dernière dans les régions du nord après la décision du gouvernement « d’instruire les services en charge de la protection des frontières (…) de prendre toutes les mesures de lutte contre la fuite des noix par les frontières terrestres ».
Un « comité d’éveil » dirigé par le préfet dans ces régions a été mis en place, composé d’acheteurs, de policiers, de gendarmes et de militaires chargés d’appliquer ces mesures.
Outre la lutte contre la fuite de sa production, le secteur ivoirien de l’anacarde qui compte 350 000 producteurs, doit aussi relever le défi de la transformation : l’Afrique assure environ 90 % de la production mondiale de noix de cajou, mais n’en transforme localement que 10 %.
L’Amérique du Sud et surtout l’Asie transforment non seulement leur production, mais aussi celle des noix importées, qu’elles peuvent ensuite réexporter. La noix de cajou brute est exportée vers l’Inde, le Vietnam et le Brésil qui abritent des industries de transformation.
Les principaux pays consommateurs sont l’Inde, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Chine, les Emirats arabes unis et l’Australie. L’amande de la noix de cajou est utilisée en cuisine et dans les cosmétiques, alors que la résine contenue dans sa coque se prête à divers usages industriels. La coque de la noix brute contient ainsi un liquide utilisé comme fluide pour les systèmes de freinage des avions.
La pomme de cajou est, elle, utilisée pour produire du vin, de la liqueur, du sirop, de la confiture et du jus.
Dans un entrepôt de noix de cajou à Abidjan, en juillet 2018. LUC GNAGO / REUTERS