Le « refus » du Parti démocratique Côte d'Ivoire (Pdci) d’aller au parti unifié Rhdp (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix , la coalition au pouvoir), « avant 2020 aura pour conséquence de l’exclure de la majorité présidentielle et des partis gestionnaires du pouvoir », explique dans un entretien à APA le politologue ivoirien Claude Prégnon Nahi, également enseignant chercheur à l’Université publique de Korhogo.
Avec le rejet par le Pdci du Mouvement sur les traces de Houphouët-Boigny, notamment favorable au parti unifié Rhdp, n’assistons-nous pas à une division, voire une dissidence au sein de l’ex-parti unique ?
La création du courant mouvement « Sur les traces de Houphouët-Boigny » peut être effectivement considérée comme une dissidence au sein du PDCI pour deux raisons. Premièrement, dans les textes du PDCI, il n’est pas admis l’existence d’un courant interne. Il est plutôt prévu, une possibilité pour le parti de s’affilier à des mouvements ou courants politiques dont il partage les mêmes idéaux.
Deuxièmement, ce mouvement prend le contrepied des résolutions de la réunion du bureau politique du 17 juin 2018 en affichant clairement une position favorable pour le parti unifié avant 2020. En dehors du congrès, le bureau politique est une des plus importantes instances du Pdci.
Il y a ce qu'on appelle dans le fonctionnement des partis politiques, le centralisme démocratique. On vous permet des débats à l’intérieur mais quand une décision est prise, vous êtes tous obligés de vous y soumettre. Un communiqué de la direction du Pdci datant du 4 juillet 2018 dénonce la naissance de ce courant.
Le « non » du Pdci au parti unifié Rhdp ne marque-t-il pas une rupture entre MM. Bédié et Ouattara ?
Le Pdci ne s’est pas prononcé contre la naissance du parti unifié. Le bureau politique a simplement proposé que le congrès constitutif du nouveau parti se tienne après 2020. Le Pdci a paraphé l’accord politique qui est le socle de la création du parti unifié. L’accord politique porte sur les fonts baptismaux l’idée de la création du parti unifié.
Cependant, une telle position du Pdci, ne fait que conforter sa volonté affichée de voir s’imposer l’idée d’une alternance à son profit au sein du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) en 2020 lors des présidentielles. Or, cette position est contraire à la vision du président Ouattara qui souhaite non seulement la création du parti unifié avant les échéances électorales de 2020, mais est également favorable à une compétition au sein de la majorité présidentielle pour trouver le candidat du Rhdp de 2020.
On peut donc craindre que les délibérations de la réunion du bureau politique du 17 juin ne soient venues accentuer les divergences d’opinion entre les deux hommes. Cependant, on ne pas encore parler de rupture dans la mesure le Pdci n’a pas encore tenu de congrès pour statuer sur la question.
C’est vrai que l’idée d’un congrès du Pdci avant 2020 a été écartée pour l’instant par les dirigeants, mais les choses peuvent évoluer. Les textes prévoient une période de transition de 12 à 18 mois aux partis membres avant de rejoindre le RHDP. Le dialogue est encore possible entre les deux alliés.
M. Ouattara annonce vouloir travailler avec un gouvernement issu du Rhdp et de la société civile, quel commentaire faites-vous pour un Cabinet sans des cadres du Pdci ?
M. Cissé Bacongo (un cadre du Rdr) a une fois fait une déclaration devant les jeunes du Rassemblement des républicains (Rdr, pouvoir) caricaturant la gestion du pouvoir d’Etat actuel en y indexant indirectement son allié le Pdci disant ceci « on mange ensemble, tu manges plus que moi, tu es rassasié et tu me demandes de quitter et tu vas t’asseoir. C’est qu’elle offre politique ça ».
Ce cabinet serait donc une suite logique de la vision actuelle du président Ouattara qui a déjà prévenu ses alliés au 4ème Congrès du Rdr en ces termes : « on gouverne ensemble ou on ne gouverne pas ensemble ».
Le Pdci est aujourd'hui au pouvoir, gère le pouvoir avec le Rdr, c’est leur accord de 2005 à Paris qui le dit : acquérir le pouvoir et le gérer ensemble. Ainsi pour les dirigeants actuels, le refus du Pdci d’aller au parti unifié avant 2020 aura pour conséquence de l’exclure de la majorité présidentielle et des partis gestionnaires du pouvoir.
Pensez-vous que le pouvoir est à la portée du Pdci en 2020 si le Fpi (Front populaire ivoirien, le parti de Gbagbo) se rapproche du parti de Bédié ?
Sociologiquement on pourrait l’imaginer, mais numériquement, le terrain doit le confirmer. Cependant, même pour l’envisager deux conditions importantes doivent être satisfaites. Primo, le Pdci doit devenir un parti d’opposition et envisager de conquérir le pouvoir d’Etat. Secundo, le FPI doit retrouver son unité. La crise actuelle au sein du Fpi ne fait pas de lui un allié sûr. Cette crise affecte ses fonctions sociales et politiques et l’empêche d’avoir une stratégie de mobilisation cohérente.
Quels commentaires faites-vous sur ce « bras de fer » entre le Pdci et les partis favorables au parti unifié ?
Le bras de fer n’oppose en réalité que le Pdci et le Rdr les deux partis dominants de la majorité présidentielles. Cette situation indique une crise de confiance entre ces alliés d’hier. A l’analyse, on se rend compte qu’il a certainement eu une promesse d’alternance même si les acteurs ne sont pas tous d’accord sur les modalités d’application et cette promesse a servi à mobiliser et à convaincre le Pdci.
Il ne faut pas qu’on ignore qu’il y avait un divorce entre le Pdci et le Rdr avant la création du Rhdp. Le parti au pouvoir joue la pérennité de son pouvoir et son allié joue sa survie. Le parti unifié est le résultat de tout un processus. C’est d’abord la transformation du Rhdp (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix) qui a été mis en place en 2005 par un ensemble de partis politiques en France.
L’objectif du Rhdp en 2005, c’était de se constituer en un groupement de partis politiques d’opposition, afin de s’opposer au régime de Laurent Gbagbo, d’acquérir le pouvoir d’État et de l’exercer ensemble. Il finit par réussir ce pari en 2011, maintenant le problème se pose au niveau du respect des engagements des membres fondateurs qui ont prévalu à la création du Rhdp. En effet, si l’objectif de combattre le régime en place a pu rassembler et fédérer les membres fondateurs, la gestion commune du pouvoir ne suscite pas le même engouement. En 2011, quand le Rhdp arrive au pouvoir, il est encore un groupement de partis.
Selon la loi ivoirienne de 93 sur les partis politiques, un groupement de partis est un ensemble de partis politiques qui se mettent ensemble et qui acceptent de conduire un programme de gouvernement commun et qui ont les mêmes idéologies, seulement que les partis restent indépendants.
A l’épreuve du pouvoir, la volonté d’autodétermination des partis fondateurs a fini par convaincre le parti dominant de la coalition qui est le Rdr que le parti unifié s’impose comme une condition, une nécessité pour pouvoir pérenniser le régime en place. C’est-à-dire d’un groupement de partis, les partis fondateurs devraient se diluer en un parti unifié.
A l’épreuve du pouvoir, ceux qui tiennent le pouvoir se rendent compte que la garantie idéale pour pouvoir pérenniser leur régime, c’est de consolider les acquis du RHDP en termes d’électorat et de représentation, donc c’est du réalisme politique. D’ailleurs la référence à Houphouët-Boigny n’est pas anodine. La longévité du régime est essentiellement dû à un compris politico-économique dont le parti unique a été un levier important.
Le parti unique a créé les conditions de stabilité du régime d’Houphouët-Boigny. En dehors de la croissance économique, c’est l’unanimisme et la pensée qui ont favorisé la stabilité. Ainsi, les héritiers d’Houphouët Boigny s’inspirent de son ingéniosité politique qui lui a permis après l’écrasante victoire du Pdci-Rda au élections de 1957 à fédérer un ensemble de forces politiques en un parti unique de fait.
Le parti unifié de 2018 est une forme cosmétique du parti unique dans un régime de multipartisme. Ceux qui sont à la base du parti unifié sont dans leur rôle, dans leur dynamique. En réalité, aucun pouvoir au monde n’aide ses opposants à lui succéder. Cependant, dans nos pays africains, les postes des hautes fonctions de l’Etat sont conditionnés ou rattachés aux allégeances politiques.
Dans ces conditions, ce qu’on appelle les primaires ne sont que des mises en scènes parce qu’en réalité ce sont des plébiscites. Ceci dit, l’alternance est une vue de l’esprit dans la mesure où le dernier mot reviendra au parti dominant qui détient les leviers du pouvoir. C’est toute la crainte du Pdci. Et les récents évènements qui montrent l’adhésion systématique des membres du gouvernement actuel issus du Pdci à l’idée de parti unifié avant 2020 ne fait que conforter leurs craintes.
AP/ls/APA
Le « refus » du Pdci d’aller au parti unifié avant 2020 aura pour conséquence son exclusion de la majorité présidentielle