L’audience du jour a vu se conclure l’interrogatoire de Sinaly Dosso. En octobre 2011, cet ancien opérateur dans les transmissions de l’armée avait remis les notes tirées de ses écoutes privées aux enquêteurs de la CPI.
Retour sur une journée d’audience électrique où la démarche du témoin s’est révélée moins anodine qu’elle n’en avait l’air.
L’interrogatoire du témoin P45 a repris ce jeudi 9 février dans le prétoire de la Cour pénale internationale à La Haye, avec Sinaly Dosso, 68 ans, ancien opérateur radio chevronné au sein de l’armée. C’est d’abord la défense de Laurent Gbagbo qui a poursuivi l’interrogatoire ouvert hier, suivie de celle de Charles Blé Goudé.
L’audience a essentiellement consisté à en savoir plus sur la nature des notes remises par le témoin aux enquêteurs du bureau du procureur à Abidjan, sur le matériel utilisé pendant les écoutes faites depuis son domicile pendant la crise postélectorale 2010-2011, et sur ses motivations quant à ces écoutes « clandestines » jamais enregistrées faute, dit-il, de magnétophone.
Sinaly Dosso aurait livré aux enquêteurs de la CPI, l’intégralité de ses notes prises au fil de la crise, « peu volumineuses car tenant dans une chemise », à la fois brutes et réécrites par ses soins. Ces notes auraient été photocopiées et redonnées au témoin qui aurait ensuite perdu ses originaux. « J’ai retourné toute ma maison quand j’ai su que j’allais venir témoigner ici, mais je ne les ai pas retrouvées. »
Une radio provenant du matériel de l’armée
Sinaly Dosso a précisé hier avoir utilisé une radio « ordinaire telle que tout le monde pouvait s’en procurer à Abidjan ». Il s’agit cependant d’une radio dont il disposait dans ses anciennes fonctions militaires, dix ans avant les faits.
« Vous dites que vous avez gardé cet équipement suite au coup d’Etat du 24 décembre 1999 contre le régime Bédié parce que vous ne pouviez plus revenir sur place sans être en danger. Or vous êtes resté en fonction là-bas jusqu’en janvier 2001. Qu’est-ce qui justifie la non-remise de cet équipement payé sur les deniers de l’Etat ? Vous l’avez gardé de façon frauduleuse n’est-ce pas ? » accuse la défense. « Tout le monde est parti avec son matériel, on ne me l’a jamais réclamé », répond le témoin.
Sinaly Dosso précise avoir passé une heure chaque jour pendant cinq mois derrière sa radio, notant seulement ce qui l’intéressait, jusqu’à ce que les réseaux rendent l’âme d’eux-mêmes à la fin des violences. « Je n’ai pas fait une fixation, quand j’avais du temps libre, j’écoutais dix minutes par ci et par là. Et je notais les informations que je trouvais intéressantes ».
Au fur et à mesure que le contre-interrogatoire avance, la démarche de cet ancien militaire branché sur les réseaux radio de la garde républicaine, de la police et de la gendarmerie - mais jamais sur les fréquences rebelles qui selon lui « n’avaient sans doute pas de réseau » - se révèle loin d’être une distraction.
Ses écoutes semblent en effet motivées par d’autres raisons que la simple curiosité. « Depuis la mort du général Guéï en 2002, il y a eu dans ce pays beaucoup de crimes dont personne n’a pu témoigner. J’ai voulu cibler les donneurs d’ordres, ceux qui disent de tuer » finit-il par lâcher. Des écoutes qui ont beaucoup tourné autour d’un certain Cosmos, indicatif du réseau de la Garde républicaine de Laurent Gbagbo qui aurait été, selon lui, très impliqué dans les violences et les tueries : « un donneur d’ordres virulent qui menait les opérations militaires de main de maître »....
Photo à titre d'illustration:DR / Procès de Laurent Gbagbo et Blé Goudé