Cris de joie, concerts de klaxons, portraits piétinés, la chute de Robert Mugabe a été acclamée dans tout le Zimbabwe. Vraiment tout ? Non. À une heure de route d'Harare, le village qui a vu l'ex-président naître et se marier a du mal à cacher sa peine.
« Quand j’ai appris la nouvelle » de son départ et « vu que les choses ne se présentaient pas bien, je me suis dis ‘bon, tout a une fin, il faut maintenant qu’il se repose' », confie, fataliste, un des amis d’enfance du chef de l’État déchu, Johannes Chikanya.
« Si j’avais été à sa place, j’aurais démissionné pendant que la population m’aimait encore », poursuit ce cousin très éloigné, « maintenant, ça crée des problèmes ».
Johannes Chikanya est né en mai 1924, trois mois après Robert Mugabe, à Kutama, à moins de 100 km à l’ouest de la capitale du pays,
Malgré son grand âge, il ne se fait pas prier pour évoquer avec tendresse leur modeste enfance commune. Avec un luxe de détails.
La couverture posée à même le sol d’une petite maison que les deux gamins partageaient parfois comme lit, les repas qu’ils mangeaient parfois dans la même assiette…
Ces temps semblent, à l’évidence, aujourd’hui révolus. À voir le goudron frais qui recouvre ses routes, Kutama a largement profité de l’ascension de l’illustre enfant du pays.
« Nous lui sommes tellement reconnaissants de tout ce qu’il a fait pour nous, de la façon dont il s’est occupé de nous jusqu’à aujourd’hui », se félicite Tobias Sowero, 40 ans, assis devant l’entrée d’un commerce, « j’espère que ça va continuer ».
Une exception dans un Zimbabwe qui sort exsangue du règne autoritaire de trente-sept ans exercé par Robert Mugabe.
Dans tout le reste du pays, les infrastructures sont dans un état de délabrement avancé, la quasi-totalité de la population active survit de petits boulots informels et l’argent manque cruellement.
‘Il nous a donné la terre’
A Kutama, certains ont profité de la funeste réforme agraire des années 2000. Ordonnée par Robert Mugabe, l’expulsion forcée des fermiers blancs a détruit l’agriculture d’un pays jadis considéré comme le grenier à blé de l’Afrique australe et a fait plonger le reste de l’économie.
« Même si d’autres se plaignent qu’il n’y ait plus de travail, moi je suis content d’avoir récupéré des terres », assure sans complexe Theophilus Chimanga, 22 ans, « je veux me rappeler de lui (Mugabe) comme celui qui nous a donné la terre et la liberté ».
Sans surprise, Kutama n’a pas connu mardi soir les scènes de liesse populaire qui ont accueilli l’annonce de la démission du « camarade Bob » à Harare ou à Bulawayo (sud-ouest).
« Non, il n’y a pas eu de célébrations ici, on s’est contentés d’accepter tranquillement ce qu’il se passait », note un commerçant qui préfère par précaution taire son identité.
Pas très loin du centre, la maison en briques que possède encore l’ancien chef de l’État dans son village paraît étrangement calme, bien loin des convulsions politiques qui agitent le pays.
Les forces de l’ordre qui la protégeaient naguère en nombre ont désormais disparu.
En 1996, elle fut le théâtre de l’extravagant remariage du président Mugabe avec sa deuxième épouse Grace, dont les appétits de pouvoir ont causé la semaine dernière l’intervention des militaires et précipité la fin politique de son époux.
Le temps de ces noces, le village de quelques milliers de personnes a accueilli des célébrités planétaires comme Nelson Mandela ou le président mozambicain de l’époque Joachim Chissano.
Aujourd’hui, les habitants de Kutama redoutent l’arrivée au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa, investi vendredi, et se refusent encore à tourner la page Mugabe.
« Je ne veux pas paraître trop émotive mais permettez-moi de dire qu’il était aimant », plaide Marjorie Masuwa, une commerçante de 54 ans. « J’espère simplement que son successeur le sera aussi », ajoute-t-elle, « et surtout je le prie de ne pas rendre les terres aux Blancs ».
Une femme à Kutama, le village natal de l'ex-président zimbabwéen Robert Mugabe, le 23 novembre 2017. © AFP / Mujahid Safodien