Un grand moment de « sorcellerie politico-judiciaire » a commencé à La Haye. Comment aménager des espaces de liberté à un « otage » contre qui l’on n’a rien trouvé de sérieux tout en gardant le contrôle sur la situation et en lui imposant un certain nombre de « conditionnalités » ? Tel est l’enjeu de la dernière décision de la Chambre préliminaire I de la CPI dans le cadre de l’affaire « Gbagbo contre le procureur ».
Ouvrir une « fenêtre » d’opportunité sans pour autant donner l’impression de se renier ou de faire marche arrière. Telle est la stratégie qui se dégage de la dernière décision de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) au sujet du maintien en détention du président Gbagbo. En effet, dans le texte qu’elle a rendu public hier, elle souffle le chaud et le froid.
Premièrement, elle admet qu’il y a eu un « changement de circonstances » en Côte d’Ivoire, que la situation sécuritaire s’est améliorée, et qu’aucune information n’accrédite la thèse selon laquelle Gbagbo a l’intention de s’engager dans la constitution de crimes.
Mais elle ne va pas au bout de sa logique, estimant tout de même que les garanties de représentation et de non-obstruction de l’enquête en cas de mise en liberté provisoire au titre de l’article 58-1b-i et de l’article 58-1b-ii ne sont pas réunies. Toutefois, la Chambre préliminaire I envisage sérieusement l’hypothèse de la«mise en liberté provisoire sous conditions » pour des raisons médicales, en raison « des soucis qui persistent au sujet de la santé de M. Gbagbo ».
Elle demande que le greffe et la Défense présentent un rapport conjoint sur l’évolution des progrès réalisés dans le cadre de ce dossier, notamment sur les traitements appropriés pour venir à bout d’une maladie qui est clairement nommée : le stress post-traumatique.
Ce rapport doit également statuer sur l’identité du médecin spécialiste qui doit prendre en charge le célèbre patient au cas où le pays qui lui a offert l’hospitalité – ou tout autre pays – l’accueillerait. Par la suite, les juges vont décider s’ils accordent une liberté provisoire « sous conditions » à Gbagbo après avoir consulté la Défense, l’Accusation, tout Etat concerné et la représentation des victimes.
En réalité, tout l’enjeu des tractations qui sont en cours et qui continuent de se tramer est dans l’expression « sous conditions ». Jusqu’où iront les fameuses « conditions » que l’on imposerait à Gbagbo en cas de mise en liberté provisoire ? C’est là qu’interviennent les considérations politiques qui ne sont jamais absentes, en dépit des dénégations des uns et des autres. Dans quelle mesure ces « conditions » sont-elles de nature à « protéger » le pouvoir de Ouattara et à empêcher Gbagbo d’avoir son mot à dire sur l’évolution de la situation politique en Côte d’Ivoire, où sa parole réconciliatrice est pourtant attendue ?
Certains analystes redoutent déjà la configuration où le cofondateur du FPI passerait d’une prison à une prison maquillée. Mais bien entendu, ce ne sont au stade actuel que des conjectures. La suite des événements instruira bien mieux les observateurs. Une chose est claire : voici venu le temps des tractations secrètes et du silence diplomatique.
Mais il est évident que le choix de la formule de la « libération provisoire sous conditions », dans un contexte où les critères « sanitaires » l’emportent sur les considérations judiciaires et politiques, aura aussi pour « avantage » de ne pas désavouer le bureau de la procureure Fatou Bensouda, déjà profondément discréditée par son incapacité à apporter des preuves suffisantes en soutien à ses accusations pourtant très graves.
Théophile Kouamouo
Liberté provisoire pour Gbagbo: Les choses se précisent... - Photo à titre d'illustration