Lida Kouassi fait le grand déballage: On m'a obligé à parler. Tout était un montage"

  • 20/03/2014
  • Source : Le Quotidien d'Abidjan
Le ministre d’Etat, ministre de la Défense de Laurent Gbagbo au moment de l’attaque rebelle du 19 septembre 2002 témoigne de l’évènement. Il revient également sur ce qu’il a vécu le 11 avril 2011. Enfin il parle de son enlèvement au Togo et son extradition de ce pays. C’est au cours d’une cérémonie de la jeunesse du COJEP dont il était le parrain samedi dernier à Koumassi qu’il a fait ce grand déballage que Le Quotidien d’Abidjan propose à ses lecteurs en attendant de revenir sur l’évènement.

Lida Kouassi Moïse, ministre d’Etat, ministre de la Défense de Laurent Gbagbo au moment de l’attaque rebelle du 19 septembre 2002
(…) En tant que parrain de cette cérémonie, dois-je vous rappe- ler qu’entre le COJEP et ma modeste personne, il y a un lien originel particulier ?

Le général Charles Blé Goudé sait que, au tournant décisif de son éveil politique, il y avait un homme qui s’appelle Lida Kouassi. J’étais là mais je n’aime pas me raconter. Je préfère que l’histoire me ra- conte.

C’est pourquoi même si mon silence parfois plaide contre moi, je me réfère toujours à un homme, le président Laurent Gbagbo qui dit souvent que ‘’le temps, c’est l’autre nom de Dieu ‘’. Je ne suis pas le père géniteur du leader du COJEP mais je dois m’enorgueillir d’être un père spirituel pour le général Charles Blé Goudé que j’appelle aussi le Prométhée de la classe politique ivoirienne.

Prométhée, c’est cette figure de mythologie grecque qui a décidé par son audace et par son esprit d’anticipation d’aller voler le feu des dieux pour donner de la lumière aux humains. Blé Goudé est un Prométhée et non un criminel. Comme Prométhée, il s’était donné pour mission d’aller arracher la flamme de la dignité et de la souveraineté des peuples africains et aux dieux du grand échiquier politique mondial pour donner un peu d’élan patriotique au peuple de Côte d’Ivoire.

Blé Goudé n’est pas un criminel. Il n’est pas un chef de guerre pour être jugé pour crimes de guerre. Mais comme dans ce pays, tout est à l’envers, alors on a voulu faire passer les démons pour les anges et les anges pour les démons. Blé Goudé a toujours agi par son verbe incandescent, par son verbe tranchant, par son verbe saisissant, par son verbe mobilisateur des foules.

Il a toujours agi par sa passion pour la politique et pour son peuple. Charles Blé Goudé n’a pas cédé à la tentation de la facilité des armes de guerre. Je peux en témoigner parce que je dis que j’étais là, au tournant de sa vie. Comme Prométhée, Charles Blé Goudé subit aujourd’hui, le martyre. Il subit le supplice de la prison. Il n’est pas qu’injustement en prison, il est arbitrairement en prison. Il est abusivement embastillé.

Et ses geôliers qui jouent le jeu cynique de l’exposition photos ne sont-ils pas des nigauds comme Epiméthée, le frère de Prométhée ? Des gaous des temps modernes Ce sont, comme le diraient les jeunes Ivoiriens, des « gaous » des temps modernes. Parce qu’ils ne savent pas qu’en poli- tique, on ne met pas son adversaire en prison.

Si vous mettez votre adversaire politique innocent en prison, vous lui tressez une couronne de gloire. Mettre votre adversaire politique innocent en prison, c’est lui préparer le chemin de la victoire et de la conquête du pouvoir. C’est pourquoi, à ce stade de mon propos, je m’associe au président Bly Roselin pour rendre un hommage appuyé à ces jeunes (NDLR fraichement sortis de prison avec à leur tête Martial Yavo, l’ex-président intérimaire.

Je voudrais rendre hommage à lui et à ses camarades sans oublier tous ces autres jeunes du COJEP qui ont goûté aux souffrances de la prison. Ils goûtent en ce moment aux délices de la liberté même provisoire. Nous autres, vos aînés, nous avions pensé que nous avions fait la prison pour vous et que la voie était désormais libérée. Mais c’était mal connaître les forces des ténèbres.

Je vous invite à porter vos blessures à l’intérieur comme sur vos corps comme des lauriers qui vous consacrent comme héros de la nation et de notre histoire. Martyre au sens grec du terme, c’est-à-dire, témoins, acteurs et victimes. En nous rendant la liberté même provisoire, nous osons croire que nos geôliers d’hier consentent enfin à s’engager dans la voie de la réconciliation nationale.

La Côte d’Ivoire est assise sur une poudrière, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui menacée et exposée à des risques politiques graves avec la santé inquiétante du chef de l’Etat, avec des chefs de guerre encore armés jusqu’aux dents.

La Côte d’Ivoire court de grands risques sécuritaires, une grande menace d’implosion. Il suffit d’entendre la voix de la sagesse et de la raison raisonnante. Il suffit de libérer Charles Blé Goudé, il suffit de libérer Simone Ehivet Gbagbo, il suffit de libérer Laurent Gbagbo, il suffit de libérer tous ceux qui sont emprisonnés pour leur soutien à Laurent Gbagbo…

La prison, les armes jamais une solution durable
 
Mesdames et Messieurs, nous ne sommes ps naïfs. Nous aimons la paix mais nous ne sommes pas naïfs. Nous demandons à nos frères d’en face de retrouver un peu de raison raisonnante, un peu de bon sens. La prison, la brutalité, la force, les armes ne sont jamais une voie de solution durable. C’est une voie qui a ses limites. Nous avons eu à côté de nous Samuel Doé. Où est-il aujourd’hui.

Nous avons eu en Afrique des présidents, dont certains régnaient de façon tellement absolue qu’ils se sont dit ’’si je devenais empereur, ça fait quoi ?’’. Les Blancs lui ont donné une couronne d’empereur… Et les mêmes sont revenus après l’enlever pour mettre son cousin à sa place. Chers amis, l’exil n’est rien.

Moi-même, j’ai fait l’exil au Togo…j’ai passé un an et un mois en exil au Togo parce que, le 11 avril, lorsque le président Laurent Gbagbo a été arrêté et déporté au Golf, une heure après, les gens étaient devant ma porte. Ils ont désarmé mes gardes du corps, et sous la menace de leurs armes, ils ont pris tout ce qu’il y avait dans ma maison.

Ils ont chargé ça dans mes propres voitures ; ils m’ont fait monter dans l’une d’elles et sont partis avec moi. Les étudiants de la cité Mermoz qui avaient observé la scène de loin ont mis sur internet que le ministre Lida est mort, il ne reviendra plus. Mais moi, je ne suis pas devenu ministre de la Défense de Laurent Gbagbo par hasard. Je ne sais pas quand ils comprendront cela.
 
Le même Koné Zakaria qui avait attaqué mon domicile avec son commando dans la nuit du 18 au 19 septembre et qui m’a cherché pendant 4 heures dans ma mai- son, j’étais assis, je le voyais aller dans tous les sens et lui ne m’a pas vu. Il a pris ma femme et mes enfants en otage. Il a pris mon petit frère en otage. Même un jeune étudiant qui venait de finir son doctorat et qui était chez moi pour chercher du travail, ils l’a pris en otage.

Zakaria m’a cherché 4 heures durant dans ma maison sans me voir alors que j’y étais. Quand com- prendront-ils que Dieu ne permet pas n’importe quoi, n’importe quand. Donc ils me prennent le 11 avril dans ma propre voiture, on sort sur le boulevard Mitterrand. Je pense qu’ils me conduisent à l’hôtel du Golf au près de mon chef.

Dernière prière
 
A mi-chemin, ils s’arrêtent. Un d’entre eux descendre et dit :’’ bon, qu’il fasse sa dernière prière, on va régler son cas. Je lui demande : «moi» ? Il répond : « Oui ». Ils me font descende. L’un à ma gauche, l’autre à ma droite, deux autres derrière moi. Tous pointent leurs fusils sur moi. Je ferme les yeux, je prie pendant une minute. Quand j’ouvre les yeux, tous baissent leurs fusils l’un après l’autre.

L’un d’eux me dit : « Monsieur le ministre, je m’appelle Koné Dramane, j’étais déjà dans l’armée quand vous étiez notre ministre. J’ai beaucoup de considération pour vous. Retournez chez vous ». Je lui dis : « jeune homme, tu dis que tu as de la considération pour moi. Pendant qu’on se regarde, faites ce que vous avez à faire. Je ne veux pas que vous me tiriez dans le dos quand je serai en train de partir ». Il réagit : «Mais qui parle de vous tirer dans le dos.

Personne ne vous tirera dans le dos. C’est moi qui commande ici’’. C’est comme ça que je suis allé chez moi. Ce n’est pas l’œuvre de Dieu ça ? Quelqu’un peut-il se cacher dans son salon pendant 4 heures sans être vu ? Quand je disais cela en 2002, beaucoup ne me croyaient pas. Ils disaient :’’Oh il ment, il est allé se cacher chez sa maîtresse. Je n’ai pas parlé.

On dit : « Il a tué Boga. » Boga est mon frère. Je le dis aujourd’hui haut et fort ici. Avant, il a eu des femmes mais, il n’a pas eu d’enfants avec elles. La femme avec qui il a eu ses enfants, c’est moi qui la lui ai conseillée. Boga est un frère et un aîné. C’est lui qui m’a présenté à Laurent Gbagbo. Ce n’est parce qu’il n’est pas là au- jourd’hui que je vais mentir. C’est lui qui m’a envoyé au FPI. Tout ce que j’ai eu au FPI, c’est grâce à Boga.

Pourquoi, alors qu’il y a trop de personnes qui nous énervent, c’est Boga que je vais tuer ? ‘’Oui Lida a tué Boga, il a volé 50 milliards, il a trahi Gbagbo.’’ Que n’a-t-on pas ra- conté sur Lida. J’étais là et je regardais les sorciers danser. Ils ont demandé que Gbagbo m’écarte. Et il m’a écarté. Mais dites-moi, n’ai-je pas tout de même chassé les rebelles d’Abidjan ? Je suis même allé jusqu’à Bouaké. Et si Bouaké n’a pas été libéré, vous savez pour- quoi aujourd’hui.

Le vrai visage de nos ennemis
 
Surtout qu’en 2011, on a vu le vrai visage de nos ennemis. Donc pour en revenir au 11 avril 2011, quand ils m’ont laissé partir et que je suis allé chez moi, j’ai décidé de ne plus rester là. Mais pendant qu’on était en train de faire les bagages, un autre groupe est venu. Ils m’ont tapé à la hanche avec une crosse de fusil. Me conduisant dans ma chambre, ils m’ont encore tapé à la hanche et c’est là qu’est tombé le pistolet qui était sur moi.

« Oh, ils vont prendre mon propre pistolet pour m’achever », me suis-je dis. Mais Dieu a encore fait son œuvre. Ce pistolet- là, c’est l’ex-ministre de la Défense d’Israël qui l’avait donné à son homologue ivoirien que j’étais. Je le dis parce qu’il ya eu trop de racontars. C’était un pis- tolet dont le canon était en argent. Donc quand le monsieur a vu ça, il était content. Il l’a pris et il a dit : « Voilà un ministre de la Défense.

On trouve de bons fusils chez lui, donc cherchons encore.» Il a ensuite trouvé un coffret. Il s’y trouvait une montre en or. Il l’a récupérée. En plus, ils ont trouvé un pistolet en or. Ce n’est pas chez Gbagbo que ce pistolet en or a été trouvé. C’est chez moi. Ce pistolet m’a été offert par l’ex-ministre de la Défense de la République d’Iran. Je le dis haut et fort parce qu’ils accusent Gbagbo d’avoir gardé un pistolet en or.

Qu’ils demandent à ce ministre-là et ils sauront. Ça n’avait jamais tiré un seul coup de feu. Bref, ils m’ont brutalisé, ils ont pris tout ce qu’il y avait dans la maison et ils sont partis. Ils ont blessé grièvement deux de mes gardes du corps.

C’est en allant les soigner que j’ai décidé d’aller en exil. Je ne dirai pas par quel chemin. Et je suis allé en exil au Togo. Et derrière moi ici, on dit que j’y étais en résidence climatisée et c’est parce que j’ai trahi encore Gbagbo. Il y a dans cette salle, un jeune répondant au surnom de Jack Bauer. Il sait dans quelles conditions mon cousin Attebi Williams et moi, nous vivions au Togo.

Loïc Le floc Préjean en échange de Lida
Ma fille n’a pas été à l’école pendant un an parce que je n’avais pas payé. Et voila, Hamed Bakayoko qui n’aime pas les collaborateurs de Laurent Gbagbo et son patron Alassane Ouattara affrètent un avion pour moi seul pour aller me chercher au Togo.

Parce que le régime togolais leur a dit : « Donnez-nous Loïc Le floc Préjean arrêté à Abidjan ». Ils ont rétorqué : « Ok, on vous le donne mais vous, remettez- nous, Moïse Lida Kouassi parce qu’il est très dangereux ce Monsieur.» Ils vont me chercher et viennent me brandir ici comme un trophée. Et comme ils sont forts dans les montages comme ils viennent de le démontrer avec les photos de Blé Goudé, ils montent un film pour me vilipender.

Pendant 8 jours, ils m’ont cuisiné : Est-ce que tu re- connais Ouattara comme président ? Qui a gagné les élections? Qui a envoyé la guerre ? On m’a envoyé trois fois au blindé, j’ai dormi à même le sol comme Blé Goudé. Et après ça, ils font un montage d’un film pour dire que Lida veut faire un coup d’Etat, que revenu ici, il a reconnu Ouattara. Mais si j’ai reconnu Ouattara, pourquoi m’envoyer encore en prison à Bouna.

Et il s’est trouvé des gens pour dire que comme Lida a encore trahi, on ne l’a pas envoyé en prison mais on l’a mis dans une villa climatisée à Bouna. Malheureusement pour mes détracteurs, j’arrive à Bouna et je dors dans la même cellule que Michel Gbagbo. Et la cellule d’à côté, c’est celle du président du FPI, Affi N’Guessan.
 

Dieu de justice
Je salue la camarade qui a fait la prière musulmane tout à l’heure. Vous savez, beaucoup de choses changent. Pas plus tard qu’il y a deux mois, un imam m’a dit : « Monsieur le ministre, est-ce que tu connais le destin de Youssouf. Youssouf, dans le Coran, c’est Joseph dans la bible. L’imam m’a dit : ‘’Monsieur le ministre, le Dieu que les musulmans prient, c’est le même Dieu d’Abraham , c’est le même Dieu de Jésus qui est le Dieu de Mahomet.

Ce Dieu est un Dieu de justice : ce Dieu veut que l’Homme ait l’amour de l’Homme. Si tu es musulman et que ton cœur est noir de haine, que tu n’aimes pas les autres, si tu es au pouvoir, Dieu ne peut pas te bénir. Monsieur le ministre,n’ayez aucun regret d’avoir fait la prison, parce que Youssouf, il dormait quand Dieu lui a révélé le secret de sa vie en le défendant d’en parler à quelqu’un.

Mais quand il s’est réveillé il en a parlé à ses frères. Ils sont devenus jaloux. Ils ont dit : « Celui-ci veut nous diriger. Il va voir avec nous ». Ils ont voulu le jeter dans un puits. Après, ils ont opté de le vendre à des Egyptiens afin qu’il devienne esclave en Egypte. Et l’imam d’ajouter « Monsieur le ministre, vous êtes sortis de pri- son, gardez votre calme. Je suis imam et je vous parle. Votre chef Laurent Gbagbo reviendra ici ».

Il me dit enfin « Youssouf là, il n’a pas gardé le silence, ses frères l’ont vendu. Cela a retardé son destin mais ne l’a pas arrêté et annulé. Car arrivé là-bas, au lieu d’être esclave, il est devenu Premier ministre de Pharaon. Donc ce que Dieu a prévu, il le réalise toujours». Chers amis, la prison n’a jamais arrêté la carrière d’un homme politique.

Si la figure politique la plus grande de l’humanité est Nelson Mandela, c’est en partie à cause de la prison. 27 ans de prison après Mandela est le président des présidents du monde dans l’imagerie populaire. Après la prison, Laurent Gbagbo sera le président des présidents d’Afrique…
Propos recueillis par Dan Opeli