Depuis lundi, Georges Guiai Bi Poin est à la barre du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, l’ex-président ivoirien et son ministre étant accusés de crimes contre l’humanité. L’interrogatoire de l’accusation s’est refermé ce matin, et la défense a pris le relais.
Par Anne Leray
« Laurent Gbagbo a-t-il donné des ordres pour que des investigations soient menées concernant les victimes civiles pendant la crise ? » Ce fut la dernière question de la représentante du procureur, Melissa Pack, ce matin à l’adresse de l’ancien chef du CECOS, Georges Guiai Bi Poin. « Non », a-t-il répondu. Après un peu plus de trois jours d’audience, l’accusation a bouclé ainsi les questions qu’elle voulait poser à son témoin.
Ce fut ensuite au tour de la défense d’intervenir. Il y eut un silence, une inspiration, et Emmanuel Altit a pris la parole. « Bonjour monsieur le témoin, je suis l’avocat principal de Laurent Gbagbo ». Ses questions se sont concentrées sur le Commando invisible, et sur les « ex-rebelles FAFN », dont le QG était situé « à Bouaké ». Invité à préciser si des incidents avaient eu lieu dans le pays lors du deuxième tour des élections en 2010, le témoin a indiqué que « des violences avaient été commises à Korhogo sur des représentants du candidat Laurent Gbagbo qui ont parfois été empêchés de voter ». Et d’ajouter : « en dehors de Korhogo qui était un cas emblématique, il y a eu d’autres échauffourées où des pro-Gbagbo ont empêché des pro-Ouattara de voter ».
« Je ne suis jamais allé à l’Hôtel du Golf »
Georges Guiai Bi Poin a estimé que le début des tensions et des attaques contre les forces de l’ordre ont commencé « dès les premiers résultats de l’élection. Ensuite il n’y a plus eu de répit ». Des crispations qu’il situe « et à la Présidence, et au Golf ». Revenant sur la mort de trois agents des forces de l’ordre brulés vifs dans un immeuble à PK18, il a précisé : « des affrontements ont aussi causé la mort de civils ». Des attaques imputées « au Commando invisible dont le leader revendiqué était IB (1) ».
« Le Commando invisible avait-il des armes lourdes ? » a demandé Emmanuel Altit. « Oui, on voyait des canons et des mortiers circuler dans la ville. Ce n’était pas pour équiper les forces armées mais la rébellion ou le Commando invisible », a mentionné le témoin. « Vous dites donc que vous avez vu de vos yeux des colonnes d’ex-rebelles devenus FAFN puis FRCI, à Abidjan, équipées d’armes lourdes ? » reformule et met en exergue l’avocat de Laurent Gbagbo. « Oui » soutient Bi Poin. « Ce matériel était-il neuf ? » veut savoir la défense. « Je ne pourrais l’affirmer ». « Vous avez dit que les forces gouvernementales étaient sous embargo, alors comment ces forces rebelles ont-elles pu obtenir ce matériel ? ». « Peut-être qu’il avait été acquis avant l’embargo, je ne sais pas. Cela signifie en tout cas qu’ils n’étaient pas à court de munitions pendant que nous, armée officielle, on tirait la langue ».
Questionné comme ses homologues de la police et de la gendarmerie sur les forces en présence à l’Hôtel du golf, le général divisionnaire s’est montré peu informé sur le sujet et a glissé au passage : « je n’y suis jamais allé ». « Y avait-il un poste d’observation de la gendarmerie à proximité de l’Hôtel du Golf ? » s’est renseigné Me Altit. « Oui et le directeur de la police nous a rapporté qu’il avait été attaqué par des militaires du Golf qui ont arraché leurs armes et pris en otage un ou deux gendarmes ».
« On ne va pas sans cesse réécrire l’histoire »
Revenant sur la marche du 16 décembre 2010, Emmanuel Altit demande confirmation : « Vous avez dit que le directeur de la police était chargé des opérations de maintien de l’ordre. Etait-ce habituel en pareil cas ? ». « Oui, c’était la règle absolue ». « Vous dites aussi que les unités du CECOS sont alors placées sous l’autorité directe des gradés de la police ? » « Oui, et vous n’avez alors plus aucune instruction opérationnelle à leur donner, vous ne savez même pas forcément où elles sont déployés ».
Revenant en fin de journée à la création du CECOS en 2005, le témoin indiquera qu’il a conçu lui-même « le projet de structure » de ce centre de commandement et fait le choix de ses hommes. Un CECOS qui avait pour priorité « les braquages de domiciles et de véhicules ainsi que les attaques à main armée ». La structure aurait répondu à un manque : « Il n’y avait pas d’unité pour nous alerter en temps réel des attaques qui étaient la hantise du chef d’état-major et des FDS ».
Le fait qu’Emmanuel Altit, dans le cadre de son interrogatoire, soit une nouvelle fois revenu aux années 2000 et aux débuts de la rébellion en Côte d’Ivoire, a fait débat dans le prétoire. Si l’accusation estime qu’il ne faut pas s’attarder sur les événements précédant l’intervalle temporel correspondant aux charges du procureur (2010-2011), la défense estime au contraire que c’est dans ces années que se trouvent les fondamentaux de la crise postélectorale. « Ce sont les mêmes protagonistes, les mêmes causes, les mêmes effets » défend Emmanuel Altit. Le juge Tarfusser a tranché : « Oui, il y a une logique à faire cela, mais on ne va pas sans cesse réécrire l’histoire. Vous avez une marge de manœuvre que vous avez épuisée, il faut revenir au cœur du procès ».
(1) Ibrahim Coulibaly, alias IB, avait été tué le 27 avril 2011 lors d’affrontements avec les FRCI (forces républicaines de Côte d’Ivoire).
Me Altit : « Vous dites que vous avez vu des colonnes d’ex-rebelles équipées d’armes lourdes à Abidjan ? »