Six ans après la chute de Laurent Gbagbo, les Jeux de la Francophonie à Abidjan devaient être la vitrine d'une Côte d'Ivoire renaissante. Son fils, Michel Gbagbo, revient pour Marianne sur l'incapacité de Ouattara à réconcilier le pays et sur les quelque 200 détenus politiques "la plupart dans un état de santé délétère". Décryptage et entretien.
Organisée à Abidjan, six ans après la chute de Laurent Gbagbo, la huitième édition des Jeux de la Francophonie devait entre autres choses sceller le retour à la normale dans un pays durablement déstabilisé par une guerre civile qui fit plusieurs milliers de morts. Il reste encore deux jours avant la cérémonie de clôture prévue le 30 juillet mais pour l’heure, en dépit des satisfécits de rigueur, le bilan de l’événement semble plutôt très mitigé. Nombre des compétitions et manifestations ayant réuni près de 4000 athlètes et artistes de 43 pays se sont déroulées devant de bien maigres assistances. A tel point que le 24 juillet les restaurateurs du village des partenaires, monté dans le quartier de Treichville, ont exprimé leur mécontentement dans les rues de la capitale, s’estimant floués par les promesses des organisateurs d’attirer près de 50 000 personnes.
Le régime d’Alassane Ouattara, le tombeur de Laurent Gbagbo, avait pourtant mis les petits plats dans les grands, n’hésitant pas à consacrer des sommes importantes à la rénovation de stades, sites sportifs et infrastructures de base. Mais, comme l’affirme dans l’interview ci-dessous Michel Gbagbo*, fils aîné du président déchu dont le procès se poursuit à La Haye, les Ivoiriens ont peut-être d’autres préoccupations en tête, les chiffres flatteurs d’une croissance paraît-il retrouvée, n’ayant guère amélioré l’ordinaire de l’immense majorité de la population.
De sérieux doutes sur le "miracle ivoirien"
Surtout, bien que réélu en 2015, Ouattara n’a pas su, pu ou voulu mettre en actes la petite musique de la « réconciliation nationale » restée à ce jour, pour l’essentiel, une simple formule destinée à rassurer la fameuse « communauté internationale » qui ne lui avait pas mégoté sur son soutien lors de la crise électorale de 2010. Si les investisseurs étrangers sont bien revenus, certains commencent à douter de la solidité du « miracle ivoirien » à moyen terme. Malgré une pacification apparente, les tensions intercommunautaires restent vives et le clan des vainqueurs de 2011 est lui-même déchiré par les guerres intestines. Depuis des mois ainsi, les ex-rebelles du Nord, alliés décisifs (avec la France…) de Ouattara en 2011, réclament le prix de leur engagement militaire à ses côtés. A la suite de plusieurs mutineries, en janvier et mai dernier, plus de 8000 d’entre eux, intégrés dans les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ont finalement touché une prime de 18 000 euros.
Mais ceux qui ont été démobilisés sans autre contrepartie sont à leur tour entrés dans la danse, volant des armes ou attaquant une gendarmerie à la veille même de l’ouverture des Jeux. La présence de 10 000 policiers, gendarmes et militaires pendant toute la durée des Jeux a probablement dissuadé les plus remontés d’entre eux de tenter un coup d’éclat mais qu’en sera-t-il demain ? Nommé à la Défense courant juillet, l’ancien ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko, un des piliers du régime, en a appelé à la « loyauté » et à la « discipline » de l’armée. Même si Ouattara le trouve encore un peu jeune (61 ans…) pour lui succéder, lui songe déjà à la prochaine échéance électorale, la présidentielle de 2020.
L'ambitieux Guillaume Soro
Mais sur la route menant à la fonction suprême un autre ambitieux entend désormais jouer sa propre partition : Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion anti-Gbagbo et actuel président de l’Assemblée nationale. Soro, que l’on dit plutôt bien vu du côté de l’Elysée, a pris peu à peu ses distances avec la présidence Ouattara et réclame désormais à tue-tête… la libération des prisonniers politiques pro-Gbagbo pour en finir avec « la justice des vainqueurs. » Mieux : celui qui fut l’ennemi mortel de l’ancien président vient il y a peu de lui demander pardon pour les « erreurs » commises en 2002 (la sécession de fait du pays), draguant ouvertement son électorat comme celui du PDCI d’Henri Konan Bédié, le vieux parti fondateur de la Côte d’Ivoire moderne. La guerre de succession ne fait que commencer mais elle sent déjà la poudre.
Marianne. Les Jeux de la Francophonie s’achèvent. Ce devait être une belle vitrine pour la Côte d’Ivoire renaissante ?
Michel Gbagbo. C’est incontestablement un échec en termes de mobilisation populaire et cela tient beaucoup au manque récurrent de légitimité du président Ouattara. Nombre de nos concitoyens ont le moral au plus bas, ils ne voient pas les bénéfices concrets de cette supposée renaissance, les emplois manquent, la vie est dure et ils n’avaient pas le cœur à s’amuser. D’ailleurs beaucoup estiment que ces Jeux ont été une source de gaspillage inutile. On a rasé des quartiers, des étudiants ont été privés de leurs chambres alors que les conditions de scolarité sont déjà précaires.
Marianne. Tout de même, n’était-ce pas l’occasion de montrer un autre visage, plus paisible, du pays ?
M.G. Depuis 2011, Alassane Ouattara s’efforce de séduire les milieux d’affaires et les milieux diplomatiques. En apparence, les chiffres macro-économiques sont bons, les affaires marchent bien mais en réalité le système est structurellement très fragile car la crise politique, elle, n’est pas réglée et empire. Croyez-moi, bien des investisseurs étrangers ne sont pas dupes et certains font leurs bagages.
Marianne. La question des prisonniers politiques constitue-t-elle un aspect important de cette crise ?
M.G. Evidemment car depuis l’accession de M. Ouattara au pouvoir elle reste entière. A ses yeux, le processus de la réconciliation nationale est très secondaire mais c’est une grave erreur. Aujourd’hui encore, près de 200 personnes sont encore détenues dans une dizaine de centres pénitentiaires en attente d’un procès et d’un jugement, la plupart dans un état de santé délétère.
Marianne. Depuis combien de temps ?
M.G. Cela dépend bien sûr des cas, certains depuis 2011 ou 2012 mais en moyenne entre deux et trois ans, bien au-délà du « délai raisonnable » au terme duquel un prévenu doit être jugé.
Marianne. Qu’en est-il de leur défense ?
M.G. Ces détenus n’ont bien sûr plus de revenus, leurs comptes bancaires ont été fermés et leurs familles ne peuvent pas toujours les aider à se nourrir correctement, à se soigner et encore moins à payer des frais d’avocat. C’est donc un collectif d’avocats sollicités par le FPI (Front populaire ivoirien, le parti de Gbagbo) qui se charge de les représenter. Mais c’est une tâche compliquée car souvent les inculpés ne sont prévenus que tardivement qu’ils vont comparaître devant la justice, un ou deux jours avant…
Marianne. L’acquittement de Simone Gbagbo qui était poursuivie pour crimes contre l’humanité ne vous donne-t-il pas l’espoir d’une justice capable de se montrer impartiale?
M.G. Certains le pensent. Pas moi ! Seuls des motifs politiques expliquent à mon avis cette décision. En réalité, depuis les indépendances, jamais la justice ivoirienne n’a vraiment fait la preuve de son indépendance et la nouvelle Constitution qui supprime l’inamovibilité des juges du siège va accentuer la pression du politique sur la magistrature.
Marianne. Que vous inspirent les récentes déclarations de Guillaume Soro exigeant notamment la libération des prisonniers politiques ?
M.G. Je les accueille politiquement… Elles confirment ce que nous répétons sans cesse : seule cette libération et celle du président Laurent Gbagbo permettront d’enclencher un authentique processus de réconciliation nationale et une stabilité durable. Mais je n’oublie pas qui est ce monsieur, je n’oublie pas qu’il a été porteur d’une culture de mort et qu’il est prêt à tous les revirements pour assouvir sa soif de pouvoir. Il pense évidemment à 2020 et se dit qu’il aura besoin des électeurs du FPI… C’est un profil de politicien animé par la seule ambition, malheureusement très courant en Côte d’Ivoire comme dans de nombreux pays de l’Afrique francophone…Lire la suite sur Marianne
Michel Gbagbo : "Les Jeux de la Francophonie ne cachent pas l'échec de Ouattara en matière de réconciliation nationale"