Finalement, ça serait réglé. Au prix d’interminables tractations, de promesses de toutes sortes, de signatures de chèque, d’une allocution télévisée du président Alassane Ouattara qui s’est engagé, la main sur le cœur, le canon de la soldatesque sur la tempe, d’accéder illico presto aux revendications des mutins. C’est là, l’épilogue d’un week-end cauchemardesque au cours duquel toute la Côte d’Ivoire a retenu son souffle.
Est-ce le début d’un règlement définitif de cette question de soldes qui a de nouveau poussé la Grande Muette à réclamer bruyamment « son dû » ?
En effet, dans la nuit du 5 au 6 janvier dernier, Bouaké a été le théâtre d’une mutinerie de soldats qui protestaient contre leurs conditions de traitement, de travail et de promotion.
Très vite, le mouvement gagne d’autres localités comme Korhogo, Odiéné, Daoukro, Daloa, Man et la capitale économique, Abidjan.
Les insurgés revendiquent, selon leurs porte-paroles : le paiement de primes, l’augmentation de salaires, l’équité dans l’avancement en grades, des maisons qui leur ont été promises, et des primes dites de l’« ECOMOG » (1).
Le ministre ivoirien de la Défense, Alain Richard Donwahi, dépêché à Bouaké pour prendre langue avec la Grande Muette, y passera un mauvais quart d’heure. Brièvement retenu par les croquants, il sera relâché après des engagements fermes de satisfaire les doléances qui lui ont été soumises.
Deux ans après donc la sédition des bérets en novembre 2014, partie encore de Bouaké, les vieux démons de la mutinerie sont de retour dans une Côte d’Ivoire qui en porte encore les stigmates.
Certes, les ressorts officiels de ce mouvement d’humeur ont été portés à la connaissance du chef suprême des armées ivoiriennes qui a vite ordonner de casser la tirelire pour calmer la troupe en colère.
Mais il faudra une bonne dose de lucidité et de courage aux autorités ivoiriennes pour remonter aux origines de ces malaises à réplétion qui secouent les FANCI. C’est-à-dire aller au-delà des mesures conjoncturelles pour trouver les réponses structurelles.
Pour cela, primo, il ne sera pas superflu de penser que cette seconde poussée de fièvre, comme celle de 2014, soit la manifestation d’un sentiment d’injustice que nourrit une partie de l’armée.
En effet, après la crise post-électorale, les éléments des ex-Forces nouvelles, combattants pro-Ouatarra, ont bénéficié de traitements différenciés au sein de l’armée. Alors que certains d’entre eux ont eu droit à des promotions fulgurantes, avec ce que tout cela suppose comme avantages de toutes sortes, beaucoup continuent de manger du « garba » sec et de vivre de découverts. Or pour ces derniers, la victoire militaire d’ADO en 2011 découle plus de leur engagement sur le théâtre des opérations que de la vaillance surfaite de ceux qu’il inonde de tous les privilèges. C’est aujourd’hui le sentiment le mieux partagé chez les « oubliés de papa Ouattara ».
Secundo quand on sait que tout est encore parti de Bouaké, cela ravive les souvenirs d’un épisode sanglant de l’histoire politique du pays que personne ne voudrait revivre.
Car, c’est de cette ville du Nord qu’est partie la rébellion de 2002 qui s’est muée en tentative de coup d’Etat dont on connaît suffisamment les conséquences désastreuses. Fort de cela, la question qu’on ne peut s’empêcher de poser est de savoir si ce n’est pas des rebelles qui sont de nouveau à la manœuvre à des fins inavouables.
Tertio, on remarquera que cette mutinerie intervient dans un contexte politique assez particulier.
En effet, elle éclate à quelques jours du renouvellement à la tête de l’Assemblée nationale à laquelle Guillaume Soro, chef de l’ex-rébellion, est candidat à sa propre succession, et au moment où les Ivoiriens attendent la désignation d’un vice-président, une première dans le pays.
Mais quelles que soient ses origines réelles ou apparentes, proches ou lointaines, ce mouvement d’humeur vient entacher l’image d’une Côte d’Ivoire irréversiblement engagée sur la voie de la normalisation politique et de la relance économique.
Et le président Ouattara n’a pas eu tort d’accéder sans ciller aux revendications des militaires au risque de voir s’évanouir le second miracle ivoirien dont il est l’artisan. La facture sera sans nul doute élevée. Mais c’est là une note salée qui vaut son pesant de stabilité politique et de maintien de la croissance économique.
Photo à titre d'illustration : La ville de Bouaké