Le nouveau président, Bola Tinubu, a déjà du pain sur la planche avant même d’avoir eu le temps d’évaluer l’énormité de la tâche qui l’attend, compte tenu des dures réalités d’une nation brisée, d’une économie malmenée, d’une insécurité accrue et de l’éternel fléau de la corruption.
Tinubu a prêté serment lundi à Abuja pour un mandat de quatre ans devant le président de la cour suprême Kayode Ariwoola, peu avant que son vice-président Alhaji Kashim Shettima ne lui emboite le pas.
L’ancien sénateur et gouverneur de l’État de Lagos a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle de février 2023 par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à l’issue d’un scrutin largement décrit par les observateurs et les médias locaux et étrangers comme entaché d’irrégularités et dont le déroulement a été inférieur aux normes internationales acceptables.
Le candidat du Congrès des progressistes (APC, sigle anglais) au pouvoir a recueilli un total de 8 794 726 voix pour battre son plus proche rival, Alhaji Atiku Abubakar, ancien vice-président et candidat du Parti démocratique populaire (PDP), qui a recueilli 6 984 520 voix. Peter Obi, du Parti travailliste (LP), est, quant à lui, arrivé en troisième position avec 6 101 533 voix.
Dans son discours d’investiture, M. Tinubu s’est engagé à supprimer la subvention sur les produits pétroliers et a déclaré qu’il n’y avait pas de provision pour la subvention dans le budget national à partir de juin 2023 et que, par conséquent, « elle est supprimée ».
Tinubu a également déclaré que son administration viserait une croissance du PIB de 6% par an et que les investissements directs étrangers seraient stimulés par l’examen de toutes les plaintes concernant les taxations multiples.
Malheureusement, il a prêté serment alors que plusieurs affaires judiciaires non résolues contestaient sa déclaration par la CENI comme vainqueur des élections présidentielles du 25 février 2023.
Ce qui attend le président Tinubu
Malgré les affaires judiciaires en suspens qui pèsent sur les premiers jours de sa présidence, M. Tinubu hérite d’une nation brisée, confrontée à des défis macroéconomiques extrêmes, à une inflation galopante, à la dépréciation de la monnaie, à l’absence de liquidités, au coût élevé de l’énergie, à une insécurité accrue surtout dans le nord, à l’affaiblissement du pouvoir d’achat, à des goulets d’étranglement structurels, à des problèmes de facilitation du commerce et à une dette de plus de 70 000 milliards de nairas (150 millions de dollars).
Alors que les Nigérians entament un nouveau cycle perpétuel d’espoir et de désespoir après huit années de promesses déçues de l’APC sous l’ancien président Muhammadu Buhari, de nombreuses parties prenantes espèrent toujours que la nouvelle administration pourra redresser la situation de la nation la plus peuplée d’Afrique, avec 213 millions d’habitants (2021) qui est dotée d’énormes réserves de pétrole et de gaz et de vastes gisements de minéraux solides qui n’ont pas encore été exploités.
De nombreuses parties prenantes de premier plan ainsi que des organisations ont déjà envoyé des messages de bonne volonté à la nouvelle administration et des conseils sur la meilleure façon de guérir les blessures infligées aux Nigérians par l’administration précédente et de remettre le pays sur la voie de la croissance, ce qui, selon eux, dépend de la réparation rapide de la nation brisée et de ses institutions.
Dans sa conférence inaugurale sur le thème « Approfondir la démocratie pour l’intégration et le développement », le samedi 27 mai 2023, l’ancien président kenyan, Uhuru M. Kenyatta, a exhorté M. Tinubu à construire une nation prospère pour tous les Nigérians, quelles que soient leurs tendances ethniques, religieuses et politiques.
Selon, Kenyatta, le remplaçant de Buhari à la tête du Nigeria doit « apprendre à diriger ceux qui ne vous aiment pas ».
Entretien avec le Secrétaire d’Etat américain
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, l’a chargé de mettre en place un leadership inclusif qui représente tous les Nigérians. Lors d’une conversation téléphonique avec M. Tinubu, M. Blinken a souligné son engagement continu à renforcer les relations entre les États-Unis et le Nigéria avec la nouvelle administration.
Selon le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, M. Blinken a fait remarquer que le partenariat entre les États-Unis et le Nigeria était fondé sur des intérêts communs et des liens étroits entre les peuples, et que ces liens devraient continuer à se renforcer sous le mandat de M. Tinubu.
S’exprimant sur l’administration entrante, l’ancien gouverneur adjoint de l’État de Sokoto, Mukhtar Shagari, s’est dit optimiste quant à la capacité de M. Tinubu à réaliser de grandes choses en tant que chef de l’Etat fédéral s’il s’entoure des bonnes personnes.
Pour le Fonds monétaire international (FMI), le nouveau gouvernement devrait prendre des mesures pour accroître la base de revenus du pays. Le représentant résident du FMI au Nigeria, Ari Aisen, a déclaré lors d’une rencontre numérique sur la situation de la dette nigériane que le nouveau gouvernement devrait réduire considérablement sa dépendance à l’égard de la dette pour financer ses dépenses. Selon M. Aisen, pour résoudre le problème de la dette du Nigeria, il faut se concentrer sur les recettes et les dépenses.
A l’en croire, la situation de la dette s’est détériorée parce que le gouvernement fédéral dépensait plus qu’il ne réalisait des entrées d’argent.
Aisen a déclaré qu’il était essentiel que les pays puissent compter davantage sur leurs propres recettes pour financer leurs propres dépenses.
« C’est l’autonomie et l’indépendance sur lesquelles nous souhaitons que nos pays membres s’appuient », a-t-il affirmé.
Cependant, préoccupé par la crise post-électorale dans le pays, l’ancien président Olusegun Obasanjo avait appelé à la réconciliation nationale dans son appel post-électoral aux Nigérians. Décriant la détérioration de l’état de la nation, Obasanjo a déploré le fait que le Nigeria « est actuellement plus divisé et rongé que ce que les leaders d’opinion avaient à l’esprit ».
S’exprimant lors d’une série de conférences publiques intitulée « Des élections à la gouvernance et aux performances », récemment à Abuja, M. Obasanjo a déclaré qu’au vu de la situation actuelle, il ne serait pas déplacé de procéder à une réconciliation nationale, qui apaiserait les sentiments des Nigérians lésés, en particulier les jeunes.
Il a critiqué l’endettement croissant et les dépenses effrénées des gouvernements à tous les niveaux, en particulier ceux qui sont actuellement à la tête du pays, comparant la situation à des « dépenses de marins ivres ».
Selon lui, cette façon de penser est devenue inévitable pour le Nigeria, compte tenu de la baisse des revenus pétroliers, de l’énorme dette extérieure et de l’urgence de diversifier l’économie néo-culturelle du pays. Il a toutefois suggéré ceci de faciliter d’urgence le processus de réarmement moral national et de réconciliation nationale qui apaisera les jeunes du pays.
L’ancien président estime que cela doit se faire en harmonie avec l’impératif d’orientation des valeurs nationales dont le Nigeria a besoin pour construire un sens collectif des valeurs durables et locales et de l’appartenance nationale.
Pour un Nigeria indivisible
Dans le mme ordre d’idées, l’évêque catholique du diocèse de Sokoto, Matthew Hassan Kukah, avait précédemment déclaré que les Nigérians étaient prêts à récupérer leur pays, « lorsque Dieu guidera le président Muhammadu Buhari dans sa retraite à la fin de son second mandat, le 29 mai 2023 ».
Dans son message de Pâques 2023, l’évêque a également déclaré au président élu, Bola Ahmed Tinubu, que la tâche la plus urgente à laquelle le Nigeria est confronté n’est pas l’infrastructure ou les « habituels discours bon marché sur les dividendes de la démocratie, mais la mission la plus urgente d’entreprendre le voyage psychologique pour que les Nigérians se sentent à nouveau entiers et de couper les chaînes de l’ethnicité et du sectarisme religieux et de placer la nation sur la voie de notre grandeur, d’exorciser le fantôme du népotisme et du sectarisme religieux. »
Kukah a également exhorté la Cour suprême du Nigeria à se rappeler qu’ils ont leur conscience et Dieu à qui répondre lorsqu’ils décident des affaires découlant des élections générales de 2023.
« Nous sommes attristés que vos temples sacrés aient été envahis par la classe politique, laissant des fumées toxiques qui menacent maintenant votre réputation en tant que dernier espoir pour tous les citoyens », s’est-il désolé.
« Il est triste que votre réputation durement acquise subisse un stress et une pression très importants de la part de ceux qui veulent que la justice soit rendue selon leurs propres conditions. Les Nigérians attendent de vous que vous regagniez leur confiance en tant qu’interprètes de l’esprit de nos lois », a ajouté le religieux, rappelant que « l’avenir de notre pays est entre vos mains ». Selon lui, le nouveau président n’a de comptes à rendre qu’à sa conscience et à Dieu lorsqu’il doit écouter les revendications et les contre-revendications des Nigérians avant de prier Dieu de lui donner la sagesse de voir ce qui est juste.
En ce qui concerne le résultat des élections générales, qui a continué à générer des tensions dans le pays, il trouve que la colère des Nigérians est légitime, saluant en outre le courage dont les jeunes ont fait montre. « Je salue votre énergie et votre courage. Vous avez mené un bon combat au-delà des clivages politiques. Votre engagement et votre participation ont considérablement modifié les contours de notre politique. Les choses ne seront plus jamais les mêmes », a conclu l’évêque du diocèse de Sokoto.
GIK/lb/ac/APA
Nigeria : Un premier mandat délicat attend le nouveau président - Photo à titre d'illustration