Depuis son élection, Trump n'a pas remporté beaucoup de victoires. Mais il peut s'enorgueillir d'avoir entamé avec succès la transformation du paysage judiciaire américain. Un processus de long terme qui vise à séduire sa base évangélique.
À première vue, le solide soutien de la communauté évangélique à Donald Trump peut sembler déconcertant. Le président américain n’est en effet pas connu pour ses valeurs chrétiennes : trois divorces, une couverture dans Playboy, et de multiples accusations de harcèlement sexuel n'en font pas un parangon de moralité. Pourtant, la droite chrétienne l'a propulsé à la Maison Blanche et ses leaders continuent de lui apporter leur soutien.
Pourquoi ? "À cause des juges", explique simplement à France 24 Ned Ryun, fondateur et président d’American Majority, institut de conseil pour militants et hommes politiques conservateurs. "C’est pour cette raison que 81 % des évangéliques ont voté pour lui. Ce que Trump a pu dire parfois [pendant sa campagne] les mettaient très mal à l’aise, mais ils ont réalisé que si Hillary Clinton remportait l’élection, ils perdraient les tribunaux", poursuit-il.
Pour les évangéliques, les tribunaux fédéraux sont capitaux : ce sont eux qui valident les réformes sociétales. C’est donc par leur entremise que ces croyants peuvent espérer voir un jour supprimer le droit à l’avortement, interdire le mariage homosexuel ou être dispensés d’agir à l’encontre de leurs convictions religieuses.
Récemment, la Cour suprême a, par exemple, dû se prononcer sur un cas de discrimination : un pâtissier avait refusé, au nom de sa chrétienté, la commande d'un gâteau de mariage à un couple homosexuel.
Des nominations effrénées
Donald Trump fait tout ce qu’il peut pour rendre possible ce monde évangélique idéal. Depuis son élection, il a nommé à un rythme effréné des dizaines de juges fédéraux. Les sénateurs républicains font, quant à eux, preuve d'une rare célérité pour confirmer les candidats. "Les nominations vont très vite", confirme Shira Scheindlin, juge à la retraite d’un tribunal de New York. "La rapidité des nominations et des confirmations est même sans précédent", ajoute-t-elle.
Quand Donald Trump est arrivé au pouvoir en janvier 2017, il y avait plus d'une centaine de postes à pourvoir dans les tribunaux fédéraux. Un record qui s’explique aisément. Sur les deux dernières années de la présidence Obama, les républicains ont délibérément bloqué des nominations. Ils ont notamment refusé la candidature du juge Merrick Garland, nommé par Barack Obama à la Cour suprême pour remplacer Antonin Scalia, décédé en février 2016. Une fois élu, Donald Trump s’est empressé de pourvoir le poste en nommant le très conservateur Neil Gorsuch. Il a ainsi modifié l’équilibre de la Cour, où siègent désormais quatre juges nommés par des présidents démocrates, et cinq nommés par des républicains.
Trump a également multiplié les nominations de juges de cours d’appel et de cours de district fédérales, où de nombreux postes restent vacants. "Il peut changer la majorité et modifier l’équilibre des cours d’appels, et c’est là que ça se passe", rappelle Shira Scheindlin. En effet, les cours d’appel régionales traitent quelque 60 000 affaires par an, bien plus que les 70 à 80 par an de la Cour suprême.
Un changement de paysage durable
Comme le redoutent les démocrates, ces modifications vont bouleverser durablement le paysage judiciaire américain. Sachant que les juges fédéraux sont nommés à vie et que la plupart restent en poste pour 30 ans, leur emprise va s’étendre bien au-delà du départ de Donald Trump.
"Le plan [de l’administration Trump] est d’utiliser son mandat pour changer le visage des tribunaux, et jusqu’ici, ils ont réussi… Pour de nombreux évangéliques, la seule nomination de Neil Gorsuch justifiait l'élection de Trump", estime Jed Shugerman, professeur de droit à l’université Fordham de New York.
Trump d’ailleurs ne s’en cache pas. "Les tribunaux vont être modifiés dans un laps de temps très court. Et cela aura des conséquences pour les 40 années à venir, en fonction de l’âge du juge", a-t-il déclaré en réunion de cabinet en novembre dernier. Les candidats sont choisis en conséquence. Sélectionnés par la Federalist Society, un groupe très conservateur, les candidats sont jeunes et, bien sûr, très conservateurs.
Manque d'expérience et homophobie
Leur profil n'a pas manqué de faire polémique et plusieurs d'entre eux ont été forcés de se retirer. Jeff Mateer, nommé juge fédéral dans le district oriental du Texas, s'est fait épingler après avoir dit que le mariage gay était de la "débauche" et que les transgenres étaient comme "une engeance de Satan".
Le jeune et inexpérimenté Brett Talley, 36 ans, nommé dans l’Alabama, avait quant à lui omis de mentionner lors de son recrutement qu'il était marié à la cheffe de cabinet de l'avocat de la Maison Blanche, un conflit d'intérêts potentiel. Plus significativement, plusieurs candidats ont reçu la mention "non qualifié" de l'Association du barreau américain.
Ce sont aussi des homme blancs dans leur quasi-totalité. Selon une analyse publiée par AP le 13 novembre 2017, 91 % de ces candidats sont blancs et 81 % sont des hommes. Des données qui ne peuvent que biaiser la confiance du public. Si les tribunaux ne représentent pas la diversité du pays, "les citoyens ne vont pas pouvoir croire que ce sont des lieux où ils peuvent revendiquer leurs droits civils", explique à AP Kyle Barry, conseiller juridique pour la NAACP, l'une des princpales organisations de défense des droits civiques des Noirs américains.
© Jim Watson, AFP | La Cour suprême américaine, à Washington.