Le Nord ivoirien en alerte. Trois cents militaires prêtent main-forte à la police et à la douane pour sécuriser les 1 116 km de frontières qui séparent le pays du Mali et du Burkina.
L’opération est délicate. Le commandant Roland Seahet de Gohouo répète les consignes au 4e bataillon de Korhogo, ville du nord de la Côte d’Ivoire : « Soyez vigilants et mettez-vous en disposition de combat. Les hommes ont bien été déployés à la frontière ? Les positions ont bien été renforcées ? »
Dans la forêt burkinabée de Dida, à la frontière ivoirienne, une opération de ratissage est en cours en cette fin octobre, après un bombardement militaire aérien visant de potentiels djihadistes. « Les Burkinabés ont tiré sur des suspects, explique le commandant. Nous ne voulons pas que, dans leur fuite, ils viennent se réfugier sur le territoire ivoirien. »
Depuis quelques mois, l’armée de terre ivoirienne se focalise sur les 1 116 km de frontière que partage la Côte d’Ivoire avec les deux pays les plus instables de la sous-région, le Mali et le Burkina Faso. Pour appréhender les infiltrations, elle a lancé l’opération « Frontière étanche » en juillet, après l’assassinat d’un guide et l’enlèvement de deux touristes français dans le parc de la Pendjari, au Bénin. En mai, le ministère des affaires étrangères français avait placé cette longue frontière en vigilance orange, la couleur désignant les « zones déconseillées sauf raisons impératives » aux touristes français.
L’inquiétude monte
Aujourd’hui, en plus des douaniers et de la police, au moins 300 militaires aguerris surveillent quotidiennement une frontière tracée principalement par les éléments naturels. Mais, comme le remarque le commandant, « en saison sèche, les rivières et les fleuves sont en décrue et les infiltrations en terre ivoirienne deviennent plus simples ». Tellement faciles qu’il reconnaît ne pas pouvoir « toutes les contrôler ». D’autant qu’entre la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Mali, les échanges sont permanents.
« Certains ont leurs parents de l’autre côté, les fêtes villageoises sont fréquentes, les allers-retours pour le commerce ou la pêche sont quotidiens. Sans compter que certaines familles d’ici sont propriétaires de plantations de l’autre côté de la frontière. D’ailleurs, ici, beaucoup ne savent pas vraiment où elle passe », explique l’adjudant Dion, posté au nord.
Depuis l’arrivée de l’armée en juillet, la ligne frontalière se voit pourtant bien mieux. Des points de contrôle et des patrouilles regroupant jusqu’à 30 hommes vérifient les allées et venues des villageois ivoiriens en territoire burkinabé, juste en face. A Kavadogo, c’est l’un des bras de la Comoé, la rivière, qui marque la limite. Un lieu où les enfants aiment se baigner et où de très grandes pirogues plates attendent les pêcheurs et les habitants. En cette fin octobre, l’ambiance bon enfant n’empêche pas quatre blindés de débarquer dans le village pour monter la garde.
Stanislas Loukou, instituteur au village depuis deux ans, s’est habitué. Au début, la vue de tous ces militaires avait un côté inquiétant, pour lui comme pour sa famille. Aujourd’hui il estime leur présence rassurante.
Il y a quelques mois, deux hommes armés et encagoulés auraient réussi à franchir la frontière et à s’approcher des villages. Dénoncés par des cultivateurs, ils auraient regagné le Burkina. « Ce n’était pas rien, ils étaient avec des kalachnikovs, ont menacé des paysans », souligne un représentant de l’Etat. Depuis cet avertissement, ces incursions ont été davantage prises au sérieux et la présence militaire a été renforcée.
Mais les militaires le répètent, « on ne sera jamais assez pour tout contrôler ». Leur crainte reste que certains terroristes se cachent au sein de la population locale, notamment chez les orpailleurs, de plus en plus présents sur les terres aurifères du nord.
« Ne croyez pas que le mal est toujours ailleurs »
Le vrai défi des soldats consiste à améliorer leur réseau de renseignement pour faire remonter le plus vite possible les faits ou comportements anormaux au chef du village. « Certaines personnes ont des attitudes suspectes, ça crée des inquiétudes, de la psychose, explique Amoro Ouattara, petit frère du chef du village de Kaouara, l’une des dernières villes ivoiriennes sur l’axe Abidjan-Ouagadougou. Ne croyez pas que le mal est toujours ailleurs. Un jour, je faisais mes prières à la mosquée et je suis tombé sur des sacs à l’entrée. J’ai dit à l’imam : “N’acceptez pas ça ici, on ne sait pas ce que ça contient, ça peut être des bombes.” » Tout le monde est concerné : chef, communautés religieuses. La jeunesse aussi...
Fin octobre 2019, l’armée de terre ivoirienne circule dans les rues en terre de la ville de Kaouara, à la frontière burkinabée. Youenn Gourlay pour