Rencontré le 28 novembre dernier, au siège de son parti, à Cocody, le Secrétaire général du Rassemblement pour la paix, le progrès et le partage (Rpp), Ouattara Gnonzié, rentré d’exil du Ghana le 18 du même mois, développe, ici, sa conception de la réconciliation nationale.
Au Ghana, vous avez certainement été préoccupé par la vie de votre parti. Comment avez-vous pu suivre son évolution depuis votre lieu d’exil?
Mon devoir en exil n’était pas de gérer le parti parce qu’il y avait sur place ici, des gens qui connaissent le terrain. Ils pouvaient prendre des positions, des décisions ou réagir à des situations. Moi, j’étais informé quelquefois à travers la presse ou quand on a estimé que cela était nécessaire. Ce n’est donc pas moi qui dirigeais le parti. Vous savez, l’exil c’est une forme de prison.
Des positions prises par le Rpp vous ont-elles quand même interpellé ?
Ce que j’ai apprécié, c’est que le Rpp ainsi qu’il est écrit dans ses textes, s’est comporté comme un parti de paix. J’ai vu les positions du président du parti (Laurent Dona Fologo, Ndlr), celles du parti surtout qu’il a accepté de négocier avec le pouvoir. Ce sont des décisions importantes qui sont inspirées par la charte du Rpp.
D’autres formations politiques de la mouvance pro-Gbagbo ont choisi l’opposition radicale. Comment expliquez-vous que le Rpp choisisse l’opposition modérée ?
Justement, cela est dicté par nos textes. Nous sommes un parti de paix et de rassemblement. Lorsqu’on est pour la paix, il faut se donner une position à même de permettre de discuter avec tout le monde. Si on ne peut pas parler avec tout le monde, on ne peut réaliser la paix. Or pour faire la paix, il faut être à plusieurs, il faut parler avec son ennemi ou avec son adversaire. Si vous refusez de parler avec votre adversaire, vous êtes disqualifié pour faire la paix.
Les textes fondateurs du Rpp commandent de faire de la paix sa priorité, dites-vous, mais aussi l’exposent à de vives critiques. Il vous est reproché de vous allier à tous les pouvoirs…
Ça, on le dit mais en vérité, rien pour l’instant ne prouve que le Rpp va avec tout le monde. Jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas membre du Rhdp (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, Ndlr) ; il n’a pas signé une convention pour être dans le Rhdp. Il reste un parti d’opposition et nous allons réaffirmer notre positionnement dans les prochains jours.
Après deux ans d’exil, vous décidez de rentrer au pays. Qu’est-ce qui a bien pu motiver une telle décision ?
Je suis revenu parce qu’avant d’aller en exil, on fait une évaluation, des analyses par rapport à la situation qu’on vit. Avant d’en revenir, on fait également une évaluation. J’ai indiqué que j’ai observé un certain nombre d’initiatives qui m’ont apparu comme des signaux pour une normalisation ; ces signaux m’ont encouragé à venir. Pour l’instant, rien n’a contrarié mes analyses. Donc je pense, que je n’ai pas eu tort.
De quels signaux s’agit-il précisément?
J’ai fait partie d’un gouvernement dont des membres ont été arrêtés. Les derniers ont été libérés au mois de septembre 2013. Dès qu’on les a libérés, je me suis dit que je n’avais plus de raison de rester en exil.
Alors quels sont les constats qui confortent vos analyses ?
Pour l’instant, je me porte bien : je n’ai aucun problème de sécurité. J’ai eu raison de revenir…
Dans une de vos récentes déclarations, vous dites : «je reviens prendre ma part dans la réconciliation… ». De quelle part parlez-vous là où votre parti est déjà engagé dans le dialogue avec le gouvernement ?
Réconcilier, veut dire mettre en accord des personnes qui ont été brouillées. Pour faire la réconciliation en Côte d’Ivoire, il faut tenir compte des femmes et des hommes qui ont été brouillés. Ils l’ont été parce qu’il y a eu un contentieux électoral. Mais pour l’élection, quels en sont les acteurs principaux ? Ce sont M. Laurent Gbagbo et M. Alassane Ouattara. Donc si on doit faire la réconciliation, il faut commencer par réconcilier ces deux amis qui ont été brouillés, parce que les populations qu’on veut réconcilier sont soit des militants, soit des partisans ou des électeurs. On a besoin de les réconcilier parce que les têtes (leurs deux leaders respectifs, Ndlr) se sont brouillées.
Votre schéma de réconciliation n’en rajoute-t-il pas à la problématique du processus de paix, vu que l’une des têtes, Laurent Gbagbo, est en détention ? Sinon comment une telle réconciliation peut-elle se faire ?
Je ne sais pas comment cela peut se faire… mais il faut forcément commencer par réconcilier les deux têtes. Si on réconcilie les seules populations cela voudrait dire qu’on considère que les deux têtes peuvent continuer à se cogner. Or, si elles ont l’occasion de se repositionner, les populations qui auront été réconciliées peuvent revenir s’aligner derrière elles. Il est certes important de réconcilier les populations mais il faut réconcilier les sommets. La réconciliation ne sera véritable que lorsqu’ils seront réconciliés.
Vous semblez hésitant à exprimer une pensée. Que voulez-vous dire clairement ?
Je pose le problème… Si tout le monde est d’accord que c’est cela qu’il faut, on trouvera les moyens. En politique, rien n’est impossible.
Vous auriez du mal à dire que Laurent Gbagbo soit libéré ?
Je n’ai pas à le dire…
Mais vous parlez de deux têtes, de sommets…
Ce n’est pas la question que vous m’avez posée. Si vous m’aviez posée cette question, j’y aurais répondu pour dire oui il faut que Gbagbo soit libéré. Seulement, j’ai dit comment je voyais la réconciliation.
Pour le régime, réconciliation égale justice plus pardon. Dans quel ordre, classez-vous les mots réconciliation, justice et pardon ?
Notre justice recèle d’hommes et de femmes de grande valeur. Des personnes dignes de confiance et crédibles. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que pour accroître cette crédibilité par rapport à nos concitoyens et surtout par rapport aux investisseurs, il faut les tenir à l’écart des querelles politiciennes.
La justice ne doit donc pas intervenir dans la réconciliation ?
Elle doit intervenir. Il y a des cas patents dans lesquels elle doit intervenir. Mais si ce sont des situations purement politiques, je pense qu’on les réglera autrement que par la justice.
A quels cas spécifiques faites-vous allusion ?
Si quelqu’un va casser une banque, son cas n’a rien de politique. Mais si un autre est arrêté parce qu’il a été membre d’un gouvernement, là c’est une question politique.
Réconciliation des leaders, réconciliation sans justice… Quelle forme prendrait concrètement vos idées ? Est-ce une reconduction de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, un dialogue, des états généraux comme le proposent vos alliés du Fpi?
Je pense qu’il y a une nécessité de dialogue national. Peu importe le terme qu’on retient : concertation, convention, forum ou débat national. Cela me semble important.
Un dialogue national tel que vous le concevez retardera l’organisation des futures élections et la relance socio-économique du pays, selon une certaine opinion. N’a-t-elle pas raison quand on sait que la Côte d’Ivoire doit rattraper le retard qu’elle a accusé après la crise postélectorale ?
Au contraire… Est-ce que vous imaginez qu’on peut aller sereinement aux élections en 2015, alors qu’on n’a pas fini de régler des problèmes nés de la crise de 2010 ? N’est-ce pas précipité et même risqué ?
Réalisée par Bidi Ignace
Ouattara Gnonzié, Sg du Rpp : «Je n’ai pas eu tort d’être rentré d’exil» - Photo à titre d'illustration