A quelques jours de l’anniversaire de l’indépendance de la République de Côte d’Ivoire (7 août 1960) et alors que s’achève le ramadan - l’Aid el-Fitr, célébré jeudi 8 août 2013, étant aussi un « Grand pardon » - la justice ivoirienne a décidé d’accorder la liberté provisoire à 14 personnalités « pro-Gbagbo ». Rien que du beau monde. Le président et le vice-président du FPI, la présidente de l’organisation des femmes, un secrétaire national et un secrétaire général adjoint, un responsable de la jeunesse du FPI, le fils (franco-ivoirien) de Gbagbo, des ex-ministres (affaires étrangères, défense), un colonel… Ils étaient détenus à Katiola, Bouna, Boundiali, Abidjan, certains depuis le printemps 2011, au lendemain de la capture de Laurent et Simone Gbagbo. Qui, eux, restent incarcérés. Le premier à La Haye, l’autre à Odienné où elle est assignée à résidence. Parmi les 14 « libérés », la majorité d’entre eux sont promis aux assises. Autant dire que cette bouffée d’air dont ils profitent est exceptionnelle. C’est « un acte d’apaisement » a dit Alassane D. Ouattara dans l’entretien qu’il a accordé à la télévision ivoirienne au soir de la célébration de l’anniversaire de l’indépendance. Pas nécessairement un acte politique d’ailleurs mais plutôt humanitaire. Enfin, c’est ce que laisse penser ADO dès lors qu’il évoque que cette mise en liberté est une bonne chose « d’abord pour les familles des concernés ». Il n’a pas tort. Parler de réconciliation serait abusif. Même si au lendemain de sa conquête du pouvoir, il avait appelé à faire de la Côte d’Ivoire « une nation réconciliée avec elle-même ». On en est loin. Même parmi les « houphouëtistes », si ce n’est pas la guerre RDR-PDCI cela ressemble à la guerre froide pour le moins. Alors avec le FPI… !
ADO vient de fêter l’anniversaire de l’indépendance. « Sans réelle participation populaire » et devant « un parterre d’invités triés sur le volet » a commenté l’agence de presse chinoise Xinhua, à la limite du persiflage. Invités spéciaux : Laure Olga Gondjout, une proche parmi les proches de feu Omar Bongo Ondimba, aujourd’hui secrétaire générale de la présidence du Gabon, et Christian Estrosi, un proche parmi les proches de Nicolas Sarkozy, et très « ultra » maire UMP de Nice*. Il faut être, au moins, de la génération d’Alassane Ouattara pour se souvenir de cet événement majeur qu’a été l’indépendance de la Côte d’Ivoire (il avait alors un peu plus de 18 ans). C’est dire que 53 ans plus tard, cette commémoration ne mobilise pas les foules. Un « férié » parmi d’autres. A Abidjan, la population a d’autres préoccupations ce jour-là que de faire la fête. Le souvenir de la « bousculade » mortelle de la Saint-Sylvestre (jamais élucidée malgré les promesses du gouvernement), qui a eu lieu dans la nuit du 31 décembre 2012 au 1er janvier 2013, est dans toutes les mémoires : une soixantaine de morts, une cinquantaine de blessés (cf. LDD Côte d’Ivoire 0386/Jeudi 3 janvier 2013). L’événement de ce 7 août 2013 est donc, essentiellement, la mise en liberté des 14 « pro-Gbagbo » !
Décision de justice dit-on. Quand on attendait, sans doute, une décision politique. ADO n’a pas été prolixe sur la question, ce soir, lors de son entretien télévisé. « Cette décision est prise, je m’en réjouis », a-t-il commenté. Pascal Affi N’Guessan, président du FPI et ex-directeur de campagne de Gbagbo (ses titres de gloire les plus politiques), qui fait partie du « groupe des 14 », a été plus précis : « Le pouvoir en place, a-t-il déclaré, doit savoir que le FPI, parti de l’opposition, est un partenaire […] Nous ne sommes pas des revanchards ».
En une vingtaine de mots, Affi N’Guessan fixe le cadre. Ce n’est pas la réconciliation (qui passe, selon les « gbagboïstes », par la libération de Gbagbo) mais un pas vers la… conciliation. Son message s’adresse au « pouvoir en place » et non pas aux leaders du RDR et du PDCI ; c’est dire qu’il se situe dans une perspective nationale (dans un autre contexte historique on pourrait même dire une perspective patriotique), le « pouvoir en place » étant considéré comme étant celui de tous les Ivoiriens et se situant au-dessus de la mêlée. Dans cette perspective, il situe aussitôt la place du FPI - et il évoque bien le FPI et non pas les « gbagboïstes » alors que le « groupe des 14 » est qualifié, de façon simpliste, dans les médias comme « pro-Gbagbo » - comme un « parti » politique, un parti « d’opposition » mais également un « partenaire ». Non pas qu’il entende gouverner avec le RDR ou le PDCI mais il se veut, au même titre que le RDR et le PDCI, un acteur du jeu politique démocratique ; l’en exclure, c’est nier la démocratie puisque l’opposition est alors muselée. Et pour rassurer tout le monde, il ajoute que l’objectif n’est pas la « revanche » ; autrement dit, ce serait un « partenariat »… constructif.
Près de trente mois sans liberté permettent d’affiner sa réflexion politique. Le message d’Affi N’Guessan, particulièrement conciliateur, vise, in fine, a faire la part des choses entre le FPI et Gbagbo. Il intervient dans un contexte particulier, la liberté provisoire pour le « groupe des 14 ». Mais aussi, et ne l’oublions pas, les réticences du TPI à organiser un procès Gbagbo. N’oublions pas, non plus, qu’ADO est à mi-mandat et que la présidentielle 2015 n’aurait pas de sens si le FPI n’y participait pas. Or le parti de Gbagbo boycotte les consultations électorales. Dans le camp du RDR, on sait aussi que les tensions avec le PDCI font que la donne électorale 2015 ne sera pas le remake de ce qu’elle était en 2010 : Gbagbo était alors le diable pour les « houphouëtistes » et cette détestation commune facilitait leur union électorale. Ce temps-là est révolu. Aujourd’hui, le RDR a intérêt à jouer la carte du « partenariat » démocratique et non pas politique avec le FPI pour empêcher que le PDCI ne se l’approprie. Si le souvenir des exactions liées à la crise post-électorale s’estompe, celui des promesses non encore tenues demeure vivace.
Cette décision de justice éminemment politique suscite des interrogations au Burkina Faso ce matin (mercredi 7 août 2013). « Un simple geste pour amuser la galerie ou une réelle volonté d’aller à la réconciliation ? » s’interroge Boureima Diallo dans le quotidien privé L’Observateur Paalga. « Bien malin qui saura dire avec pertinence ce qui a poussé les autorités à agir de la sorte » affirme Adama Bayala dans le quotidien gouvernemental Sidwaya. Il écrit même que cette décision « sonne comme un rétropédalage » alors que « le processus de réconciliation est en panne » et que « les fils utilisés pour tricoter les liens de fraternité et de cordialité au sein du RHDP semblent se découdre ». Le Pays s’interroge sur le rôle joué par Blaise Compaoré dans cette décision ivoirienne. « Faut-il y voir un lien » avec la récente visite à Yamoussoukro du président du Faso questionne le quotidien privé dans son édito.
Le Pays, d’ailleurs, ne manque pas de tirer à boulets rouges sur le FPI dont les « barons […] ne veulent rien comprendre » ni « s’inscrire dans le processus de réconciliation nationale ». « Aucune comparaison n’est possible entre les quelques années de gestion du régime Ouattara et les dix ans de gestion du pouvoir d’Etat par Gbagbo et les siens […] L’échec de la gestion de l’Etat ivoirien leur incombe, et ils voudraient bien faire oublier cet épisode de l’histoire du pays ». Le commentaire n’est pas faux. A condition de ne pas réécrire l’Histoire. Et de ne pas imputer à Gbagbo seul les drames vécus par la Côte d’Ivoire. « L’ivoirité », c’est aussi Henri Konan Bédié, « l’élection calamiteuse » de 2000 c’est aussi Robert Gueï, les événements de 2002 c’est aussi Guillaume Soro et la gestion de la Côte d’Ivoire de 2003 à 2010 a été assurée par des gouvernements d’union nationale dirigés par des premiers ministres d’opposition auxquels ont participé des ministres RDR et PDCI.
* Christian Estrosi, qui se fait remarquer régulièrement par ses déclarations xénophobes (notamment à l’encontre des Roms) et sécuritaires, a séjourné à Abidjan parce que sa ville, Nice, organise les prochains jeux de la Francophonie en septembre 2013 et que c’est Abidjan qui prendra la suite en 2017.
Jean-Pierre BEJOT
Pas encore le « Grand pardon » mais un pas vers la… conciliation. - Photo à titre d'illustration