Dans une interview au « Monde Afrique » et TV5 Monde, l’homme d’affaires devenu président dément tout conflit d’intérêts.
Fringant dans un costume européen griffé, tel un sapeur brazzavillois, les cheveux coupés ras comme à son habitude, le visage émacié, nouvelle paire de lunettes, Patrice Talon, 59 ans, président du Bénin depuis son élection en mars 2016, a reçu Le Monde Afrique et TV5 Monde, samedi 21 avril, au cinquième étage du palais de la Marina, son lieu de travail à Cotonou, bercé par une brise océane. Interview.
Le 26 mai 2017, vous avez été opéré dans un hôpital parisien d’une tumeur à la prostate, puis, six jours plus tard, d’une complication au niveau de l’appareil digestif. Comment vous portez-vous ?
Patrice Talon. Je touche du bois, je vais bien. Les résultats de mes derniers contrôles médicaux sont satisfaisants. J’espère que cette mauvaise passe est derrière moi.
Pourquoi n’avez-vous pas publié de bilan de santé depuis juin 2017 ?
Je ne vais pas tout de même communiquer sur les contrôles médicaux et les résultats de mes analyses ! Dès le début, j’ai choisi de jouer la carte de la transparence, de partager avec mes concitoyens le détail du mal dont je souffrais. Cela a permis, par ailleurs, de couper court aux rumeurs sur mon état de santé. Aujourd’hui, je n’ai rien de particulier à signaler, mais s’il y avait le moindre motif d’inquiétude, je n’hésiterais pas en informer l’opinion.
Vos détracteurs vous reprochent de gérer le Bénin comme on gère une entreprise privée…
Un chef d’entreprise recherche l’efficacité, la rentabilité, la durabilité, tout comme un chef d’Etat. Un pays, c’est une famille élargie. Ce qui importe, dans un cas comme dans l’autre, c’est de trouver des solutions durables permettant de générer la prospérité au profit du plus grand nombre.
Vous étiez et vous êtes, aujourd’hui encore, la première fortune et l’un des premiers employeurs du Bénin. En plus, vous êtes depuis deux ans à la tête de l’Etat. Une telle concentration de pouvoirs donne forcément lieu à des soupçons en termes de conflit d’intérêts…
Qu’est-ce qui importe pour un pays ? Que la gouvernance soit bonne et efficace. Et quel est le risque fondamental qui pèse sur chacun des gouvernants ? Qu’ils se servent de leur position pour se remplir les poches. Cela concerne aussi bien le chef d’entreprise devenu président que le citoyen lambda qui accède au plus haut sommet de l’Etat. Les hommes sont presque tous en quête du bien-être personnel, de la prospérité matérielle. Les chefs d’entreprise ne sont pas les seuls en cause. Dans mes fonctions actuelles, je mesure combien quelqu’un qui n’est pas à l’abri du besoin peut devenir fragile et céder à l’appât du gain. Sans être riche, comme certains le prétendent, je dois avouer que je suis à l’abri du besoin.
Le magazine américain Forbes vous présente comme la première fortune du Bénin…
Je ne connais pas les critères ayant conduit à cette sentence, mais les accusations de conflit d’intérêts contre ma personne ne sont nullement fondées. Dès ma prise de fonctions, en avril 2016, j’ai cédé des parts aux autres actionnaires et à mes héritiers. Je n’ai plus d’intérêts personnels directs dans des entreprises. Mes parents, mes enfants ou des amis continuent, eux, d’en avoir, mais j’ai fait en sorte qu’ils ne soient jamais mêlés à des contrats sur lesquels je suis amené à prendre des décisions. A ce jour, il n’y a plus que le secteur du contrôle des opérations d’importation qui soit sous l’emprise de membres de ma famille, de quelques amis et ex-associés.
En dépit de ces cessions, vous contrôlez toujours, par personnes interposées, la vie politique et économique béninoise.
Les clichés ont, décidément, la vie dure. Serait-il interdit d’être à l’abri du besoin ? Et en quoi être à l’abri du besoin serait-il antinomique avec la bonne gouvernance ? Je milite pour que nos gouvernants ne deviennent pas des nécessiteux. En Afrique, on est souvent tenté de profiter du passage aux affaires pour s’enrichir, afin de continuer d’assurer le confort quotidien et l’avenir des enfants. Le besoin de bâtir une fortune ne me concerne plus. Ce qui me motive désormais, c’est le succès.
Deux ans après votre accession au pouvoir, vous faites la quasi-unanimité de la classe politique contre vous. Deux anciens présidents de la République ainsi que plusieurs chefs de partis politiques ont récemment pris publiquement position contre votre politique…
Je ne suis pas un chaud partisan de l’unanimisme, même si je dispose d’une large majorité au Parlement. L’unanimité, ce n’est pas bon pour la démocratie. Mon rôle, ce n’est pas de séduire la classe politique, mais d’agir, de travailler au développement du Bénin. C’est d’initier des réformes salutaires pour le pays. Et c’est cette volonté de réformer qui irrite la classe politique. Rien d’autre.
On vous accuse par ailleurs de ne travailler qu’avec des membres de votre famille…
Pour se rendre compte que ces accusations sont dénuées de tout fondement, il suffit de jeter un œil sur la liste des ministres et sur celle des députés. Je ne vois pas non plus pourquoi exclure de mon entourage un cadre béninois compétent parce qu’il porte le même patronyme que moi...
Patrice Talon : « C’est ma volonté de réformer le Bénin qui irrite la classe politique, rien d’autre »