L'image est assez saisissante. Elle est surtout éloquente pour l'expression de la démocratie en Côte d'Ivoire. Voir en effet Pascal Affi N'guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI) sur les antennes de la télévision nationale, en train de '' démonter'' le régime d'Alassane Ouattara au cours d'un meeting au siège provisoire du FPI, relevait presque d'une chimère, depuis la chute du régime de la réfondation le 11 avril 2011.
Et pourtant, le dimanche 08 septembre, les téléspectateurs de la 1ère chaîne de télévision (RTI 1) ont eu droit au reportage de la passation des charges entre Affi et Miaka, pendant près de 90 secondes. Un bon point à accorder à l'administration Ouattara, qui ouvre ainsi une voie pour l'expression démocratique, bafouée en Côte d'Ivoire depuis la crise post-électorale.
En effet, au cours d'une récente rencontre avec la convention de la société civile ivoirienne (CSCI), Pascal Affi N'guessan dénonçait justement « la caporalisation des médias d’État ». Une utilisation sans partage de ces médias par le régime en place. On pourrait dire qu'il a eu la réponse à cette préoccupation, avec ce passage à la télé.
Mais aussi au quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin qui a consacré deux pages à la cérémonie de passation des charges. Mieux, depuis sa libération provisoire le lundi 05 août 2013, le président du FPI parle. Il saisit toutes les tribunes qui lui sont offertes pour dénoncer « les tares » du régime, dans un langage cru, parfois virulent, sans que des hommes armés ne débarquent, comme par le passé, pour y mettre fin. Cela crée des grincements de dents au sein du camp au pouvoir, dont des membres comprennent difficilement cette « trop grande » liberté accordée aux pontes de l'ancien régime. « Votre liberté provisoire ne doit pas être un motif d'arrogance », a dénoncé le porte-parole du Rdr, Joël N'guessan, dans une déclaration parvenue hier à notre Rédaction.
Qu'à cela ne tienne. Affi a même tout un programme de tournée dans des villes de l'intérieur du pays, où il va encore parler, à la grande satisfaction des militants du Fpi, mais aussi des gouvernants ivoiriens à qui on ne devrait plus reprocher de museler l'opposition. En lâchant ainsi du lest, le président Ouattara veut prouver sa volonté d'aller à la réconciliation, de parvenir à un État de droit, un État où liberté d'expression et démocratie sont réelles, contrairement à ce que dénonce l'opposition.
Le N°1 ivoirien veut surtout faire droit à cette requête persistante de la communauté internationale qui reste attachée aux questions des droits de l'homme et de démocratie. Et la marge de manœuvre accordée à l'opposition constitue l'un des baromètres sur lesquels les organismes internationaux se fondent pour évaluer le degré de démocratie dans un pays.
Mais en même temps, le régime ivoirien met ainsi son opposition à l'épreuve. Celle-ci devra résolument jouer sa partition dans le jeu démocratique. Ouattara met donc Affi et ses camarades au pied du mur et dans le viseur de la communauté internationale. Ils ont certes la possibilité, comme tout bon parti d'opposition, de parler, d'attaquer et dénoncer les travers du pouvoir, mais ils doivent aussi démontrer leur volonté de participer à la réconciliation, à la reconstruction du pays.
Le temps joue contre Affi et ses camarades aussi
Le chemin reste certainement encore long, et beaucoup d'autres actes sont attendus du pouvoir Ouattara pour satisfaire les attentes d'une bonne frange de la population ivoirienne favorable à l'ancien régime. Le retour des exilés et la libération des derniers prisonniers politiques seront sans nul doute déterminants dans cette dynamique de réconciliation.
Mais en même temps, le rôle de l'opposition sur le champ politique ne l'est pas moins. Affi et ses camarades sont en effet attendus sur ce terrain. Ils ne devraient pas s'installer dans une adversité sans fin, une opposition du '' tout sauf Ouattara '' qui aura forcément ses limites et pourrait finalement lasser les Ivoiriens, voire les militants du Fpi. Pis, Affi et ses camarades frontistes pourraient se laisser aller à ce jeu d'attaque, de dénonciation et accorder moins d'importance et de temps aux activités susceptibles de les ramener au pouvoir.
Le piège du régime consisterait donc à dérouler le tapis rouge à ce parti, afin que celui-ci se lâche et lâche par la même occasion les leviers qui permettent de conduire au pouvoir. Comme l'a dit Affi N'guessan lui-même au cours de son discours après la passation des charges, « Ouattara ne sait pas que le temps joue contre lui». Cela semble valable pour tous les partis politiques, y compris le Fpi qui aspire à revenir au pouvoir.
A force de se murer dans une opposition aveugle, Affi et ses camarades pourraient perdre du temps à s'attaquer au régime Ouattara et se laisser surprendre par les élections de 2015. Et pourtant, des questions techniques comme celle de la recomposition de la Commission électorale indépendante (CEI), la révision de la liste électorale pour cadrer avec la réalité, le désarmement pour la sécurisation des opérations de vote, sont encore sans solutions véritables. Les débats devraient être concentrés sur ces questions. Affi et ses camarades qui bénéficient d'une liberté provisoire, devraient mettre cela à profit pour obtenir les réformes avant les élections à venir.
Mais aussi, aller à la reconquête et la reconstitution de leurs bases qui ont été désagrégées par la guerre post-électorale.
Hamadou ZIAO
Politique nationale : Le piège de Ouattara à Affi et ses camarades - Photo à titre d'illustration