L’Etat de Côte d'Ivoire, à travers la Direction des services vétérinaires (DSV), vient de concevoir un Plan de contingence de la Peste porcine africaine (PPA) pour éradiquer cette maladie animale dans le pays, où quelques cas isolés sont enregistrés.
Ce plan intitulé « Plan de contingence de lutte contre la peste porcine africaine en Côte d'Ivoire », conçu avec l’appui de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), est accompagné d’un manuel de procédures opérationnelles et un guide de bonnes pratiques de biosécurité.
La filière porcine occupe, ostensiblement, une place stratégique dans l’économie ivoirienne au regard de la problématique de la sécurité alimentaire. Porteuse de croissance, elle représente avec la filière avicole, deux filières qui ont les meilleures valeurs ajoutées dans le secteur de l’élevage.
Les acteurs de la filière porcine craignent toutefois une propagation de la peste porcine africaine (PPA). La maladie, identifiée dans le pays pour la première fois, en 1996, a occasionné cette année-là des pertes estimées à 17 milliards de Fcfa et anéanti les acquis pour le développement de la filière.
Suite à sa réapparition en juin 2017 dans les régions du Tchologo et du Poro, dans le Nord ivoirien, le gouvernement a pris des mesures, réussissant à endiguer la menace. Cependant, il existe encore des « cas isolés » de la maladie dans le Nord et aujourd'hui dans l’Ouest du pays.
Aujourd'hui, la PPA affecte « l’Ouest et est en train de progresser vers le Centre » et pourrait atteindre Abidjan, la plus grande zone de production, indique Tiémoko Karidioula, secrétaire exécutif de l’Interprofession porcine en Côte d'Ivoire (INTERPORCI), organisation regroupant 1 500 éleveurs.
Abidjan et ses banlieues étaient au fort de la crise, en 2017, également touchées par la fièvre aphteuse qui a entraîné la perte de 14 000 porcs, une maladie des ruminants qui attaque les animaux à sabots. Elle décolle leurs pattes et l’animal ayant du mal à se déplacer saigne jusqu'à succomber.
Avec ce plan de contingence, la filière devrait se porter mieux. Toutefois pour être à l’abri, Tiémoko Karidioula clame qu'il faut que l’Etat mette les moyens à disposition des services vétérinaires qui avec les acteurs de la filière vont concentrer leurs actions car « les choses traînent ».
Risques sanitaires
Déclenchée dans le Département de Ouagolodougou (Nord), ville frontière avec le Burkina Faso, la Peste porcine africaine a été notifiée en 2017 dans un village appelé Larlelaba, où les mortalités ont commencé au mois de mars de cette année.
Soro Katcheninfoua, éleveur multiplicateur de porcs, président du groupe de défense sanitaire de la Région du Poro, rapporte qu' « on ne savait pas que c’était la peste, et les mortalités ont continué jusqu'à Ouangolodougou ville, puis à Ferkéssédougou (Nord)».
Des « problèmes de gestion » ont fait que la peste s’est étendue jusqu'au département de Korhogo, occasionnant des abatages à Ferkéssédougou et à Ouangolodougou, qui se chiffrent selon le ministère en charge de la Santé animale à « plus de 31 108 porcs abattus », relate M. Soro.
« Dans le département de Korhogo comprenant 16 sous-préfectures, nous avons eu plus de 100 000 porcs qui sont morts d’eux-mêmes », soutient Soro Katcheninfoua, qui déplore qu'un arrêté pris en mars 2018, n’aie pas permis d’abattage et d’assainissement conséquents.
« Rien n’a été fait et les éleveurs ont perdu tous leurs animaux » dans le Nord ivoirien où « la majorité des éleveurs qui étaient des femmes sont restées les mains vides, certaines n’ayant pas pu scolariser leurs enfants parce qu’elles vivaient de cette activité » principalement, fait-il observer.
« Aujourd'hui, les mortalités continuent dans d’autres zones et même, il y a des cas isolés encore dans la Région », s’offusque Soro Katcheninfoua, pour qui il faut « impliquer fortement les acteurs, les éleveurs, les transformateurs », dans l’abattage et surtout l’assainissement de ces zones.
Une épidémiologie analytique ressort qu'en 2014, un foyer à San-Pedro, dans le Sud-ouest ivoirien, a montré que les principales sources de contamination proviennent des suidés domestiques et sauvages infectés, leurs produits et les vecteurs biologiques comme la tique molle.
Interaction hôte
Le virus de la peste porcine africaine peut, selon des analyses épidémiologiques, rester infectieux pendant au moins 11 jours dans les fèces, pendant des mois dans la moelle osseuse, pendant 15 semaines dans la viande réfrigérée, et entre 3 et 6 mois dans les jambons et charcuteries séchées.
Des échantillons de sol prélevés au cours d’une étude à des endroits où des carcasses positives à la peste porcine africaine avaient été trouvés positifs à la PCR (réaction de chaîne de polymérase) pendant plusieurs jours, ce qui témoigne d’une certaine résistance du virus.
Des études expérimentales montrent en outre que le virus reste infectieux dans le sol forestier jusqu'à 112 jours, dans l’eau d’un lac jusqu'à 50 jours en été et 176 jours en hiver, tandis que le virus survit plus de deux mois sur des planches de bois et trois mois sur des briques enterrées.
De manière générale, le virus de la PPA peut circuler à travers deux cycles en Afrique subsaharienne, le cycle sylvatique et le cycle domestique. Le cycle sylvatique, documenté dans des pays de l’Afrique orientale et australe, implique les suidés sauvages en tant qu’hôte et se transmet par des tiques molles.
Cependant, dans le cycle domestique, le virus de la PPA se propage principalement par contact direct entre procs domestiques ou entre produits du porc et porcin. En Afrique de l’Ouest, la transmission est notamment due par contact direct entre le virus et les porcs domestiques.
Les mouvements et l’activité commerciale des porcs sont considérés comme des facteurs de propagation de la Peste porcine africaine, en particulier en Afrique de l’Ouest, où le cycle intérieur est dominé. Le plan de contingence requiert un contrôle des zones d’élevage et un laisser passer des bêtes.
Les facteurs humains qui participent au maintien de la PPA sont les transports clandestins de porcs, les porcs élevés en liberté, le manque d’expériences de certains éleveurs, l’utilisation d’eaux grasses dans l’alimentation, les abattages bord-fermes et les systèmes informels de commercialisation.
Biosécurité et perspectives
Les recherches n’ont jusque-là pas permis de trouver de vaccin contre la PPA. De ce fait, la Côte d’Ivoire veut promouvoir la biosécurité, un ensemble de mesures préventives et réglementaires visant à réduire les risques de diffusion et transmission de la Peste porcine dans les populations humaines.
A ce jour, la production nationale reste insuffisante par rapport aux besoins du pays. Le cheptel porcin ivoirien se chiffre à plus de 411 520 têtes selon des données de 2018 de la Direction des services vétérinaires, faisant état des porcs élevés dans de petites exploitations agricoles et commerciales.
Les porcs élevés en liberté, eux, représentent 78% du cheptel porcin national et se trouvent dans la quasi-totalité du pays avec de fortes concentrations dans le Nord et le Centre ivoirien. La production totale de viande et d’abats de porcs, elle, s’est établie à 11 457 tonnes en 2018.
Cette production de carcasses de viandes ne couvre que 18,12% de la consommation nationale contre 81,87% pour les importations, selon toujours des données de l’année 2018 du ministère ivoirien des Ressources animales et halieutiques.
Les experts de la filière porcine en Côte d'Ivoire recommandant la mise en place de trois niveaux de commandement, notamment un Comité national d’élimination de la PPA (CNEPPA), un Comité technique de lutte contre la PPA (CTLPPA) et des Comités locaux de lutte contre la PPA (CLLPPA).
Pour pouvoir répondre efficacement et dans un délai limité, la Plan de contingence de la PPA mentionne que les services vétérinaires devraient disposer d’un fonds d’urgence pour les catastrophes épizootiques dénommé «Fonds d’intervention d’urgence contre les épizooties majeures ».
L’une des menaces de ce plan de contingence est sans doute la concurrence déloyale des produits importés d’origine extra-africaine (viande foraine) défiant toute concurrence. En outre, l’on note l’urbanisation galopante qui menace les zones d’élevage.
Pour une filière porcine smart, l’Etat ivoirien devrait, selon les spécialistes, renforcer les capacités techniques des éleveurs, leur permettre d’avoir accès aux matériels génétiques de qualité, des équipements innovants, ainsi qu’un accès à des financements et à des intrants de qualité.
Un « mécanisme consensuel » de compensation en cas d’abattages dus à une résurgence de la peste porcine africaine, freinerait des déplacements incontrôlés. Toutefois, il resterait à relever le défi l'insuffisance d’abattoirs modernes et la conception d'un plan directeur des villes intégrant des zones d’élevage.
AP/ls/APA
Pour préserver la filière porcine des épizooties, la Côte d'Ivoire ficelle un plan de contingence