Dans les rues calmes et vallonnées de la capitale rwandaise, rares sont ceux à avoir entendu parler de Frank Habineza et de Philippe Mpayimana, les deux candidats qui affronteront le tout puissant dirigeant sortant Paul Kagame à la présidentielle du 4 août.
La candidature des deux hommes n'a été validée par la commission électorale que quelques jours avant le début de la campagne, vendredi. Dotés de très peu de moyens financiers, ils n'ont que trois semaines pour se faire connaître.Face à un parti au pouvoir hégémonique, la tâche semble insurmontable et une large victoire du président sortant est attendue.
"Nous, la population, avons vécu très longtemps avec notre président, nous connaissons son bilan et on se fiche des autres candidats car on ne sait pas ce qu'ils ont fait", justifie One Love Nkundimana, un porteur de marchandises de 28 ans.
M. Kagame est l'homme fort du Rwanda depuis qu'à la tête de sa rébellion du Front Patriotique Rwandais (FPR) il a renversé en juillet 1994 le régime hutu extrémiste qui avait déclenché trois mois plus tôt le génocide des Tutsi (environ 800.000 morts, essentiellement parmi cette minorité).
Vice-président et ministre de la Défense après 1994, il est élu président en 2003 et réélu en 2010, avec plus de 90% des voix à chaque fois.
'Parcours dangereux'
Crédité d'avoir ramené la stabilité dans le pays et d'avoir relevé une économie exsangue après les massacres, son régime est toutefois régulièrement accusé de ne laisser aucune place à l'opposition et de bâillonner la liberté d’expression.
"Beaucoup de gens sont fatigués d'avoir le même gouvernement depuis 23 ans, mais ils ne le disent pas parce qu'il y a un climat de peur", assure Frank Habineza, président de la seule formation d'opposition autorisée du pays, le Parti démocratique vert.
Depuis son petit bureau chichement meublé de Kigali, cet homme de 40 ans décrit "un parcours très difficile et aussi très dangereux" depuis la création de son parti en 2009.
En 2010, il avait vainement tenté de prendre part à la précédente présidentielle mais son parti n'avait pas reçu l'agrément des autorités.
En juillet de cette année-là, peu avant l'échéance électorale, le cadavre du vice-président du parti, presque entièrement décapité, avait été retrouvé dans un marais, poussant Frank Habineza à s'exiler en Suède.
Ce n'est qu'en 2013, après son retour au pays, qu'il a finalement pu enregistrer son parti, seule formation politique homologuée à s'opposer deux ans plus tard à une réforme controversée de la Constitution. Adoptée depuis, celle-ci permet à M. Kagame de se présenter pour un troisième mandat le 4 août et potentiellement de diriger le Rwanda jusqu'en 2034.
Récemment, l'opposant a été expulsé de son ancien bureau et de sa maison, sans explication et sans préavis.
"Les gens doivent arrêter de penser qu'il n'y a que le parti au pouvoir (...) Nous devons nous sentir libres, nous exprimer sans crainte d'être expulsé de sa maison ou de perdre son travail", veut-il croire.
La tâche est tout aussi ardue pour le troisième candidat, Philippe Mpayimana: assis autour d'une table en plastique avec cinq de ses soutiens, l'ancien journaliste de 47 ans tente tant bien que mal d'organiser des meetings.
"Nous n'avons qu'une semaine pour sensibiliser la population (et l'encourager) à nous soutenir financièrement", s'inquiète celui qui a passé 18 ans en exil, notamment en République démocratique du Congo.
Opposition 'de façade'
Seul candidat indépendant dont la candidature a été validée par la Commission électorale (sur quatre aspirants), M. Mpayimana débutera donc sa campagne sans affiches, faute de temps pour lancer les impressions.
S'il refuse de critiquer directement le président Kagame, le petit candidat assure vouloir "changer les mentalités" et mettre le Rwanda sur le chemin de la démocratie.
Pour Robert Mugabe, un des rares journalistes rwandais ouvertement critique, ces candidats ne sont qu'une opposition "de façade" à destination de la communauté internationale.
"La véritable opposition, les gens avec une vraie voix, ne sont pas autorisés" à participer à l'élection, explique-t-il, en référence à ceux emprisonnés ou poussés à l'exil.
"Ce n'est pas une élection, mais un couronnement pour le président Kagame", poursuit-il.
Mais, tempère Christopher Kayumba, analyste politique rwandais, le chef de l'Etat demeure populaire car il est toujours perçu comme un garant de la stabilité depuis la fin du génocide. "Les souvenirs sont encore trop présents", assure-t-il.
Le parti au pouvoir, présent à tous les échelons de la société, détient en outre d'importants moyens financiers, notamment grâce à son fonds d'investissement Crystal Venture, premier employeur privé du pays.
Et M. Kayumba de concéder: "On peut dire que ce n'est pas une compétition, l'opposition sera battue. Cela ne fait aucun doute".
Stephanie AGLIETTI
Présidentielle au Rwanda: l'opposition dans une bataille jouée d'avance