Sécurité, réconciliation, corruption, filière cacao, justice, diplomatie... Les candidats à la présidentielle qui affronteront Alassane Dramane Ouattara (ADO) le 25 octobre répondent aux questions de Jeune Afrique. Après Kacou Gbango, c'est au tour de Siméon Kouadio Konan.
Jeune Afrique : La Côte d’Ivoire est-elle plus sûre aujourd’hui qu’il y a cinq ans ?
Siméon Kouadio Konan : Non. Il y a cinq ans, nous étions dans une véritable belligérance ouverte entre deux armées. Aujourd’hui, il y a une armée réunifiée, une force dite régulière. Mais la vérité est qu’à côté, il y a encore d’autres armées parallèles : les dozos, les microbres ou tous les groupes de coupeurs de route qui pullulent.
Faut-il réviser l’article 35 de la Constitution selon lequel un candidat à la présidentielle « doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine »?
Oui. Même si cet article a été approuvé en référendum par 86% de la population, il reste problématique. Je suis favorable à ce qu’il soit retourné devant le peuple pour le solder définitivement. C’est l’une des premières choses que je ferai en tant que président de la République.
Que signifierait un fort taux d’abstention lors du scrutin présidentiel ?
Tout d’abord, il est à craindre. Cela signifierait que la Côte d’Ivoire reste encore profondément divisée, que ces élections ne concernent pas l’ensemble de la population. Cela serait un déficit grave de démocratie.
Quelles modifications apporteriez-vous au système d’indemnisation des victimes de la crise postélectorale ?
Je crois qu’il faut redéfinir les critères mêmes des victimes, auditer à nouveau leurs fichiers et accompagner le dédommagement matériel d’un dédommagement moral. Je pense surtout à la reconnaissance de la faillite de l’État. C’est ce que nos populations attendent le plus.
La corruption est-elle toujours un problème en Côte d’Ivoire ?
Elle est la plaie la plus virulente de notre pays. J’en fait une priorité dans mon action. C’est notamment pour cela que j’ai respectueusement décliné l’offre des 100 millions de F CFA pour le financement de ma campagne faite par le président Alassane Dramane Ouattara. Je ne compte pas donner dans la corruption.
La filière cacao vous paraît-elle plus saine aujourd’hui qu’il y a cinq ans ?
La filière a gagné en assainissement mais il faut aller plus loin. Elle reste opaque, aux mains de proches du régime. Nos populations ne tirent pas véritablement le fruit de leur labeur. Il faut plus de transparence et de rémunération pour nos paysans qui sont le moteur de notre développement.
L’endettement du pays est-il trop important ? Peut-il constituer un frein au développement ?
Absolument. Nous sommes en moins de quatre ans revenus au niveau initial qui nous a valu l’effacement au niveau du PPTE (Initiative des pays pauvres très endettés). Chaque jour que Dieu fait, nous endettons un peu plus les générations à venir.
Si vous êtes élu, allez-vous augmenter les budgets accordés aux secteurs de la santé et de l’éducation ?
La santé est un problème de vie, de survie même. Regardez l’état de déliquescence de certains de nos services hospitaliers ! Mes compatriotes meurent pour un cachet d’aspirine, ou pour une poche de sang. Donc, oui j’augmenterai la part du budget de l’État pour la santé. Je l’investirai essentiellement dans le plateau technique de nos différents établissements, dans la création de nouvelles structures et dans la sensibilisation de nos populations à l’hygiène.
En ce qui concerne l’éducation, depuis un quart de siècle, notre pays s’est engagé sur un processus malheureux qui a conduit à l’affaiblissement de notre système. Le président Houphouët-Boigny dégageait près du tiers du budget de l’État à cela. Il faut aujourd’hui l’augmenter pour le consacrer à l’école pour tous. Il faut augmenter la capacité universitaire. Le chef de l’État nous avait promis une université par an, nous n’en avons pas eu une seule.
Dans les infrastructures dont le budget est à hauteur de 800 milliards de F CFA. La route précède le développement mais il faut exister avant de chercher à être embelli.
La Cour pénale internationale (CPI) est-elle légitime pour juger Laurent Gbagbo ?
Oui, puisque la Côte d’Ivoire a ratifié les traités. Mais en tant que candidat pour la réconciliation, je trouve que l’emprisonnement à La Haye est un frein à la réconciliation nationale. Il faut travailler pour que tous les prisonniers d’opinion à qui on ne reconnaîtrait pas de faute avérée soient rapidement libérés. Je suis contre l’impunité mais aussi contre l’injustice.
Pourquoi les partisans du président Ouattara suspects de crimes commis pendant la crise postélectorale n’ont-ils pas encore été jugés ? La justice ivoirienne est-elle indépendante ?
Cette question devrait être posée au régime en place et en particulier à monsieur Ouattara. C’est ce que les Ivoiriens ne comprennent pas : le président a commandé une enquête qui a révélé la responsabilité des deux camps mais les poursuites ne s’intéressent qu’à un seul camp. Cela s’appelle tout simplement la justice des vainqueurs. Je suis au regret de constater que notre justice doit redorer son blason car elle est aux ordres et inféodée au pouvoir.
Fallait-il accueillir Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire après son départ du Burkina Faso ?
Nous sommes un pays d’hospitalité. Le président Houphouët nous a appris à accueillir toute personne en détresse. Cependant nous ne devons pas oublier le rôle qu’à joué Blaise Compaoré dans la grave crise qu’a traversé notre pays.
La France doit-elle garder une place à part parmi les partenaires de la Côte d’Ivoire ? Pourquoi ?
La France est un pays ami qui a des liens séculaires avec notre pays. Mais le contexte a évolué. Nous ne sommes plus en 1960, nous devons travailler dans le respect mutuel de nos intérêts. Je discuterai d’égal à égal avec la France, au même titre que les autres nations majeures.
Présidentielle en Côte d’Ivoire – Siméon Kouadio Konan : « Mes compatriotes meurent pour un cachet d’aspirine »