Les casques bleus, ont plusieurs fois été cités dans des scandales sexuels depuis de nombreuses années, mais les dernières accusations contre de soldats Français, accusés d'avoir réclamé des faveurs sexuelles en échange de nourritures à des enfants centraficains, viennent mettre à mal la réputation de ces soldats de maintien de la paix.
Un rapport confidentiel de l’ONU, commandé par le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, daté de l’été 2014 et que le Guardian a pu se procurer, fait état d’abus sexuels commis sur des enfants par les forces françaises présentes en Centrafrique.
Les faits se seraient déroulés à Bangui entre décembre 2013 et juin 2014 dans le camp de réfugiés de l'aéroport de M'Poko, un lieu où s'étaient réfugiés des milliers de civils.
Intitulé “
Abus Sexuels sur enfants par les forces armées internationales”, il rapporte plusieurs cas de viols et d'actes de sodomie subis par des “enfants affamés et sans-abris” dans un centre de personnes déplacées par le conflit, à l’aéroport M’Poko de Bangui.
Selon le rapport des enquêteurs de l’ONU, des soldats français qui devaient assurer la sécurité dans le camp de réfugiés improvisé à proximité de l’aéroport de Bangui ont abusé de leur position pour obtenir des faveurs sexuelles.
La France savait, l'ONU cachait?
Selon le
Nouvel Obs, la France a pris connaissance de ce rapport le 29 juillet 2014, le ministère avait alors saisi le Parquet, mais près de deux ans plus tard, cette enquête suit toujours son cours.
Mais face à la passivité des autorités onusiennes, le Suédois Anders Kompass, directeur des opérations de terrain du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, en poste à Genève, a décidé de saisir les autorités françaises.
Ces dernières ont ouvert une enquête sur les viols, en coopération avec les Nations unies. Anders Kompass a été suspendu et peu être licencié de son poste de directeur la semaine dernière et fait désormais l'objet d'une enquête interne, alors que les soldats incriminés n'ont toujours pas été arrêtés ni même identifiés.
Selon l’ONU, Anders Kompass a violé les procédures onusiennes en faisant fuiter un rapport sans en expurger les noms des victimes, des témoins et des enquêteurs. De plus, il orchestré la fuite seulement une semaine après la rédaction du rapport, un délai trop court pour reprocher à l’ONU son manque de réactivité. Tous ces éléments font dire au porte-parole de l’ONU : "
Notre conclusion préliminaire est qu'une telle conduite ne peut pas être considérée comme celle d'un lanceur d'alerte."
Des témignages inquiétants et précis
Le Journal du Dimanche a révèlé le contenu des entretiens de six enfants qui témoignent de viols commis par des militaires en Centrafrique :
Enfant 1
Il a 11 ans. Il vit avec sa mère dans le camp de M'Poko. En janvier 2014, il dit avoir été appelé par un soldat de Sangaris alors qu'il jouait près de la base. "Donne-moi des biscuits", aurait demandé le garçon. Le militaire lui aurait répondu que pour avoir des biscuits il fallait une fellation.
Il lui aurait donné rendez-vous après sa garde. Après l'acte, il aurait reçu une ration de nourriture et un peu d'argent. Le garçon assure que le militaire serait ensuite rentré en France et donne un signalement assez précis : une particularité physique à côté de l'ongle de son petit doigt gauche.
Enfant 2
Il a 9 ans. Il assure que juste avant l'installation du camp de M'Poko, il serait tombé sur un soldat français blanc à un check-point qui lui aurait dit : "Petit, viens." Il lui aurait donné une ration de combat et lui aurait montré sur son portable une vidéo porno de fellation avant de lui demander la même chose.
Repéré par d'autres enfants, le militaire lui a ensuite dit de partir avant d'être pris à partie. Le garçon témoigne aussi qu'un autre soldat, "noiraud", lui aurait demandé la même chose par la suite, avant de lui demander de lui trouver une prostituée.
Enfant 3
Il a 9 ans. Il vient témoigner avec sa mère. Il donne une date précise et un horaire et situe avec exactitude l'endroit où deux militaires français blancs lui ont demandé, avec un ami du même âge, de pratiquer deux fellations en échange de trois rations de nourriture.
"On avait faim, précise-t-il devant les enquêteurs, c'est pour cela qu'on l'a fait." Interrogée séparément, sa mère livre le même témoignage et assure que son fils est très choqué depuis, ce que les enquêteurs confirment, au point d'interrompre ensuite son interrogatoire.
Enfant 4
Il a entre 8 et 9 ans. Sa mère est morte. Un jour où il s'est bagarré avec un cousin pour de la nourriture, il se décide à aller à l'entrée du camp militaire français, où il a appris par des amis qu'il pouvait obtenir de la nourriture. "Il savait ce qu'il avait à faire", précise le rapport.
Le garçon indique avoir pratiqué des fellations à plusieurs reprises, entre décembre 2013 et mai 2014, et désigne le même soldat français. Il livre son surnom militaire. Le soldat lui avait demandé de ne parler à personne sinon il allait le "chicoter" (en français dans le texte).
Enfant 5
Il a 13 ans. C'est un enfant de la rue, qui vit seul, sans parents. Lui n'a pas pratiqué de fellation, mais plusieurs de ses amis l'ont fait et il décrit cinq militaires français. C'est le témoignage le plus précis. Les cinq soldats sont décrits par leur surnom et une série de particularités physiques.
L'un est skinhead, cheveux ras, secs, l'autre est créole, un troisième a un tatouage de serpent sur le haut de la main, deux autres travaillent en binôme. L'un d'eux est sniper, en poste sur les toits de l'aéroport… L'un est dégarni, l'autre a un tatouage de caïman.
Enfant 6
Il a 11 ans. Ses parents ont été tués en décembre 2014, sa grand-mère s'est occupée de lui jusqu'au 19 mars, date à laquelle il est venu seul à M'Poko. Il n'a rien subi pour sa part mais décrit des fellations et des sodomies pratiquées sur des amis à lui par des soldats tchadiens et deux soldats de Guinée équatoriale.
Un autre de ses amis a été contraint à une fellation sur un soldat français, toujours au check-point de l'entrée du camp. Il donne son surnom, une description physique, et un tatouage de fleur sur la nuque.
Récidiviste?
Ce n'est pas la première fois que des soldats de la paix sont éclaboussés par des scandales sexuel.
Le Monde révèle ainsi que depuis 2004, plusieurs soldats faisant partie des forces de maintien de la paix ont été mis en cause ou accusés pour des faits similaires au Mali, en Côte d'Ivoire, en République démocratique du Congo ou encore à Haïti.
Mali , Septembre 2013, Minusma
Une femme affirme avoir été violée par des soldats faisant partie du contingent tchadien de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). Quatre d’entre eux sont placés en garde à vue. La victime les ayant formellement reconnus parmi d’autres agresseurs. La Minusma avait été créée en juillet 2013 dans le but de stabiliser le pays dans le cadre de la guerre contre les groupes armés djihadistes débutée un an plus tôt, et de protéger les populations civiles.
Haïti, 2011, Minustah
Plusieurs Casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) sont filmés en train de violer un jeune homme de 18 ans. Les images sont prises à l’aide d’un téléphone portable et la vidéo est diffusée sur Internet.
Quatre casques bleus uruguayiens sont identifiés comme ayant pris part à ce viol collectif. Le chef du contingent uruguayen de la Minustah est aussitôt démis de ses fonctions.
La Minustah avait été mise en place après l’insurrection de 2004 qui avait chassé Jean-Bertrand Aristide du pouvoir et plongé le pays dans une longue instabilité. L’opération, prolongée après le séisme qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010, devait également veiller au bon déroulement des élections générales de 2010-2011 qui visaient à rétablir l’ordre constitutionnel dans ce pays.
Côte d’Ivoire, 2010, ONUCI
Une ONG britannique effectue un sondage auprès d’une dizaine de jeunes filles dans l'ouest de la Côte d’Ivoire, alors occupée par des groupes rebelles qui divisent le pays en deux depuis 2002. Huit de ces jeunes filles reconnaissent avoir eu des rapports sexuels, en échange de nourriture, avec des soldats béninois de la force militaire des Nations unies (ONUCI), mise en place en 2003.
Ce n’était pas la première fois que la mission onusienne en Côte d’Ivoire, constituée de près de 8 000 hommes representant une cinquantaine de pays, recensait ce genre de scandale. Déjà en 2009, des soldats marocains étaient reconnus coupables de viols, de pédophilie et autres abus sexuels avant d’être renvoyés dans leur pays.
République démocratique du Congo, 2009, MONUC
La Mission de maintien de la paix des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC, mise en place en 2009 et transformée en Monusco en juillet 2010) recense 10 cas d’abus sexuels de viols et de pédophilie.
Quatre soldats marocains, reconnus par leurs victimes, sont incarcérés. Entre décembre 2004 et août 2006, des soldats de cette même mission ont été mis en cause dans 140 cas portant sur des abus sexuels.
Burundi, décembre 2004, ONUB
Deux soldats de la Mission des Nations unies au Burundi sont suspendus en décembre 2004 à la suite à des allégations de « mauvaise conduite sexuelle ». Quatre soldats éthiopiens sont arrêtés pour les mêmes faits. L’ONUB s’était installée au Burundi sept mois plus tôt, en mai, afin d’œuvrer à l’établissement d’une paix durable : le pays peinait à se remettre d’une décennie de guerre civile.
D’autres abus sexuels sur des mineurs impliquant des soldats de maintien de la paix de l’ONU ont été également été recensés au Liberia, au Soudan, au Liban, au Kosovo et en Bosnie. Mais les Casques bleus ne sont pas les seuls à être régulièrement accusés d’abus sexuels. Dans un rapport publié en 2014, l'ONG Human Rights Watch accusait des soldats de la Mission de l'Union africaine déployée en Somalie d'avoir abusé et exploité sexuellement au moins 21 femmes et jeunes filles.
Avec Le monde, Nouvel Obs, Le JDD
Photo:EMA / Un soldat de la mission Française en Côte d'Ivoire