Remise du rapport de la CDVR : Banny dit ses vérités à Ouattara

  • 22/11/2013
  • Source : L'Inter
Charles Konan Banny a remis officiellement son rapport de fin de mission à Alassane Ouattara. Au cours de la cérémonie plutôt sobre, qui s'est tenue hier, jeudi 21 novembre au palais présidentiel, le président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation( Cdvr) a glissé quelques paroles fortes.

Des vérités noyées dans une intervention fleuve, de près d'une heure trente, qui a quelque peu endormi l'assistance. La cérémonie a, en effet, été marquée par ces propos pour le moins osés tenus par le président de la Cdvr devant le chef de l'Etat. Banny a notamment déploré le caractère peu équitable de la justice. « Certains citoyens ont l'impression que la justice ivoirienne est sélective », a-t-il déclaré, reprenant à son compte les griefs que font les organisations internationales des droits de l'homme aux autorités ivoiriennes.
 
Le président de la Cdvr a, par ailleurs, déploré l'incidence sur le processus de réconciliation, des arrestations qui font suite aux attaques récurrentes. « Alors que la Cdvr s'efforce de persuader tous les Ivoiriens de la nécessité d'aller à la paix et d'accepter de s'inscrire dans le processus de réconciliation, on relève des attaques armées en certains points du territoire, entraînant des arrestations », a soutenu Banny, avant d'ajouter : « Les attaques suivies des arrestations compliquent le processus ». Pour lui, « deux ans après la grande crise, nous n'avons pas tiré les leçons de la crise ».
Le disant, l'ex-Premier ministre fait allusion à l'attitude de certains acteurs politiques et de la presse, qui manifestent encore une réticence à embarquer dans le train de la paix.
 
Insistant sur les écrits des journalistes, deux ans après la crise post-électorale, il dira qu'ils n'ont pas vraiment changé : « Si on doit se dire la vérité, je ne vois pas de différence. Si je lisais la presse ivoirienne, je ne pourrai pas continuer ». Autre parole forte lâchée par le président de la Cdvr, le fait que les audiences publiques, si elles venaient à se tenir, ne présenteraient pas de la Côte d'Ivoire « un beau visage », sans doute parce que certaines atrocités choquantes y seraient révélées.

 Par ailleurs, a dit Banny, le processus de réconciliation à l'ivoirienne ne propose pas de mesures incitatives pour amener les auteurs des exactions et autres violations des droits de l'homme à avouer leurs crimes. « Ailleurs comme en Afrique du Sud, les auteurs de violation qui consentaient à se présenter devant la commission pour avouer leurs méfaits bénéficiaient, en échange, d'une amnistie », a-t-il fait remarquer.

Banny a par ailleurs insisté sur l'impérieuse nécessité de prendre en compte le droit des victimes à la réparation. Il a fustigé cette attitude méprisante tendant à mettre « entre parenthèses » les victimes. Pour le reste, il a rappelé que les différentes couches sociales consultées par la Cdvr ont émis le vœu que la mission prenne en compte les faits allant de 1990 à 2011, ce qui a été fait.
 
A la phase des enquêtes qui restait à boucler, 40 000 personnes ont fait à ce jour, des aveux qui devaient être sériés. D'autres tâches restent à accomplir telles que les auditions des victimes, les enquêtes, l'estimation de la réparation, la rédaction du rapport final. Mais en attendant, le président de la Cdvr est venu soumettre au chef de l'Etat, le bilan des deux années et fait quelques recommandations.
 
Au nombre de celles-ci : l'application de la loi de 1998 sur le foncier ; l'accélération du désarmement et de la réinsertion des ex-combattants ; l'implication de l'Assemblée nationale dans les nominations aux hautes fonctions de l'Etat ; la mise en œuvre d'un plan national de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption ; l'engagement des médias dans l'éducation civique et morale.

« Peut-être que le plus important qui reste à faire, c'est la mise en œuvre de ces recommandations », a conclu Banny. Intervenant à sa suite, Alassane Ouattara s'est dit impressionné par la qualité du travail abattu par le président de la Cdvr et son équipe. Il a promis de transmettre ce rapport au Premier ministre afin que le gouvernement s'en saisisse.
 
Assane NIADA

 Encadré 

Ouattara muet sur la prolongation du mandat de Banny
 
Stop ou encore ? A l'issue de la cérémonie, l'on en était encore à se demander si la Cdvr allait poursuivre sa mission après l'expiration de son mandat ou si tout allait s'arrêter. En effet, rien n'a été clairement dit à ce sujet pendant la cérémonie. Pas même une allusion qui laissait deviner que Banny et son équipe allaient poursuivre leur mission après la remise de rapport au chef de l'Etat. Tout en saluant la qualité du travail abattu, le chef de l'Etat n'a point laissé entendre que ce travail sera poursuivi. 
 
Rien dans son propos ne laisse deviner que l'institution allait poursuivre sa mission. « Nous avons besoin de ce rapport et voir comment nous pouvons aller plus loin », s'est borné à dire Ouattara, tout en promettant recevoir Banny et son bureau à une autre occasion. Est-ce à cette occasion que le sort de la Cdvr sera décidé ? Probablement. Toujours est-il qu'à aucun moment de sa longue intervention, Banny n'a semblé demander une prolongation du mandat. Certes, il laissait entendre par moments que certaines activités se poursuivent ou que celles en souffrance se feront par la Cdvr.
 
A.N