Mutineries à répétitions et colère sociale semblent former ces jours-ci un cocktail explosif en Côte-d'Ivoire, révélant les failles du «miracle économique», alors que le régime reste, pour l'instant, étrangement silencieux.
Que se passe-t-il en Côte-d’Ivoire ? Depuis début janvier, la première puissance économique d’Afrique subsaharienne fait face à une série de mutineries orchestrées par des militaires, qui réclament des primes promises mais non payées. Une situation inquiétante qui semble faire vaciller le régime en place, muré dans un étrange silence.
Petit rappel d’une montée de fièvre qui fragilise le «miracle ivoirien» : dès le 7 janvier, des tirs et des barrages ont perturbé plusieurs villes du pays et notamment Bouaké, à 350 km au nord d’Abidjan, capitale économique du pays. Samedi, la situation semblait s’être apaisée, lorsque le gouvernement a cédé aux revendications des mutins en promettant à 8 500 militaires (sur les 22 000 que compte le pays) le versement immédiat de 12 millions de francs CFA (18 000 euros) de prime par soldat.
Mais ce joli cadeau, concédé avec célérité par le pouvoir en place, a déclenché d’autres revendications similaires et le mouvement, étendu désormais à d’autres corps d’armée mais aussi aux gendarmes, a repris dès mardi. Ce mercredi c’est même le port d’Abidjan, symbole de la réussite économique du pays, qui était le théâtre de tirs nourris, obligeant les entreprises, notamment françaises, à évacuer le personnel de leurs bureaux.
Du jamais vu depuis la fin de la guerre civile en 2011, celle qui a porté au pouvoir Alassane Ouattara, le protégé de la France et des Occidentaux pour lesquels cet ancien haut fonctionnaire international incarnait la reprise économique et la stabilisation du pays. Jusqu’à présent du moins.
Propagation à plusieurs villes
Car dès mardi, et malgré l’accord conclu avec les mutins de Bouaké, c’est Yamoussoukro, la capitale politique située au centre du pays, qui était contaminée par le vent de colère alors qu’une cinquantaine de soldats venus du camp militaire tout proche de Zambakro ont semé la panique, à bord de 4×4, en tirant en l’air en plein centre-ville. Deux mutins ont été alors tués par la garde présidentielle, mais le mouvement s’est propagé à d’autres villes de province comme à Dimkoro (centre) ou à Man (ouest).
Face à cette fronde répétée, le pouvoir reste étrangement muet. «Aucune communication officielle depuis dix jours», déplore avec inquiétude un expatrié français, contacté sur place, qui dénonce également le «silence radio» de l’ambassade de France. Les ressortissants français n’ont pas oublié le cauchemar vécu en 2004, lorsqu’ils avaient été agressés et pillés, avant d’être massivement évacués.
Or justement, lundi matin, les mauvais souvenirs ont refait surface : le lycée français Mermoz à Abidjan a été brusquement envahi par des manifestants en colère qui ont violemment occupé les lieux pendant plusieurs heures. «Les enfants en pleurs étaient confinés dans des salles de classe, mais le consulat prétendra que la situation a été immédiatement réglée. Quelle blague !» peste un autre expatrié au téléphone.
Ces manifestants-là ne sont pas des soldats, mais des élèves du public dont les établissements sont en grève depuis une semaine et qui veulent rallier à la cause de leurs professeurs, les écoles privées. Ils s’en sont pris au lycée Mermoz comme à d’autres établissements privés.
«Pire que sous Gbagbo»
Car le malaise ne se limite pas à l’armée : depuis une semaine, les fonctionnaires sont en grève, et d’autant plus fâchés que, contrairement aux militaires, le pouvoir reste inflexible face à leurs revendications sociales. «Derrière le mirage de la réussite économique de la Côte-d’Ivoire, il y a en réalité une pauvreté qui augmente. Beaucoup d’argent a été déversé dans ce pays depuis 2011, mais peu en ont profité.
La corruption et la mal gouvernance atteint des sommets et suscite beaucoup de mécontentement», confie un entrepreneur français sur place. «Aujourd’hui, l’Etat est incapable de payer ses fournisseurs et ses fonctionnaires, c’est douloureux à admettre mais c’est pire que sous Gbagbo», souligne-t-il.
En avril 2011, la chute de Laurent Gbagbo, lequel est actuellement en procès à la Cour pénale internationale de La Haye, avait mis un terme à neuf ans de guerre civile et permis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara. Mais les plaies du passé n’ont jamais été totalement cicatrisées.
Non seulement la réconciliation peine à se concrétiser, mais une partie des ex-combattants des Forces nouvelles qui avaient combattu pour Ouattara, se sent toujours exclue de la nouvelle ère qui «n’a permis qu’à une minorité de profiter de la victoire, alors que la masse de ceux qui ont risqué leurs vies pour Ouattara sont réduits à la misère», accuse un ancien combattant depuis Abidjan.
Ce sont ces anciens combattants, ceux pourtant en principe intégrés dans la nouvelle armée, qui ont amorcé la rébellion à Bouaké le 7 janvier, en sortant de leurs casernes pour réclamer des primes promises mais jamais reçues...
Photo d'archives à titre d'illustration