Suite à notre reportage faisant l’état des lieux des sites touristiques, paru le 15 janver dernier, le ministre Roger Kacou se dit préoccupé par l’amélioration de l’environnement du secteur .
Monsieur le ministre, 10 ans durant, le tourisme a connu de fortes perturbations du fait de la crise militaropolitique. Quelle est, dans votre stratégie de relance de ce secteur, la place que vous donnez à la réhabilitation des sites et attraits défigurés ?
Comme vous le dites si justement, le pays a beaucoup souffert des crises, au niveau économique et social. Et le remettre sur le droit chemin est un énorme chantier. Nous, au niveau du département du Tourisme, voulons apporter notre contribution à ce chantier.
Mais le tourisme pris isolément constitue, en lui-même, un énorme chantier. Puisque nous travaillons sur trois axes principalement : l’axe réglementaire, l’axe de développement, c’est-à-dire la réhabilitation des réceptifs, des sites et l’axe de promotion, de distribution des produits.
Au niveau de l’axe réglementaire, 2013 nous a donné beaucoup de satisfaction. Puisqu’on a pu faire adopter par le gouvernement, la politique générale du tourisme, présenter le nouveau Code du tourisme, le premier du genre qui va être soumis à l’appréciation de nos parlementaires. On a travaillé sur la restructuration de la branche Promotion du ministère qui est «Côte d’Ivoire Tourisme».
C’est un Etablissement public à caractère industriel et commercial, mais qui devait être remeublé par rapport à la loi de 1998 qui définit les modalités de fonctionnement des Epic. Ceci a été fait et adopté en Conseil des ministres. On a travaillé sur plusieurs chantiers. On est sur la bonne voie même si beaucoup reste à faire. On doit travailler, par exemple, sur la classification, la reclassification des établissements hôteliers, touristiques.
On doit travailler également sur un meilleur contrôle au niveau des agréments, des licences pour les hôtels, des restaurants, loueurs des voitures, agences de voitures, etc. On travaille également sur la restructuration du Fonds de développement touristique qui est l’outil le ministère à travers lequel va apporter un certain soutien aux opérateurs économiques dans le cadre de la formation des cadres, des agents de maîtrise dans le domaine du tourisme.
Qu’est-ce qui est fait au niveau du développement et de la réhabilitation ?
A ce niveau, beaucoup d’hôtels sont en chantier. Il y a le Palm-Club, au lycée technique qui va ouvrir ses portes, d’après mes informations, le 1er avril 2014. Le chantier devrait être terminé le 15 mars prochain. Il y a un hôtel à l’aéroport et le Café de Rome qui sont également en chantier. Le dernier devrait ouvrir pendant le premier semestre de cette année. La réhabilitation du bâtiment principal de l’Hôtel-Ivoire de près de 450 chambres est en cours.
Donc c’est un gros apport au niveau de l’offre touristique. S’agissant des réceptifs hôteliers, tout se passe bien à Abidjan. A l’intérieur du pays, on est en train de voir comment on peut réhabiliter l’ex-Sietho, en partenariat avec soit les collectivités locales, soit le secteur privé. Au ministère, on a notre propre projet de développement hôtelier.
Vous avez beaucoup de projets, vous l’avez dit. Mais à combien évaluez-vous le coût de réhabilitation des sites touristiques et autres attraits ?
L’argent est le nerf de la guerre, dit-on. Donc on sait bien que l’Etat n’a pas pour vocation la réhabilitation et de faire le développement de ces sites et réceptifs. Par contre, il peut nous accompagner. Je parlais tout à l’heure de coopération avec les collectivités locales et le secteur privé.
C’est une coopération gagnant-gagnant. Pour que nous puissions nous assurer que nos futurs visiteurs étrangers vont visiter ces sites dans les meilleures conditions. Au niveau des infrastructures routières, c’est la responsabilité de l’Etat.
Pour l’hébergement, on veut aussi collaborer avec le secteur privé. L’idée de l’Etat, c’est que le Programme national de développement soit en partenariat avec le secteur privé dont la participation doit être autour de 60%. Pour nous, c’est la création d’emplois, surtout pour les jeunes et les femmes, donc la réduction de la précarité, de la pauvreté.
Découragés par la mévente de leurs produits, certains artisans qui vivaient du tourisme sont devenus des agriculteurs, par exemple. Comment comptez-vous les remobiliser ?
Je crois que les choses se feront naturellement, puisque vous-même vous dites qu’ils sont découragés par le manque de visiteurs ; ce qui explique la mévente de leurs produits. On voit un accroissement pratiquement au quotidien du nombre de visiteurs. Aujourd’hui, ce sont des touristes d’affaires principalement. Mais on voit les premières arrivées des touristes de loisirs.
Au niveau du ministère du Tourisme, on a organisé, par l’entremise de «Côte d’Ivoire tourisme», un petit Salon, avec les artisans de la place. Ce fut un grand succès. C’est donc par ce genre d’actions que l’on va pouvoir inciter les artisans à revenir à leur métier naturel qui est l’artisanat d’art. La machine est en train d’être remise en marche. Donc ils ont un intérêt certain à revenir à leur profession initiale.
Au niveau du Parc de la Marahoué et de la Réserve d’Abo Kouamékro, il y a de sérieux problèmes. Qui gère ces curiosités ?
Les Parcs dépendent du ministère de l’Environnement. Mais nous avons un intérêt très spécial vis-à-vis des Parcs et Forêts classées, puisqu’ils représentent un atout touristique certain. C’est pourquoi nous travaillons en collaboration avec nos collègues de l’Environnement et des Eaux et Forêts. Afin de mettre un peu d’ordre dans tout cela.
Depuis votre prise de fonction, quelles sont les priorités auxquelles vous vous êtes attaqué ?
Je vous ai parlé des différents axes de travail. Nous voulons montrer au monde entier que la Côte d’Ivoire est de retour. Qu’elle n’est plus un pays en guerre. Et ce n’est pas une tâche facile. Parce que durant la crise post-électorale, tous les médias du monde entier parlaient de la Côte d’Ivoire en termes d’échanges de coups de feu, etc. Mais lorsque le calme est revenu et que le pays est revenu à la normale, tous ces médias-là sont, entretemps, partis ailleurs.
Personne n’est resté pour dire que ça va mieux en Côte d’Ivoire. Donc aujourd’hui, beaucoup de gens, à travers le monde, dans les pays occidentaux surtout, qui sont les émetteurs de tourisme, pensent que la Côte d’Ivoire est toujours en crise. Notre rôle à nous est de dire à ces visiteurs potentiels que le pays n’est plus en crise. Cette tâche peut se révéler être très onéreuse.
Parce qu’on peut s’adresser à des médias qui demandent beaucoup d’argent pour quelques secondes de battage pour passer le message : la Côte d’Ivoire, pays de développement, pays en voie d’émergence, etc.
Etant donné que nous n’avons pas les moyens pour aller vers ces médias, on a décidé de faire de la promotion ciblée. Puisque nous travaillons sur le tourisme balnéaire, écologique, culturel, religieux (on a la plus grande Basilique du monde) et l’agrotourisme.
Ce dernier volet consiste à apprendre aux touristes d’où viennent les produits agricoles : le cacao, l’ananas, le palmier à huile, l’anacarde… . C’est une ligne que nous allons développer. Le pays est sur la bonne voie en ce qui concerne l’indice sécuritaire qui est un élément très important de la promotion du tourisme.
Avez-vous pensé à utiliser l’image de nos stars de football qui jouent dans les championnats en Europe ?
Si, mais de manière formelle. Mais vous savez bien qu’un joueur comme Didier Drogba, à lui tout seul, sans être sollicité, est déjà un atout touristique pour nous. J’étais récemment dans un pays étranger. Lorsqu’on m’a demandé mon pays d’origine et que j’ai dit Côte d’Ivoire, mes interlocuteurs se sont écriés : «Ah, Didier Drogba». Grâce à lui, on connaît mon pays. Si on n’avait pas Didier Drogba, les gens auraient dit : «Côte d’Ivoire, c’est où? ».
Aujourd’hui, quand on dit Didier Drogba, Yaya Touré, Kolo Touré, Eboué Emmanuel, tout le monde dit : «Côte d’Ivoire». Notre chance avec ces Ivoiriens, c’est qu’ils n’ont pas changé de nationalité, contrairement à d’autres joueurs. Nous utilisons donc, de façon informelle, leur aura.
Nous avons un autre atout : c’est notre Chef de l’Etat, SEM Alassane Ouattara. Qui a fait beaucoup au niveau international. Aujourd’hui, quand on se déplace à travers le monde, on a quelqu’un de très important qui nous facilite la tâche. C’est bien le Président de la République.
Tout le monde le connaît, pour avoir apporté une importante contribution au niveau des échanges économiques, commerciaux, politiques. Que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique du nord, en Europe, aujourd’hui, il est un atout majeur pour nous. Dans le cadre de notre promotion, on est facilité par le fait qu’on a un Président de la République qui fait beaucoup pour le pays et qui a une image très, très positive de par le monde.
Quels sont les acquis, à mi-parcours, du visa payé à l’aéroport ?
Il a été mis en application, le 2 janvier 2014. Pour nous, c’est une excellente chose. C’était l’une de mes priorités quand j’ai été appelé à rejoindre le gouvernement. Je suis heureux qu’on ait pu mettre en place I-visa. C’est un gros atout parce que par le passé, les visas biométriques étaient délivrés par les ambassadeurs.
Vous savez bien que déjà on n’a pas d’ambassades partout. Le Chef de l’Etat souhaite d’ailleurs augmenter le nombre d’ambassades de la Côte d’Ivoire.
Dès le premier trimestre, nous aurons les chiffres qui prouveront que c’est une excellente initiative.
Sous quel signe placez-vous, dans votre secteur, l’année 2014 ?
Déjà 2014 devrait nous aider à percevoir les résultats des actions qui ont été menées en 2013. En 2014, nous aurons un mouvement dans le sens de l’augmentation du nombre de touristes. L’objectif du ministère est d’atteindre le nombre de 500.000 touristes à la fin 2015. L’année 2014 doit vraiment nous montrer qu’on pourra atteindre cet objectif.
La relance du tourisme se heurte aussi à un handicap sérieux : les prix exorbitants des réceptifs hôteliers. A quand une politique des prix adossée à des critères bien définis liés au standing (étoiles) des hôtels ?
Nous travaillons, comme je l’ai dit tout à l’heure, à la classification ou reclassification des réceptifs hôteliers. Dans le même temps, nous travaillons à un meilleur contrôle au niveau des agréments et licences. Lorsque ce travail sera fait, on saura exactement quel hôtel a tel ou tel nombre d’étoiles. Ainsi, il y aura un certain contrôle au niveau des prix pratiqués.
Aujourd’hui, il n’y a pas de critères qui permettent de dire : ici, il y a deux étoiles ; là, il y en a quatre, etc. Donc tout ce travail se fera ; l’objectif étant d’avoir une régulation naturelle, ce, une fois qu’on aura défini qui fait quoi dans le secteur.
Entretien réalisé par Emmanuel Kouassi
Roger Kacou : “ Nous voulons montrer que la Côte d’Ivoire n’est plus un pays en guerre ” - Photo à titre d'illustration