En plein dans la crise de coronavirus, on s’impose des mesures parmi lesquelles le lavage des mains. Et d’autres actions élémentaires d’hygiène. Tiens, n’a-t-on pas déjà entendu ça quelque part? Ah oui, lors de la crise à virus Ebola! Mais aussi à l’école. Pourquoi alors ne se soumet-on pas, de façon naturelle et continue, au respect de simples mesures d’hygiène ? Laissons Michel Koffi et Macaire Dagri en parler.
Dans le monde entier, tous les peuples qui, aujourd’hui, jouissent de la démocratie et des libertés individuelles et collectives, savent à quels prix ils les ont acquises. Pour la plupart d’entre eux, ces droits fondamentaux ont été obtenus dans le sang, la meurtrissure et par la mort. Alors, lorsque dans un Etat qui se veut démocratique, avec des fondements de libertés individuelles et collectives, on doit « obliger » les citoyens qui garantissent ces droits absolus, dans la constitution, à travers leur vote, soit de manière directe par un référendum ou par le vote de leurs représentants au Parlement, ce serait alors « mépriser et outrager » l’expression de liberté du peuple. Lorsqu’un peuple qui a conquis dans la douleur, dans les larmes, en défiant de multiples « obligations » pour enfin accéder aux lumières et jouir des libertés si chèrement acquises, on vient des décennies plus tard lui imposer à nouveau de nouvelles « obligations », cela peut réveiller inconsciemment des mécanismes psychiques de rejet et rouvrir des blessures morales et psychologiques.
Partout dans le monde, notamment dans les démocraties, lorsque l’État envisage de nouvelles mesures « obligatoires » à imposer au peuple, cela suscite des réactions défensives au sein des populations. Tout individu qui connaît les délices des libertés individuelles et collectives accepte difficilement qu’on lui impose de nouvelles obligations, même si cela est fait pour son bien-être. Le mot « obligation » renvoie dans l’esprit de l’homme libre à une notion d’entrave à toutes ces formes de liberté. Voilà pourquoi je suis opposé au fait qu’on oblige les Ivoiriens à se soumettre au respect de l’hygiène et de l’environnement, même si cela part a priori d’une bonne intention. Pourquoi obliger alors qu’on peut tout simplement éduquer nos populations à la notion de respect de l’hygiène et de l’environnement ? Cette obligation imposée par l’État, en tant que puissance publique, (sinon, je ne vois pas qui d’autre peut le faire) sera de quelles formes ? Elle sera décidée en Conseil des ministres, puis le Président de la République prendra-t-il un décret pour son application ? Ou alors, elle sera votée par le Parlement sur la base d’un projet de loi émanant de l’exécutif, ou d’une proposition de loi initiée par le Parlement ? Politiquement, c’est un exercice qui me semble assez risqué pour un résultat presque incertain.
L’État doit-il obliger les Ivoiriens à se laver tous les matins et tous les soirs ? Doit-il obliger les Ivoiriens à se laver les dents après chaque repas ? Ou encore obliger les Ivoiriens à ne pas jeter les sachets d’eau dans les rues ? Sachant que théoriquement les sachets d’eau sont interdits dans notre pays depuis plusieurs année maintenant, même si sa commercialisation continue à se faire. L’État doit-il obliger ses populations à se laver les mains régulièrement pour éviter les bactéries et autres microbes qui pourraient les rendre malades ? Dans la pratique, comment peut-il procéder pour imposer cette obligation, sans explications de cette mesure ? L’État peut-il obliger des Ivoiriens à ne pas utiliser leurs vieux véhicules qui polluent l’environnement, alors que ces derniers habitent à Dabou, Songon , Bingerville ou encore à Grand-Bassam ou même à Bonoua et travaillent au Plateau ? Ces derniers évoqueront alors l’insuffisance de moyens de transport en commun aux heures de pointe le matin et en fin d’après-midi, après le travail. Ils rappelleront aussi que leur maigre revenu mensuel ne leur permet pas de changer de véhicule, comme c’est le cas par exemple dans les pays occidentaux, où les crédits à la consommation, notamment pour les fonctionnaires sont très abordables et faciles à obtenir. Ils diront également haut et fort qu’ils sont conscients que leurs véhicules sont vieux et qu’ils polluent. Cependant, ils leur octroient une liberté de mouvements qui leur permet de partir tard le soir du bureau, et de ne pas subir les nombreuses contraintes et incertitudes des transports en commun que déplorent de nombreux Ivoiriens qui en dépendent. L’État peut-il interdire aux Ivoiriens de ne pas uriner dans les rues ou dans les caniveaux, s’il ne construit pas des toilettes publiques pour ses citoyens ? Peut-il obliger les vendeurs dans nos marchés à respecter l’hygiène si les mairies ne prévoient pas de toilettes ou de salles d’eau dans les marchés par exemple pour se laver les mains régulièrement ?
Non, je pense qu’on ne doit pas obliger les Ivoiriens au respect de l’hygiène et de l’environnement. On doit plutôt trouver la manière d’éduquer nos populations au respect de l’hygiène et de l’environnement. Pour cela, il faudrait que l’État et les collectivités territoriales, en expliquant les bien- fondé du respect de l’hygiène et de l’environnement, mettent en place des infrastructures sanitaires et des moyens de transport collectifs suffisants par exemple, afin de permettre aux Ivoiriens de comprendre l’importance pour leur propre santé, par des actions fortes des autorités. Au lieu d’obliger les Ivoiriens, il faut expliquer l’importance du respect de l’hygiène et de l’environnement.
Doit-on obliger les Ivoiriens au respect de l’hygiène et de l’environnement ?