Simone Gbagbo, la Lady Macbeth ivoirienne devant ses juges

  • 30/05/2016
  • Source : liberation.fr
Celle qui fut première dame de Côte-d'Ivoire de 2000 à 2010 comparaît à partir de mardi pour «crimes contre l’humanité» à Abidjan.

Est-ce le poids des années, ou celui d’un combat politique devenu terriblement lourd à porter ? En ce jour de début mai, appuyée sur le bras de son avocat, Simone Gbagbo s’avance à tout petits pas. Elle a choisi un ensemble brun, un collier de perles blanches, mais n’a ni perruque ni tresses comme auparavant elle aimait les porter. Au-dessus de son visage aux traits tirés, ses cheveux sont blancs, coupés court, au naturel. Dans la salle d’audience des assises d’Abidjan, les murmures se sont un instant arrêtés. Tous les regards sont tournés vers cette vieille dame qui vient d’entrer.

A quelques jours de son 67e anniversaire, Simone Gbagbo s’apprête à être jugée pour «crimes contre l’humanité» commis pendant la crise qui a déchiré la Côte-d’Ivoire entre novembre 2010 et avril 2011. Alors que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se disputaient la victoire de la présidentielle, les affrontements entre les deux camps ont fait au moins 3 000 morts d’après les Nations unies. Alors que «le chef bandit» Ouattara, comme le surnomme Simone Gbagbo, accédait au pouvoir avec le soutien de la communauté internationale, pour Laurent Gbagbo et sa femme, la guerre s’est terminée sous les bombardements des forces onusiennes et des avions du «diable» Nicolas Sarkozy. L’image de la «Dame de fer» sortant de la résidence présidentielle ahurie et malmenée par des rebelles ivres de leur prise fera le tour du monde. Celle qui était tant crainte n’est alors plus qu’une femme apeurée.

Paranoïaque et impulsive pour des psychologues qui l’ont analysée, haïe par ses adversaires, adulée par ses partisans, Simone Gbagbo est de l’avis de tous manipulatrice et cassante. Sa mâchoire carrée et son regard perçant trahissent sa détermination. Portée par sa foi évangélique, la fervente croyante vit son combat politique comme un absolu religieux.

«Il sera roi et je serai sa reine»
Très jeune, syndicaliste marxiste, elle fonde en 1982 dans la clandestinité le Front populaire ivoirien avec «son camarade» Laurent. Un pacte entre les militants amoureux est très tôt scellé, Simone voit en son mari l’homme qui peut changer la Côte-d’Ivoire. «Dès qu’elle l’a connu, elle s’est dit : "Il sera roi et je serai sa reine"», rapporte un membre du premier cercle. Lui est l’intellectuel, il pense la ligne politique, «Maman» est la travailleuse qui met en œuvre les idées. Il se couche au petit matin, elle se lève à 6 heures. Laurent rit et aime s’amuser, «sourire n’est pas vraiment la tasse de thé» de Simone. Ensemble, après des années dans l’opposition à Félix Houphouët-Boigny, père de l’indépendance ivoirienne, ils gagnent le pouvoir en 2000. Aux côtés de son mari au sommet de l’Etat, Simone Gbagbo s’affirme en tenante de la ligne dure. Son nom est alors associé aux affaires les plus troubles et les plus sanglantes, on l’accuse d’être à la tête «des escadrons de la mort». Lady Macbeth ivoirienne, Simone Gbagbo finit par incarner la dérive d’un régime.

Depuis son arrestation en 2011, Simone Gbagbo «passe ses journées à lire la Bible et à prier», racontent ses visiteurs. Détenue à Odienné dans le nord-ouest du pays, puis à l’école de gendarmerie d’Abidjan depuis l’année dernière, elle est en proie à des maladies chroniques. Privée des soins de médecins spécialisés depuis un an, l’ancienne première dame est diminuée «physiquement et psychiquement», confie un proche. Elle reçoit beaucoup mais n’a vu aucun de ses enfants, tous exilés, depuis sa chute. Elle n’a pas le droit d’entrer en contact avec son mari.

A plus de 5 000 kilomètres d’Abidjan, à La Haye aux Pays-Bas, Laurent Gbagbo est lui aussi devant des juges pour «crimes contre l’humanité». La Cour pénale internationale poursuit son procès-fleuve et continue de réclamer l’extradition de l’ancienne première dame. Un transfert qu’a toujours refusé Alassane Ouattara, l’actuel président ivoirien, arguant que sa justice est désormais capable d’organiser un procès impartial.

«Instruction bâclée»
Est-ce certain ? Tout laisse à penser que la tenue du procès a été précipitée à la demande d’un pouvoir politique qui veut se débarrasser des pressions de la CPI. Parties civiles et représentantes de plus de 250 victimes, les organisations ivoiriennes des droits de l’homme ont même décidé à la dernière minute de ne pas participer au procès, exprimant «leur doute quant à sa crédibilité». «L’instruction a été bâclée. Simone Gbagbo doit être jugée, mais bien jugée», regrette Me Yacouba Doumbia, le président du Mouvement ivoirien des droits de l’homme (MIDH). Un fiasco annoncé pour de nombreux observateurs qui craignent que les audiences ne satisfassent ni la défense, qui pourfend «un procès politique», ni les victimes.

Autant de lacunes déjà dénoncées il y a un an. Simone Gbagbo avait été jugée pour «atteinte à la sûreté de l’Etat». Juste avant que la cour ne se retire, elle s’était levée. «J’ai subi humiliation sur humiliation mais je suis prête à pardonner. Car si on ne pardonne pas, ce pays vivra une crise pire que celle que nous avons connue», avait-elle prophétisé, espérant l’acquittement. Comme si aucune réconciliation n’était pour l’heure possible, Simone Gbagbo a été condamnée à vingt ans de prison. Elle risque cette fois la perpétuité.